Life finds a way.
9.5 C’était l’un de mes films préférés quand j’étais gamin. J’ai grandi avec, je l’ai regardé maintes fois en boucle, je le connais littéralement par cœur. C’est aussi l’un des films préférés de mes enfants aujourd’hui, ils me le réclament régulièrement, à la faveur des nombreuses suites et de la série animée Netflix « La colo du crétacé » puis « La théorie du chaos » qu’ils adorent aussi. Bref, c’est potentiellement le film que j’ai le plus vu. Et le plaisir est dorénavant multiple, puisqu’en plus d’être associé à un souvenir d’enfance, il y a celui de voir mes gamins jubiler devant, les yeux écarquillés comme moi quand j’avais leur âge et bien entendu celui d’apprécier le film vertigineux, physique et théorique, qu’il représente.
Jurassic Park, c’est quoi ? C’est à la fois le titre du film et celui du parc dans lequel se déroule la grande majorité du récit du film. Il s’agit d’un zoo géant, conçu par un milliardaire sur une île privée au large du Costa Rica, un zoo ou parc d’attractions, qui a la particularité de proposer à ces visiteurs de rencontrer une flopée de dinosaures vivants et en taille réelle, clonés à partir d’un matériel génétique trouvé dans des moustiques conservés dans l’ambre d’un conifère depuis soixante-cinq millions d’années. Pour ouvrir, John Hamond (et son look de colonisateur blanc) a besoin de l’avis d’experts lui permettant d’avaliser son parc. Un couple de paléontologues passionnés, un théoricien du chaos, un avocat sans intérêt (spoiler : il va vite mourir), deux gamins et c’est parti pour une visite improvisée du parc.
Evidemment, tout va très rapidement virer au désastre puisque le récit se déroule dans un lieu qui n’est pas prêt, avec des personnages qui ne le sont pas non plus, un peu comme dans le Gremlins de Joe Dante : Les monstres ont simplement changé de taille. Et si Hamond ne cesse de répéter qu’il a « dépensé sans compter » on découvre les murs de l’enceinte du musée en plein travaux de peintures. Entre un dilophosaure qui se cache, un tyrannosaure qui fait la diète et un triceratops malade, la simulation du programme de la visite ne fonctionne pas comme prévu. Et bientôt c’est un employé malveillant, une panne électrique et une tempête qui viendront s’en mêler. Avec le peu de lucidité qu’il reste à Hamond face aux importants dommages collatéraux imposés par son gros jouet, celui-ci rappelle que lorsqu’on a ouvert Disneyland en 1956, rien ne marchait. Ce sur quoi, Malcolm, répliquera : « Certes, mais quand les pirates des caraïbes se détraquent ils ne dévorent pas les touristes ».
Les feuillages qui bougent dès la première scène, nocturne, évoquent d’emblée l’apparition d’un monstre donc d’un dinosaure avant qu’on découvre celle d’un bulldozer ouvrant le chemin à un camion abritant un Velociraptor. Dans l’ouverture – nocturne, elle aussi – des Dents de la mer, Christie est d’abord poursuivie le long de la clôture grillagée par un garçon, avant de l’être dans l’eau par le requin. Dans le même ordre d’idée, une fois arrivés sur l’ile ici nous ne la quitterons plus, comme nous ne quittions pas le bateau au cours de la deuxième partie de Jaws. Quant à Hamond il laisse ses enfants en proie au monstre comme le maire d’Amity Island reconnaissait avoir laisser ses enfants se baigner malgré l’interdiction. Les similitudes entre les deux films sont nombreuses.
Or, Spielberg en réalise cette fois un produit hybride, à la fois familial et horrifique, radical et mercantile. Un film d’une alchimie improbable entre émerveillement et terreur, un film très incarné et très théorique, un film familial et un film d’horreur : Au début il fait beau. Puis la visite, le récit, le film sont gagnés par la tempête. La virée familiale plonge vers le film de monstre. Le Tyrannosaure en devient la star. Un monstre parfait, qui supplante le camion (Duel) ou le requin (Jaws) pour ne citer que les créatures spielbergiennes les plus terrifiantes.
Bien qu’il l’utilise et soit l’un des premiers à le faire, Spielberg n’abuse pourtant pas de l’image de synthèse, comme cela sera le cas dans l’opus suivant. En cela, le premier Jurassic park marque un vrai tournant technique et esthétique dans l’univers des blockbusters. Mieux, ce bouleversement intègre la diégèse même du récit : Le professeur Grant est fâché avec les ordinateurs et se lamente bientôt que son métier (de paléontologue mais par un écho subtil c’est bien entendu à celui de spécialiste en stop-motion avant l’ère numérique auquel on songe) est fini. Phrase par ailleurs réellement prononcée par Spielberg à Phil Tippett lorsqu’il prend connaissance des premiers essais en matière d’images de synthèse et notamment quand il découvre l’animatique d’un T.Rex chassant un troupeau de Galimimus. « Si ça continue, un jour, on n’aura plus besoin de creuser » lance un personnage, un moment donné, auquel Grant demande où résidera alors le plaisir. Il y a en creux l’idée que creuser c’est tourner. Que Tipett et ses maquettes venaient d’être mis à la retraite.
En outre, Jurassic park est une mise en abyme du cinéma de Spielberg et du blockbuster hollywoodien tout entier. Le divertissement est total puisqu’il se trouve aussi à l’intérieur du divertissement. Les réactions des personnages, émerveillées, secouées, émues ou récalcitrantes sont aussi celles des spectateurs regardant le film. Les dinosaures pour les uns, l’écran pour les autres : Il y a cette scène incroyable, un plan iconique, où l’on observe les visages de Grant & Sattler découvrant un brachiosaure, qui peut aussi bien rappeler les plans de découvertes des Dents de la mer ou Rencontres du troisième type. Quant aux produits dérivés ils sont directement placés à l’intérieur du film, les k-ways ou la tasse avec le logo (du film) Jurassic park ici, les casquettes ou les assiettes là. Un moment donné la caméra s’attarde dans la boutique de souvenirs, avec ses peluches et figurines comme lorsqu’on sort d’une attraction à Disneyland.
C’est aussi un film féminin à double entrée. D’abord car ce sont les deux personnages féminins qui trouvent la solution : Lex en débusquant le programme informatique permettant de verrouiller les portes, Ellie Sattler en parvenant à remettre l’électricité en route. Ensuite parce que s’il y a une infinité d’espèces dans le parc, ayant chacune leur propriété, leur dénominateur commun c’est qu’il n’y a que des femelles. Elles ont été conçues ainsi afin d’interdire leur reproduction. Mais puisque « la vie trouve toujours un chemin » elles parviendront à trouver le moyen de se reproduire. La théorie du chaos (vantée ici par le personnage de Malcolm) et donc l’imprévisibilité, partie intégrante du livre de Michael Crichton, sera l’essence même du récit. Au même titre que les grenouilles, les dinosaures peuvent changer de sexe en fonction du milieu dans lequel elles évoluent.
Le choix de Richard Attenborough pour incarner le professeur Hamond (qui se vante d’être parti d’un cirque avec carrousel et balançoire) n’est pas uniquement là pour satisfaire un copinage qui remonte à leur « affrontement » pour l’oscar du meilleur film en 1982 : Attenborough y présentait Gandhi, Spielberg bien entendu E.T. C’est aussi un choix qui va dans le sens du projet : Si l’on suit la logique interne du film, Hamond ne pouvait être incarné que par un metteur en scène, une sorte de démiurge présentant son parc comme si c’était son film. Jurassic Park est un film absolument passionnant et vertigineux.