8.0 Plein cœur de Liège, en Belgique. On suit de nombreux personnages, dans un coin industrialisé, un coin assez pauvre. Tous ne semblent pas être liés entre eux. Mais c’est évident pour chacun ce n’est pas le confort absolu. Un gentil bonhomme, d’apparence un peu bourrue, finalement tout doux dans le parlé, vit sur une chaise roulante et se plaint de ses conditions de vie qui l’ont inexorablement conduit à vivre dans ce grand immeuble délabré, où l’ascenseur tombe parfois en panne, car aujourd’hui c’est au vingtième étage que l’on cloître les handicapés dit-il. Déjà, de part un seul de ces personnages sur lesquels nous allons nous pencher, on arrive à cerner le cinéaste. Cinéma engagé, mais cinéma de l’humour aussi, et cinéma de l’espace, avec des plans très Zhang-Keien de cette cité industrielle.
Viennent se greffer à cet homme deux amis, deux de ses anciens collègues. Leur industrie a récemment fermé ses portes, Belvaux en dira très peu à ce sujet – on parlera un peu de délocalisation – il se contente de filmer des visages rabougris par les changements de ce paysage, des visages derrière des barrières scrutant ces machines qui les ont diminués avant de le faire plier. Ces machines presque humaines dans leur conception. Puis plus tard sans doute d’autres machines, celles-ci entièrement humaines, qui se tueront à la tâche pour un salaire encore plus faible. Le contexte est grave. La forme n’est pas dans la grève, est-on en mesure de brandir des bannières devant une armada de tracteurs ? Trois amis qui se retrouvent chaque jour dans ce petit bistrot, jouent aux cartes, boivent et parlent de rien. Ou sinon, comme le chanceux Patrick, retrouve son foyer, son fils, son jardin dans lequel il semble passer le plus clair de son temps. Tous ont des gueules sympas. Ce sont des corps fatigués, las de la situation, des esprits sans espoirs, sans possibilité d’avenir.
C’est une rencontre qui va tout changer. Cette construction de récit est simple, efficace et très intelligente. Il y a une empathie pour ses personnages et dans le même temps on préférerait les voir se bouger. C’est par l’intermédiaire de cet homme, Marc, nouveau venu dans le petit groupe d’amis, il travaille dans une société de bières, ça ne lui plait guère mais surtout il se rachète. Il sort de prison. Jusqu’ici c’était du Loach, ou du Zaïmeche, du Kechiche même. Le récit bascule soudainement et on le ressent d’emblée, dans le thriller, le film noir. Cet homme est une aubaine pour nos amis. Enfermé par le passé pour braquage à mains armées. Patrick veut acheter une mobylette à sa femme, Jean-Pierre veut s’acheter un nouveau fauteuil, chacun va y trouver son compte. Pourquoi La raison du plus faible ? Parce que finalement il y a une légitimité à tout ça. C’en est assez de se faire détruire. Manifester, où cela mène ? Un braquage c’est plus sympa, et la récompense est immédiate. C’est un rêve bien naïf, comme chacun des protagonistes, même Marc, le visage dur et marqué, mais dégageant une affection et une confiance singulière. On le sent, ça va probablement mal tourner, mais on a envie d’y croire. Ce ne sont pas eux les méchants, eux ne font que répondre au système avec ce qu’il leur reste. Une dignité envolée que l’on voudrait récupérer de façon ludique, personne n’est taillé pour ce boulot et pourtant les voilà lancés.
Lucas Belvaux a beau faire trois films en un, il ne délaisse jamais sa mise en scène initiale. Sa caméra virevolte dans Liège, au début autant qu’à la fin. Entre temps certains auront péris mais la ville, la fumée de cette ville les aura englouti. Il y a toujours cette immensité autour des personnages, comme si tout était beaucoup trop grand pour eux, pas à leur portée. On est dans l’amateurisme de toute façon. Marc a déjà braqué mais ça ne l’empêche pas d’avoir été pris. Le type ce n’est pas Al Capone. Et pourtant il y a cette confiance aveugle envers cet homme qui est fascinante comme si toute foi avait disparu, comme si le seul espoir inébranlable ne résidait que dans ce casse. Ils auront d’abord tenté le loto mais à quoi bon ? On les sent à l’aise dans leur nouveau boulot, investit, enfin vivant. Et les relations de ce petit groupe de personnages, aussi dépassé soit-il, permettent de voir une des plus belle histoire d’amitié de ces dernières années. Une histoire tragique et belle, pleine d’abandon et d’abnégation.