Métamorphoses du paysage.
8.5 Nous sommes à Fengje, en amont du barrage des trois gorges, non loin de Shanghai. Le lieu a son importance tant il est magnifiquement filmé. Un homme cherche son ex-femme qu’il n’a pas vu depuis seize ans et sa fille qu’il ne connait pas. Une femme, de son côté, cherche son mari qui a disparu du foyer depuis deux ans. Deux recherches. Deux âmes errantes, ou presque. Tous deux ont un but, mais il est freiné par les bouleversements des lieux. Il suffit de voir le regard de cet homme pour le comprendre. Ce village qui était jadis le sien a disparu sous les eaux du barrage des trois gorges, entraînant la disparition de souvenirs et le déplacement intégral de la population locale.
Incroyable ce qui transparaît à l’écran, autant dans la photo à tomber des lieux, cette profondeur à n’en plus finir, et ce fleuve qui semble avoir effacé un lieu, une époque. Tout comme dans l’approche des personnages, la direction des regards, vers un paysage qui n’est plus, un paysage métamorphosé. Quelquefois j’ai pensé à Je veux voir, le film de Khalil Joreige et Joanna Hadjithomas, sorti l’an dernier. Même intensité mélancolique dans les yeux des protagonistes, même tristesse muette.
Quant à la partition musicale, elle est somptueuse. Elle semble accompagner chaque plan, chaque souvenir, chaque rêve des personnages. Et ces sons qui donnent un nouveau coeur à ce nouvel endroit, le son de la destruction, des masses qui frappent la pierre, perdus dans une immensité fabuleuse. Je n’en revenais pas. J’aurais aimé que ça dure encore et encore, que chaque plan s’installe davantage.
Il y a pourtant ces deux scènes surréalistes, de cet ovni et du monument fusée, qu’honnêtement je peine à interpréter. Que tente de dire le cinéaste ? Si le premier effet semble simplement servir de liaison fantastique entre les deux histoires, qu’en est-il du second ? J’ai lu quelque part que le décollage du monument (l’histoire de la jeune femme) pourrait répondre à l’effondrement de l’immeuble, dans l’histoire suivante (celle de l’homme). On y voit donc cet éternel parallèle que Jia Zhang-Ke a construit, bâti durant toute la durée du film. Cette idée de destruction/reconstruction, un homme qui cherche à retrouver sa femme pour la reconquérir, une femme qui cherche à retrouver son mari pour le quitter, cette idée de fil entre deux rives symbolisé par ce funambule entre deux immeubles, plan qui semble tout droit sortir d’un tableau. Le monument décolle, la jeune femme souhaite détruire sa relation. L’immeuble s’effondre, un couple se retrouve. Plus qu’un parallèle, c’est une analogie directe entre la vie et la mort.
Still Life, comme 24 City cette année, parle d’un pays, et en parle de la plus belle des manières. C’est un chant d’amour, poétique, un appel au changement, la marque en tout cas d’un immense cinéaste, avec lequel j’apprends, difficilement c’est vrai avec son dernier film, mais qui me passionne comme personne. Un chef d’oeuvre!