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Archives pour décembre 2009

Le ruban blanc (Das weiße band : Eine deutsche kindergeschichte) – Michael Haneke – 2009

Le ruban blanc (Das weiße band : Eine deutsche kindergeschichte) - Michael Haneke - 2009 dans Michael Haneke ruban-blanc-michael-haneke-300x200Le vent sombre.   

   8.0   Le nouveau film du réalisateur de Benny’s vidéo n’est pas tant un retour aux origines du fascisme, comme on a eu le loisir de le lire dans de nombreuses critiques cannoises, qu’une expérimentation des dérives de l’éducation répressive. S’il était imprudent, Haneke aurait très bien pu présenter son récit telle une démonstration pédagogique. Heureusement, formellement il est très fidèle à lui-même (plans-séquences fixes, hors-champs, atmosphère clinique) et utilise plus de moyens suggestifs que démonstratifs. Parfois il est même pris au piège par ses propres initiatives, on y reviendra. Mais Le ruban blanc a aussi une qualité qui le place indéniablement comme l’un des films les plus importants de l’année c’est son aspect authentique dans la fiction. Le jeu absolument irréprochable de chacun des acteurs, de tous les enfants. Sa manière de traiter l’histoire en simple toile de fond en s’intéressant avant tout au destin tragique de ce petit village, ses relations conflictuels, ses mystères, sa violence brute ou suggérée, et cette histoire d’amour pleine de pudeur que vit notre narrateur.

     J’ai choisi différentes séquences – plutôt que d’exprimer un point de vue et une admiration qui tournerait en rond – symbolisant toutes les tentatives du cinéaste, ses choix, afin de cerner au mieux la dimension émotionnelle du récit, la force de sa mise en scène et sa portée universelle.

     La première scène (soit le premier plan) est déjà fascinante. Une voix se fait entendre, elle semble appartenir à un narrateur. Elle n’évoque pas de situation historique, elle parle directement de ce village. D’une petite communauté qui vivrait sous les ordres de dieu et où rien ne laisserait envisager d’évènements tragiques. Mais, très modestement, elle se déleste de toutes vérités absolues en nous faisant savoir que tout ce qui va nous être raconté n’est probablement pas entièrement véridique. L’écran est d’abord entièrement noir avant de laisser apparaître une image, celle d’un grand verger en profondeur. Le cadre et son noir et blanc sont immédiatement prodigieux, on est saisit par cette beauté plastique autant que par la force déjà singulière du récit qui nous est comté. La voix parle d’un accident et nous voyons celui-ci se produire. Un homme sur son cheval chute violemment, à cause d’un fil invisible que l’on aurait tendu volontairement entre deux arbres. Mais ce dernier fait nous ne le saurions que peu de temps après. Ce qui me fascinait dans cette première scène c’était son pouvoir immédiat d’inscription dans l’œuvre. Dès les premières secondes nous y entrons, nous n’en sortirons jamais. Un peu comme dans Barry Lyndon de Kubrick qui nous saisit d’emblée par sa Sarabande, ce duel et cette voix cynique et amicale. Haneke est encore plus économe que Kubrick, car il fait tout cela en silence. Il faut attendre une bonne minute, une fois que le film commence, pour entendre cette voix, puis encore une avant d’y entrevoir une image. Personnellement j’ai trouvé cette idée merveilleuse. Une idée très proche du Satantango de Béla Tarr qui lui avait choisi ce travelling très lent pour dévoiler la ferme et les rues du village, tout cela dans le silence complet, excepté celui des bêtes et du vent.

     Mon second choix se porte sur un dialogue entre un petit garçon de cinq ans et sa sœur. Rudolph et Anni. Ils mangent une bonne soupe quand soudain Rudi s’intéresse au sort de la femme du paysan. Sa grande sœur lui dit qu’elle est morte. Il demande ce que cela signifie. S’ensuit une très longue discussion autour de la mort. Le rapprochement opéré avec le père, notre docteur du départ, tombé de cheval. Rudi comprend l’accident (donc la mort) mais pas sa gravité. Il demande si tout être vivant doit passer par-là. Moi aussi ? Papa aussi ? Même maman ? Et c’est à cet instant qu’il comprend qu’on lui a caché la mort de sa mère, qu’il croyait en voyage. Ce dialogue uniquement en champ/contrechamp est somptueux. Toutes ces questions surviennent comme un amas de plomb sur la tête de la jeune fille qui ne peut guère mentir, sinon s’arranger pour modérer. Rudolph l’innocent donnera un grand coup dans son bol de soupe, pour témoigner sa colère, montrer que l’on n’a pas respecté ses sentiments. Quelque part, il a déjà le visage de son père.

