10.0 La nuit. Les constellations. Le chant des oiseaux. Le ciel noir étoilé laisse peu à peu place à l’aube progressive, de fins rayons de soleil, puis très puissants vont envahir arbres et vallées, et laisser apparaîte un village de campagne. Il fait jour. Tout le film est à l’image de ce plan, à savoir le levé du jour en temps réel, il se révèle patient, et effectue une approche très sensuelle, naturelle d’une communauté mennonite du Mexique.
Carlos Reygadas filme au ras du sol ou à hauteur d’homme, un peu à la manière d’un Malick, se faufilant dans les hautes herbes, dans une coulée d’eau de source, l’objectif toujours frappé par ce soleil éclatant. Jamais fixe, la caméra avance, zigzague, à tel point qu’elle en devient presqu’objet de documentaire, et nous propose de planer, de s’embarquer dans ce voyage aérien.
Johan semble très contrarié. Après la prière du matin, les enfants s’en vont, probablement à l’école, sa femme s’en va aussi, il s’effondre en pleurs. En réalité Johan a le coeur tiraillé. Deux femmes l’occupent. Et pourtant ici tout se dit, cette famille comme la mise en scène du cinéaste sont d’une incroyable honnêteté. On ne saurait détecter le malheur. Pourtant Johan doit choisir. La mère de ses enfants ou cette femme de fantasme.
Il faut évidemment entrer corps et âmes dans le nouveau film de Reygadas, autrement son caractère hypnotique, envoûtant peut lasser. La nature a rarement été aussi bien sonorisée. Les plans s’étirent, encore et encore pour en atteindre le fruit de la contemplation extatique parfaite. C’est sompteux. C’est sidérant de beauté. Peut-être n’avais-je pas vu cela depuis Tarkovski.
Evidemment on pense aussi beaucoup à Bergman et Dreyer. Le tic-tac des pendules dans Cris et Chuchotements. Et surtout cette magie dans la séquence finale qui est ouvertement liée à celle de Ordet. Pour moi c’est l’un des cinq plus beaux films de ces dix dernières années, si ce n’est le plus beau. Carlos Reygadas aura au moins prouvé, ici, qu’il était le digne successeur des plus grands, alors qu’il continue à nous envoûter ainsi…