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Archives pour 25 novembre, 2008

Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister Harmoniak) – Béla Tarr – 2003

Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister Harmoniak) - Béla Tarr - 2003 dans * 100 01.lesharmonieswerckmeister-300x190 Land of the dead.

   10.0   Voici l’une de mes plus importantes découvertes cinématographiques. De celles vers lesquelles je ne cesse de me référer. De celles qui sont devenues des modèles de perfection. Méconnaissable durant le générique final, à l’époque, il m’a fallu une bonne nuit pour le digérer, et facilement quelques jours pour en écrire quelques lignes.

     C’est simple, la première séquence du film est probablement l’une de mes préférés, tout type de cinéma confondu. Oui, rien que ça. Un plan-séquence d’une dizaine de minutes, en mouvement, qui filme diverses personnes dans un bar, choisis pour une expérience cosmologique schématique organisée par Valuska, personnage central du film, fasciné par la Création, son miracle. Cette première scène est à l’image de la suite du film : magnifique, avec son noir et blanc crépusculaire, son rythme hypnotique, sa musique divine. Puis se dessine une histoire presque irréelle, d’errance nocturne, de découvertes, un voyage hors du temps, dans un quartier voué au chaos total, qui pourtant à travers un récit des plus pessimistes laisse entrevoir quelques rayons lumineux.

     J’ai vraiment garder la sensation de film unique. Une œuvre d’art sans précédent, un objet cinématographique fascinant, beau à en pleurer, qui déballe sans sourciller une succession de tableaux, poétiques, tout en musicalité. L’emploi du plan-séquence n’est évidemment pas anodin dans la réussite de l’entreprise tant il fait figure emblématique du récit. Le plan devient l’unique unité de temps. On plane sans réellement se poser de questions, on vit l’instant comme Valuska, et on se dit qu’il n’y a probablement aucun équivalent cinématographique.

     Fin du film, La grand-place, en plein brouillard, La Baleine dépouillée de sa protection, Le Chaos a pris place, à moins que ce ne soit le contraire, et l’apparition lumineuse au travers de cet épais brouillard, qui annonce le début d’autre chose. Béla Tarr ne dit rien, il nous demande d’observer, de se laisser happer, dans ce qui se révèle être un film très exigeant, pour spectateur averti, mais qui quoiqu’il arrive a déjà sa place dans le panthéon de la Création cinématographique.

      J’hésitais à le mentionner, allez je me lance : Je suis resté sur « les fesses » quelques minutes après la fin du générique, j’ai beaucoup, beaucoup pleuré, prenant conscience petit à petit de l’ampleur de cette œuvre, qui à l’instar d’Inland Empire de David Lynch, nous fait basculer dans une ère nouvelle. Rarement, pour ne pas dire jamais vu un truc pareil, aussi fou. Une sorte d’état de grâce !

J’ai écrit ceci, en le revoyant quatre ans plus tard :

     Ce qui est incroyable c’est le chaos général qu’a su rendre Béla Tarr. On sent que c’est un village sur le point de mourir. Et puis à travers tout ça on suit un quotidien, celui de Janos Valuska, simple postier, qui s’extasie très facilement devant le mystère de la création et son infinie puissance. Lorsqu’un cirque débarque avec une immense baleine, Janos ne verra pas l’envers du décor. Il a cette naïveté, cette poésie incroyable. Toute cette vérité violente et cruelle lui éclatera petit à petit à la figure. Il devient témoin, et nous avec lui, d’un soulèvement populaire, dans une Hongrie dévastée, presque chimérique. Il y a une scène extrêmement violente dans un hôpital où le cinéaste glisse délicatement dans chaque pièce, nous montre ce qui s’y passe. Cette violence sourde (pas de cris) cessera soudainement, à la vue d’un vieux monsieur, nu, debout dans une baignoire. Les manifestants rentrent chez eux. Lorsque l’armée prendra les choses en main, que le jeune homme fuit de peur qu’on s’en prenne à lui. « Je n’ai rien fait » dira t-il. Cette violence ne s’estompera pas. Ellipse. Il est dans un hôpital psychiatrique, il chantonne, encore plus naïf qu’auparavant. Sur la grand place, oncle Gyuri avait promis qu’il irait voir la baleine le lendemain. Tout a changé. Tout est mort. La baleine est entièrement découverte. Les dalles de la place sont à moitié explosées. C’est un climat de mort qui règne. Comme après une guerre.