     Je voulais aussi intervenir sur une scène aussi magnifique que symptomatique des limites du travail de précision et de ‘cache’ d’Haneke. Nous sommes dans la demeure du pasteur. Précédemment il fait un discours moraliste à ses enfants parce qu’ils ne sont pas rentrés à l’heure et méritent donc de porter ce ruban de l’innocence autour du bras ainsi que recevoir des coups de cravache. On découvre la mère préparant les rubans. Elle appelle ses enfants. Klara et Martin. Ils rejoignent leur père dans une pièce. La caméra se fige derrière la porte. On ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur. Martin ressort, il semble devoir aller chercher quelque chose. Il revient. Une cravache à la main. Il entre, ferme la porte. La caméra se fige une nouvelle fois comme par pudeur derrière cette barrière. Perfection du hors-champ, de la suggestion d’une violence. Comme dans Funny games où après un coup de feu, l’objectif restait pointé sur la télé, couverte de sang, sans rien dévoiler de la situation, nous rendant prisonnier des faits. Haneke en est un grand spécialiste. Mais dans cette très belle scène (il faut malgré tout lui reconnaître ça) il va sans doute trop loin. Choisissant de nous faire entendre les coups infligés ainsi que les cris qui s’ensuivent. Etait-ce utile ? Il avait déjà tout dit. Du coup il se place comme voyeur dans cette séquence. Ou plutôt il nous place comme voyeur – plaisir sadique. Il ne montre pas directement mais il montre quand même. C’est vraiment dommage car tout dans cette séquence est huilée à la perfection. C’est d’ailleurs la seule chose que je lui reproche dans son film. La clarté évidente (surtout lors du second visionnage) de l’enchaînement de chaque situation ne permettait pas un tel abus de pouvoir. Mais je ne lui en veux pas.

     Une séquence sublime aussi pendant la fête de la moisson. Le narrateur nous guide encore. Il annonce un climat festif, dans lequel on baigne déjà, tout en prévoyant un événement désastreux. D’un côté cet homme qui danse avec sa future promise, ces tables pleines à craquer de bouffes, de boissons. De l’autre un paysan vengeur et désespéré qui s’en va faucher les choux du régisseur. Haneke alterne c’est assez rare chez lui. Alterner deux événements sur une temporalité identique. Cette scène est très intéressante parce qu’elle montre que même si le cinéaste a choisi l’option mystérieuse quant aux actes criminels qui surgissent un à un dans la petite bourgade, il n’a néanmoins pas oublié d’en montrer d’autres, plus évidents, souvent vengeurs, celui-ci où celui de l’oiseau en croix, tout en laissant à d’autres encore le mystère de l’accident ou non, comme celui de la jeune paysanne. C’est tout à son honneur. Et surtout ça renforce l’aspect authentique car non systématique de la récurrence des faits.

     Il y a aussi cette scène, la plus violente du film. Une des plus violentes du cinéma de l’Autrichien. En un sens je trouve qu’elle lui correspond, la violence a toujours été plus ou moins présente dans son œuvre, psychologique, sèche ou continue. Mais souvent elle apparaissait jusqu’ici par l’image, le mouvement. L’autodestruction dans Le septième continent. La tuerie dans 71 fragments d’une chronologie du hasard. Pour une fois elle est un dialogue. A part une gifle il n’y aura pas de violence physique dans cette séquence, tout passe par les mots. Le docteur est en train de se faire masturber par la gouvernante. Plan quasi identique à l’un de ceux de La pianiste. L’homme ne bande plus, il se retire, en colère et vide son sac sur cette femme, lui débite tout un tas de méchancetés, qu’il devait ruminer depuis des années, avant de lui asséner un « Mais bon sang, tu ne peux pas juste mourir ? » final. Cette scène qui montre une fois de plus l’excellente prestation de Suzanne Lothar, la mère de famille de Funny games, est un truc abominable, qui fou la chair de poule.

     Cette violence est partout dans le ruban blanc. Les hommes face aux femmes. Les parents face aux enfants. Les enfants entre eux. Les enfants face aux parents ? Mais elle est construite discrètement. Avec discernement. Dans le mensonge, les coups-bas. Elle est vicieuse. Mais imprévisible. Haneke se gardera bien de tout nous dévoiler et c’est tout à son honneur. Il ne cherche pas les coupables, comme cet instituteur à la fin ne les cherche pas non plus. Il les a sans doute en face de lui. Non c’est avant tout de savoir pourquoi qui intéresse et le cinéaste et l’instituteur, alter égo du cinéaste quelque part. Evidemment ça saute aux yeux que les enfants sont coupables sans véritablement l’être au départ, qu’il s’agit d’un concours de circonstances basé sur des idéologies autoritaires, un système de punition sans faille, des coutumes supprimant les libertés qui font de ces enfants des (futurs) êtres dangereux.

