Archives pour mai 2009

Le bannissement (Izgnanie) – Andreï Zviaguintsev – 2008

Le bannissement (Izgnanie) - Andreï Zviaguintsev - 2008 dans * 2008 : Top 10 h_4_ill_911775_cannes-bannissement

Cris et chuchotements.    

     9.0   Cette voiture qui roule sans finir à travers cette ville industrielle de Russie ; ce couple et leurs deux enfants qui s’installent dans une campagne déserte et magnifique ; ces longues promenades familiales dans les champs… Tout est infinie beauté, chaque plan maîtrisé et l’on devine millimétrés, une ambiance pesante accentuée par un cadrage ras du sol et une musique lourde. Puis survient l’instant dramatique de l’histoire : l’aveu d’adultère de la femme, portant un bébé en son ventre, n’appartenant pas au mari. Dorénavant, le film accroît son climat, lourd et silencieux, à l’image du couple brisé. Le crime ou le pardon, l’instinct ou la raison, tant d’interrogations soulevés par le protagoniste brisé. Et comme paradoxalement et étrangement, le temps semble jouer contre lui, alors que jusqu’ici aucune notion temporelle ne nous était offerte. Le récit est incroyablement bien construit, d’une force singulière, intime, qui nous bouleverse. Et à l’instant où le film semble fragile par sa longueur, la linéarité est bouleversée, et on nous fait partager d’autres sentiments concernant le passé. Je suis sorti du cinéma retourné, anéanti. En un mot : Bouleversant!

Un flic – Jean-Pierre Melville – 1972

Un flic - Jean-Pierre Melville - 1972 dans Jean-Pierre Melville Un-Flic-bank-heist     7.5   Il y a un rythme, une ambiance chez Melville. Tout est silence. A l’image de la superbe séquence du train, où le cinéaste s’attarde sur l’image, le son, une scène plein de tension. Les personnages auront dit quelques temps plus tôt que leur affaire ne devait pas dépasser les vingt minutes. On n’est probablement pas loin de cela dans la retranscription, c’est quasi du temps réel. Et sans aucune parole. La première séquence aussi est fascinante. C’est un braquage, mais pas un braquage comme les autres. L’univers prime ici. St Jean de Monts, son vent, le bruit des vagues, la ville est calme, une banque, des hommes marchent, entrent, attendent… Melville effectue un travail grandiose, Melville l’ennemi du dialogue, fait comme dans le seul film que j’ai vu de lui auparavant, Le Samouraï, un film de genre doté d’une mise en scène extra, que l’on ne retrouve dans nul autre film de genre…

Nostalghia – Andreï Tarkovski – 1985

Nostalghia - Andreï Tarkovski - 1985 dans Andreï Tarkovski nostalghia

Tempo di viaggio.     

   8.0   Nostalghia raconte l’histoire de deux hommes, l’un laissant de côté ce pourquoi il fait ce voyage en Italie accompagné de sa traductrice afin de se concentrer sur le mystère de l’autre, ermite célèbre au pays, qui ne cesse de penser au devenir malheureusement matérialiste de l’être humain, qu’il pense, a abandonné définitivement sa vocation spirituelle.

     Nostalghia est un carrefour dans l’œuvre du cinéaste russe. L’homme est au plus mal. Les soucis de santé font surface d’une part, et le cinéaste vient de perdre sa mère à qui il dédie son film en toute logique. C’est un carrefour parce qu’il arrive juste après Stalker, film qui a permis à Tarkovski de s’affirmer, par conséquent il est attendu, notamment au festival de Cannes, d’où il repartira si ce n’est bredouille, avec un « prix » qu’il gagnera, au même titre que Robert Bresson pour son film l’Argent, pour sa création cinématographique, prix spécialement crée pour eux. C’est un carrefour puisque c’est la première fois que le cinéaste tourne en dehors de ses terres. Dans le pays italien, rendu un peu fantôme, avec ce village recouvert par un brouillard permanent, un village à l’architecture à la fois magnifique et menaçante.

     Et à l’instar de son film suivant, Le Sacrifice, il sera question de renoncement, de sacrifice en la personne de Erland Josephson qui s’immole par le feu après avoir offert un discours testamentaire au village, un discours noir, désespéré, non dénué d’un possible optimisme. Et surtout après avoir confié sa tâche qu’il s’essayait quotidiennement, à savoir faire la traversée du bassin brumeux une bougie allumée entre les mains, sans qu’elle ne s’éteigne. Tâche que les habitants du village empêchent d’être réalisé à chaque fois. Il demande donc à ce russe, devenu son miroir depuis cette fabuleuse séquence sous la pluie, d’accomplir cet acte qu’il juge déclencheur, important pour la survie de l’humanité, qui sera sauvée de ses maux, ses erreurs et pourra prendre un nouveau départ. C’est bien entendu, mais dans un contexte plus solitaire, le thème de son film suivant, et de cette maison qui disparaît sous les cendres.

