7.0 En somme c’est le petit frère de Gerry, épousant les paysages désertiques un peu à la manière d’un Gus Van Sant, et surtout centrant l’histoire uniquement sur deux personnages, peut-être même deux frères. A défaut de se perdre géographiquement ici ils se perdent dans leurs illusions. Daft Punk’s Electroma ce sont donc deux hommes-robots (on s’en serait douté !) qui voyagent à travers on ne sait quel désert afin d’y changer leur visage car une espèce de chambre perdue façon 2001 peut permettre de refaire le visage en le façonnant avec des traits humains. Ils l’auront leur nouveau visage, mais au prix de leur vie… Maintenant on va pas se le cacher, ce n’est pas Gerry. C’en est même très loin. Gerry étant le film proche de la perfection autant sur un plan poétique que sur celui de la mise en scène. De Gerry on sort bouleversé. D’Electroma on sort conquis, juste admiratif. Le film des DP est aussi très musical (ce qui le différencie du Van Sant qui n’est accompagné que par moment d’Arvo Part) et il évite le clip avec brio, ce qui déjà n’est pas une mince affaire quand la musique occupe facilement les ¾ du film. Bref, c’est très bon. Et très beau. On en prend plein les yeux !
Publié 2 décembre 2008
dans * 100, * 730 et Chantal Akerman
Deux ou trois choses que je sais d’elle.
10.0 Une mère et son fils habitent un appartement de la capitale belge. Lui va chaque jour au lycée. Elle reste à la maison et vit de baby-sitting et de prostitution. En outre, le mari n’est plus, depuis six ans. Leur journée est programmée comme une horloge : Jeanne réveille Sylvain le matin avant de lui servir le petit déjeuner ; elle fait la vaisselle une fois que celui-ci est parti ; elle allume le poste radio chaque soir lorsque son fils lit et qu’elle tricote ; chaque fois qu’elle quitte une pièce elle se doit d’éteindre la lumière avant d’en allumer celle de la pièce dans laquelle est entre.
Le film commence à l’heure où Jeanne prépare le dîner (son fils arrivera plus tard) en attendant son client hebdomadaire (il dira « à la semaine prochaine »). 1h30 plus tard, le film aura fait une boucle : 24 heures. Jeanne prépare à nouveau le dîner, on sonne à la porte, elle ouvre, débarrasse le client de ses frusques superflues et l’emmène dans sa chambre.
Le choix de démarrer le film à cet instant n’est pas le fruit du hasard. C’est après la venue de cette autre personne qu’il semble se produire un premier dérèglement dans la routine de Jeanne. Sans doute que l’homme a davantage pris son temps par rapport aux autres, par rapport à ses habitudes, qu’importe, une chose est sure, quelque chose a perturbé la jeune femme. Ses pommes de terre sont trop cuites. Il ne lui en reste plus assez pour le repas, il faut qu’elle descende en acheter. Effet boule de neige, ce petit contretemps aura des répercussions sur le quotidien et la personnalité de Jeanne. Et l’on sait maintenant à quel point elle est attachée à sa routine. Le nombre de détails de ce dérèglement est absolument passionnant. Jeanne fera tomber une brosse, incident mineur, mais peu coutumier. Ou bien Sylvain lui fera remarquer qu’elle est décoiffée, la jeune femme n’ayant pas eu le temps de s’occuper de ses cheveux, perturbée par le changement du temps.
Le dérèglement à son paroxysme le lendemain matin lorsque le réveil de Jeanne sonne une heure plus tôt. C’est dès lors sans nul doute le véritable déclencheur d’une prise de conscience d’une aliénation refoulée qui conduira Jeanne à l’implosion, l’apogée se trouvant évidemment dans cette chambre de prostitution, la boucle est bouclée, dans la plus cruelle des libérations morales. La précision chirurgicale des plans, tous fixes. La réflexion sur la répétition, sur le temps. Les ellipses narratives mesurées. Une Delphine Seyrig incroyable. Un travail sonore hors norme. Des cadrages d’une justesse insolente. Chantal Akerman réussit tout ce qu’elle entreprend. Fascine durant près de quatre heures. C’est tout simplement l’un des plus beaux et douloureux films que je connaisse. C’est absolument sidérant. Chef-d’œuvre absolu !