Sixteen candles – John Hugues – 1984

MTE5NTU2MzIwNzkxNzkxMTE1   7.5   Quand je pense à John Hugues j’ai en tête cette merveilleuse journée de colle où il se jouait de tous les clichés possibles et de séquences dansantes hallucinées pour déployer sa fine histoire sur la connaissance, le dialogue. Je parle bien sûr de Breakfast Club. Dans cette journée maudite on a six élèves. Six ados que tout sépare et qui à première vue se détestent tous plus ou moins. Puis, par les circonstances offertes par la punition, ils vont être amenés à se jouer de leur prof surveillant ensemble, à s’engueuler ensemble, à fumer un joint ensemble, à danser ensemble, à discuter ensemble. Car c’est toute la légèreté du film de Hugues : aspect terriblement anodin qui déploie toute sa dimension du sentiment adolescent, de son malaise dans une séquence absolument formidable de discussion en cercle. On retrouve le même style de Hugues dans Sixteen candles, très touchant sur la fin, un peu moins dans l’intensité tout de même. Mais cette fois il y a des adultes. Des adultes au sens souche familial je veux dire. Les enfants ne sont plus abandonnés à eux-mêmes véritablement, ils grandissent d’un coup en présence des grands. Enfin c’est un grand mot car le film s’ouvre sur cette fille qui n’en revient pas que ses parents ne lui souhaitent pas son seizième anniversaire – ils sont bien trop occupés à préparer le mariage de sa sœur qui a lieu le lendemain. On est par ailleurs très surpris de retrouver le petit acteur de Kramer vs Kramer, cinq ans après, dans le rôle beaucoup plus désagréable du petit frère casse-pieds. Quoi qu’il en soit Samantha doit faire avec – ou sans – et partir au lycée. Puis exit l’oubli d’anniversaire, on parle d’une boum ci et là pour ce soir et entre-temps Sam a laissé tomber un quiz sexuel anonyme dans lequel elle écrivait qu’elle voulait coucher avec Jake Ryan, le beau-gosse du lycée, qui bien entendu l’a ramassé derrière elle ! Ensuite il y aura une rencontre avec un petit branleur bien relou. Puis cette fameuse soirée. Les cartes ne sont pas entièrement distribuées, on croit voir se dessiner un semblant d’histoire, où la jeune fille utiliserait l’un pour choper l’autre, avant de finalement reprendre le branleur débile car finalement gentil. Hugues est très fort car ça ne se passera pas du tout comme ça, mais alors pas du tout. Il y aura même l’intervention de la copine de Jake laquelle, cantonnée au statut de simple poupée du lycée au départ, se révèlera plutôt déroutante. C’est ce que j’aime ici, cette faculté à ne pas suivre un chemin tracé. Cette capacité à abattre les cartes avant de les ramasser et de les redistribuer. La kyrielle de personnages que nous offre Hugues est géniale, il y a un intérêt pour chacun d’entre eux, parfois antipathiques au départ, qui finalement se révèlent être passionnant. Hugues les fait entrer en scène de façon banale, comme dans un teen-movie banal on va dire, mais arrive à faire d’eux quelque chose d’extraordinaire, qu’en fin de compte seul la bande Apatow aujourd’hui, dans un genre similaire, a su égaler.