     Béla Tarr ne demande pas de comprendre. Sa caméra se déplace délicatement dans ce village, via les yeux de ce personnage. Le temps c’est le plan. Le plan n’est jamais fixe chez Béla Tarr. Il y a un espace et il gère cet espace. Il est rare de ne pas voir dans une scène ce qui se passe aussi derrière nous, quelquefois seulement, lors de plans uniquement latéraux. Une scène, à ce titre, est à couper le souffle : Janos Valuska marche, le pas déterminé, face caméra. Il rejoint son oncle. Nous suivons la conversation. Il dit qu’il va jeter un œil sur la grand place. Son oncle lui demande d’être prudent. Il s’engage. La caméra effectue un demi-tour afin de le suivre, et dévoile dans un plan global, des attroupements de personnes, des feux qui envahissent la ville. Jamais je ne me suis autant senti investit dans une séquence de film. Et jamais je n’avais autant fait corps avec un personnage dans un film.

Last Days – Gus Van Sant – 2005

18413696.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxDeath to birth.

   7.6   Véritable ovni du festival de Cannes 2005, Last Days avait pourtant le lourd statut d’être précédé d’Elephant et Gerry dans l’oeuvre de son auteur. Heureusement, les trois films restent très différents, même s’ils traitent tous trois des dernières heures de la vie de personnages sur le déclin. Ce sont ici les derniers instants de la vie d’un rockeur qui sont ciblés. Evidemment la ressemblance entre Blake et Kurt Cobain n’est pas anodine, le film fonctionne aussi en hommage au chanteur de Nirvana.

     Mais plus qu’un biopic, Last days est une expérience incroyable, sorte de voyage dans les méandres intérieurs d’un homme perdu. Comme dans Gerry, le travail sur le son est absolument incroyable, le rapport avec la nature est intense, le personnage s’en trouve dévoré par son immensité, reculé dans une maison en hauteur, en pleine forêt, l’endroit a des allures de tunnel, de plate-forme entre la vie et la mort. Michaël Pitt est incroyable. Il ne marche pas, il titube. Il ne chante pas, il marmonne. Il ne pense pas, il meurt. Gros choc à l’époque de sa sortie. Moins aujourd’hui, mais ça reste une grande proposition.

Eurêka (Yurika) – Shinji Aoyama – 2000

Eurêka (Yurika) - Shinji Aoyama - 2000 dans * 730 eureka2Résurrection.

   9.5   L’exemple parfait de film que j’aurais adoré découvrir sur grand écran. Cadrages divins,  photo miraculeuse (il existait la couleur et le noir et blanc, il existe désormais le « Shinji Aoyama », mélange de sépia lumineux, à la fois sombre et écarlate ) et une histoire bouleversante.

     Tout commence dans l’archipel japonais par un détournement de bus qui tourne au drame. Le cinéaste choisit ensuite de suivre les destins des trois survivants de ce carnage. Il livre un manifeste de questions essentielles basées sur le traumatisme, la culpabilité, la paranoïa, les non-dits, les destins tourmentés liés, la famille dans une succession de tableaux aussi resplendissants les uns que les autres, d’une profondeur indéniable, d’une subtilité infinie. Très souvent les corps s’enfoncent dans l’horizon, l’obscurité ; très souvent ces corps sont mutilés ou déformés à l’écran. L’ambiguité est maitresse car l’image sert d’illusion au récit. Rien n’est prêmaché, tout est subtilité. N’est-ce pas la définition même du cinéma ?

     Tout est dans l’intensité : on doute, on partage, on vie le périple de ces personnages. Un parcours qui se révèle semé d’embûches, mais aussi un long voyage initiatique vers un nouveau départ, une renaissance, une résurrection après deux ans d’absence, de mort spirituelle. Un possible voyage vers la lumière. On pense à Kiarostami évidemment mais dans un fond opposé : le personnage dans le Goût de la cerise voyage vers la mort, ceux-ci vers la vie. Je suis tout simplement resté béat comme un neuneu devant tant de beauté, devant cette expérience visuelle unique. Un miracle venu d’ailleurs.


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