     Sauf que Nostalghia me touche encore davantage. Sans doute parce qu’aucune barrière scénaristique n’entrave ma compréhension du récit, d’en saisir tout le fruit. Chaque image a un sens qui lui est propre. La couleur. Puis le noir et blanc (plutôt sépia même). Les cadrages. Chaque bruit est magnifié comme souvent avec le cinéaste. Un chien qui court dans une flaque d’eau et le son est accentué. Cette sublime scène de pluie avec le bruit sourd des bouteilles qui se remplissent. Les plans latéraux grands de fluidité. Les zooms d’avant en arrière. Et cette toute dernière scène : Un plan somptueux, peut-être le plus beau de tout Tarkovski réuni, où l’homme apparaît avec son chien comme dans un rêve, devant sa maison contenue par une abbaye italienne en ruines !

     Je n’ai rien dit en fait tant il y a de choses à dire. Ne serait-ce qu’évoquer la place de cette femme. Le rapport familial. La confrontation religieuse. Le thème est riche, trop riche. Mais c’est grand. Très, très grand !

Z32 – Avi Mograbi – 2009

Z32 - Avi Mograbi - 2009 dans Avi Mograbi mograbi_Z32

Après la guerre.     

   7.0   Commençons par dire que Z32 est une expérience cinématographique fascinante, au départ très exigeante, même destabilisante, mais finalement d’une intelligence hors du commun, qu’il est un ovni, à l’image de son affiche, dans le paysage actuel.

     Car le film de Mograbi a de quoi troubler dans ses premiers plans. On y voit un couple qui explique qu’ils vont se filmer, mais appréhendent de le faire. Ces deux personnages, on s’en doute assez vite, véritables personnages d’une histoire vraie, ont les visages floutés. Mograbi a dû réfléchir à cette technique évidemment puisque le gars qu’il met en scène n’a pas comme dessein premier de se faire filmer, au contraire. Afin de s’affranchir des règles qui régissent les reportages spéciaux, où systématiquement l’on ôte le visage de la personne, nous empêchant quoiqu’il arrive de comprendre, saisir des émotions. Mograbi floute ses visages au départ. Ensuite une partie des visages seulement. Ainsi l’on y verra les bouches et le nez, pas les yeux évidemment. En sorte que l’on identifie le protagoniste en même temps que l’on y découvre son visage. Par la suite l’on verra ce visage à travers un masque, puis ce visage entier, mais pas le sien, un autre, celui d’un acteur. Le dispositif technique est en lui-même déjà passionnant, sur l’évolution de l’histoire comme pour notre attachement à ce fait divers.

     Z32 c’est le nom de code, le matricule de ce soldat, qu’il avait durant la guerre Israël/Palestine. Même le titre semble nous éloigner d’une quelconque prise de vue humaine, pour finalement s’en rapprocher peu à peu. Durant une mission répressive, ce soldat accompagné d’autres, ont vidé leur chargeur sur un palestinien désarmé en pleine banlieue. Ce soldat, rongé par la culpabilité d’avoir tué, et surtout d’y avoir pris du plaisir, recherche le pardon. Celui de sa copine d’abord. Et le nôtre ensuite.

     Le montage adopté par Mograbi est très intéressant. On y voit des discussions intimes entre ce soldat et son amie. On y voit des confidences face caméra. On y voit des retours sur les lieux très ensoleillés du drame, filmé en quasi documentaire comme dans le dernier magnifique Je veux voir. On y voit aussi Mograbi chanter, accompagné d’une troupe de musicien, chanter une hymne au pardon, à la tolérance, dans une voix monotone exprimant tout le mécontentement possible face au conditionnement des soldats, devenus machine à tuer, les sentiments s’y mêlant. Car dans de nombreux films on nous dit que le soldat en guerre ne pense pas. Mais bien sur que si il pense. Il pense tout simplement différemment, il pense en guerrier. Et rien que pour avoir tenté et réussi à mettre cela en scène, je tire mon chapeau à Avi Mograbi.

Sicilia! – Danièle Huillet & Jean-Marie Straub – 1999

sicilia1Voyage en Italie.

   7.5   Je suis absolument ravi. Découvrir un cinéaste – ici un couple de cinéastes – déjà c’est découvrir un cinéma. Donc de ce point de vue là j’étais très enthousiaste, très impatient. J’avais entendu dire que c’était un cinéma difficile, exigeant. Est-ce parce qu’il s’agit de Sicilia !? Toujours est-il que j’ai trouvé ça beau et passionnant d’un bout à l’autre. En tout cas ça ne m’a pas paru inaccessible au contraire. Donc Sicilia ! Œuvre très intéressante, dès le premier plan, dès la première parole. Beau comme du Akerman (le cadre, l’attente, le bruit), profond comme du Bergman (le cadre aussi, le dialogue, la nervosité). Sauf qu’ici Huillet & Straub empruntent le roman Conversation en Sicile de Vittorini. Un homme d’origine italienne, vivant en Amérique depuis longtemps, retourne sur ses terres natales et observe, se souvient. Un vendeur d’oranges, un voyageur dans un train, sa propre mère et un remouleur. Autant de situations dialoguées pour parcourir l’histoire de la Sicile. La séquence mère/fils est somptueuse, très poétique. Séquence qui doit durer une bonne moitié du film qui m’a semblé aussi forte émotionnellement que l’histoire contée par Bibi Andersson dans Persona. Le couple cinéaste dynamite toute nostalgie ou mélancolie nuisible. Des faits, des souvenirs seulement, pas de jugement, chacun est écouté pour ce qu’il a à dire. On nous imprègne des odeurs, des bruits. On nous laisse imaginer les couleurs. Le port de Messine, le trajet de ce train (encore une fois on pense à Bergman et Akerman respectivement pour Le silence et Les rendez-vous d’Anna), le hareng sur le feu… Les personnages ne vivent pas vraiment l’histoire, ils récitent. Ils récitent Vittorini. Jean-Marie Straub a dit « C’est un texte qui n’est pas d’eux ! Donc il ne faut surtout pas qu’ils donnent l’impression que c’est d’eux ! ». Je suis entièrement d’accord avec ça. Aussi, une scène, que l’on ne verra d’ailleurs pas qu’une fois, m’a beaucoup marqué : l’objectif effectue une panoramique gauche/droite déployant l’immensité de l’espace, la campagne et la ville, avant de revenir en sens inverse et de s’arrêter sur la ville. L’objectif c’est l’œil humain ici. L’œil de l’homme sur le retour. Celui qui scrute l’horizon, qui apprend à ré apprivoiser l’endroit, sans doute celui qu’il connaissait jadis par cœur.

American gangster – Ridley Scott – 2007

American gangster - Ridley Scott - 2007 dans Ridley Scott American_Gangster

Only the strong survive.

   5.0   On va dire que globalement je suis assez surpris. Par la tournure des choses en fait. Si au début je trouve la démarche presque ratée, d’une part trop pompée sur Scorsese, sans en atteindre sa magie, mais aussi des tics de réalisation très Scottiens avec de temps à autres des petits clips de transitions entre les séquences, entre les villes surtout, et l’impression aussi de voir une géante bande-annonce… il faut dire que par la suite, déjà je suis entré dans le film, dans sa logique (même si le travail sur les personnages reste très succins) mais aussi j’y ai vu un peu de cinéma. Certaines séquences sont chouettes.

     Mais le problème avec ce cinéaste c’est que ça ne dure jamais bien longtemps une scène. La course-poursuite est bâclée (j’aurai rêvé la maîtrise d’un French connection). Les scènes de dopes dans le labo je ne m’en souviens même plus (Gray n’a pas de soucis à se faire). Et la scène – quasi – finale où chacun se fait arrêter au même instant sous ce chant de messe en off manque clairement d’émotion (Coppola et son Godfather son pénards). Voilà, en gros rien de bien transcendant, ça je m’y attendais, mais en fin de compte quelque chose, peut-être dans le rythme assez étrange du film, me permet d’y voir un film moyen + on va dire.

Rachel se marie (Rachel getting married) – Jonathan Demme – 2009

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Breaking party.

     7.0   Le temps d’un week-end et le mariage de Rachel, pour découvrir tous les secrets, tous les problèmes, les souvenirs qui surgissent – ont surgis - au sein de cette famille bourgeoise typique. Une famille accompagnée d’une autre. Celle du futur mari de Rachel. L’essentiel tourne autour de la petite soeur, ex-junkie sur le repentir qui souffre d’un passé néfaste et s’est forgée la réputation de boulet de la famille. Pas de lourds secrets incestueux à la Festen – même si on l’évoque un instant - mais plutôt un drame ancien, qui semble avoir délié le quotidien de la petite famille provinciale.

     Un week-end festif. Un week-end pour s’évader, pour oublier. Les engueulades ressurgiront mais c’est bien ce climat de liesse qui laisse ds traces après la vision du film. Des séquences absolument magnifiques comme ce face to face père/gendre au lave-vaiselles ; la scène classique du repas où chacun lèvera son verre à tour de rôle et proposera un discours ; et l’instant de la danse, illustration parfaite d’une ambiance plus tendre que houleuse même si l’on est constamment sur le fil.

     On pense parfois à Cassavetes, tant l’image du groupe, des mimiques dans le groupe, des colères dans le groupe, des cris de joies dans le groupe semblent authentiques. La fin rappelle même A woman under the influence. Le rideau que Peter Falk ferme a disparu mais c’est bien dans un style identique que l’on quitte ce groupe que l’on a appris à apprivoiser, à connaître, chaque personnage étant distillé à merveille, chaque comédien jouant à la perfection.

     La mise en scène digne d’un Von Trier ou d’un Vinterberg fait un peu mal au crâne par moment mais si tant est que l’on soit rentré dans le film on n’en sort tout de même pas de sitôt.


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