Away we go – Sam Mendes – 2009

Away we go - Sam Mendes - 2009 dans Sam Mendes away-we-go-8-300x200

   1.0   Sam Mendes, réalisateur d’American Beauty, m’avait récemment convaincu avec ses Noces Rebelles qui perçait à vif le couple moyen américain dans ses doutes existentiels quant à sa quête du bonheur conjugal. Pas de vanité conservatrice à les voir souffrir puisque l’idée même du film consistait à observer un couple qui justement nourrissait de promesses son quotidien mais se retrouvait coincé par leur besoin irrémédiable d’un confort à jamais convoité. Away we go est un peu tout le contraire de son précédent film. A savoir le versant beauf et léger, détourné en quête nostalgique et nombriliste. Un couple est sur le point d’avoir un enfant. Il leur est tombé dessus comme ça – succulente scène d’entrée parce qu’intime – et les voilà paumés en plein doute sur leur petite vie de bohême qui ne se marie pas, à leur sens – même si Mendes ne dit jamais le contraire – avec l’arrivée d’un marmot. Ils embarquent pour un long périple prénatal à travers l’Amérique – ses parents à lui étant sur le point d’emménager en Belgique – afin d’y chercher un couple témoin. Un couple qui leur servirait d’exemple. En fait notre petit couple cherche un appartement. Il y aura des appartements trop grands ou trop petits, sales, bordéliques, d’autres d’apparence parfaite mais qui cacherait un sous plafond défaillant. Il n’y aura pas d’appartement idéal. Que cet idéal n’existe pas pour le cinéaste je suis prêt à le concevoir – Existe t-il un idéal ? – mais qu’il ne se trouve vraiment nulle part, dans aucun geste, aucune parole de ces différents personnages je trouve ça assez exécrable. C’est un film très exigeant concernant ses appartements. Donc très méchant envers ses personnages, tous plus ou moins marginaux. Mendes condamnerait-il la marginalité ? Peut-être pas tant que ça puisque notre joli petit couple, après un tête-à-tête assez réussi sur un trampoline s’en remettra enfin à lui-même et décidera de tout plaquer pour aller vivre en campagne, dans la vieille demeure familiale de la jeune femme, dont les parents sont décédés durant son jeune âge. Contradiction. Mendes vient de nous dire qu’on ne trouve pas de plénitude chez les vivants mais seulement sur les lieux de vie des morts. J’ai beaucoup souffert durant le visionnage. J’ai eu la sensation plus que désagréable que le film me disait de ne pas faire de gosses, d’abandonner toute vie de famille, de ne faire confiance ni à ses amis, ni à sa famille. J’ai trouvé le film extrêmement méchant, cynique et vulgaire. Sans compter qu’il est accompagné d’une petite soupe musicale horripilante qui finalement lui sied à merveille.

Le roi de l’évasion – Alain Guiraudie – 2009

le-roi-de-l-evasion_207931_16465Sexe fou.  

   9.0   Voilà le film de l’année 2009 qui met la pêche ! Une petite merveille incroyablement déjantée, que je mettrai bien aux côtés d’un autre film sorti cette même année, Les derniers jours du monde des frères Larrieu. Deux films fantastiques, drôles et surprenant. Deux films aux dialogues aussi improbables que leurs personnages. Et une bande-son qui vient d’ailleurs.

     Armand vend du matériel agricole dans une petite campagne du sud, il aime la vie et les hommes bien mûrs. Mais il ne ressent pas une pleine satisfaction et se pose de grandes questions sur sa marginalité. Curly (Hafzia Herzi dans un rôle surprenant) est une fille de seize ans. Lorsque Armand la sauvera d’une situation bien délicate, Curly va tomber amoureuse de lui. C’est d’abord une pulsion sexuelle puis c’est davantage. Bientôt ils se retrouveront tous deux dans une cavale assez géniale avec le sexe comme fil rouge.

     Mais il y a un flic un peu collant. Le genre de flic qui peut vous surprendre en pleine masturbation dans la nature face à un lac, en pleine fellation de votre patron. Le genre de flic qui est partout même quand il n’est pas là (la scène du bracelet électronique, tordante). Il est très calme et nous gratifie à la fin d’un ‘je suis sur une autre piste’ qui prend une tournure désopilante par la suite. L’acteur dans la peau de ce flic est fantastique. Pour moi c’est une découverte. N’importe quel acteur l’aurait mal interprété. Sa personnalité est tellement singulière, presque sereine, hypnotique, qu’un jeu caricatural aurait probablement tout détruit, l’aurait rendu détestable.

     Il y a une autre trouvaille qui vaut son pesant de cacahuètes : La Dourougne. Sorte de pomme de terre revigorante qui en plus de rendre super dynamique a des vertus aphrodisiaques d’enfer. C’est un élément majeur dans le film. Elle semble d’abord exister pour satisfaire les petites envies homosexuelles dans la forêt puis sera utilisée par notre petit couple pour fuir – entre deux plaisirs – la police qui commence à avoir des doutes quant à leur performance d’endurance. L’envie de bouger, l’envie de baiser ! Fantastique ! Et il faut voir Herzi et Berthillot courir entre les arbres, c’est à mourir de rire.

     Une scène, à la toute fin du film, concourt pour les plus beaux moments cinématographiques de l’année : Un petit vieux, pas le queutard du début bien sur, évoque sa vie sexuelle, son conventionnalisme et sa redondance « et le plus con dans tout ça c’est qu’il m’a fallu attendre soixante-dix ans pour comprendre ça… » donc ses regrets. C’est une scène somptueuse, filmée avec beaucoup de pudeur, avec une sorte de symbiose lorsque les corps nus se tournent, avec une infinie tendresse lorsqu’ils se touchent. Guiraudie, comme Reygadas avant lui, rend beau, du moins charmant, des corps que l’on trouverait laids, des corps tout du moins éloignés des canons de beauté et cette séquence en est l’illustration parfaite. Il éclate même cette barrière de la sexualité unilatérale. Deux corps nus similaires – de même sexe – ensemble ou le sexe hétéro plus traditionnel, sonnent de la même manière, se répondent, se font écho.

     Il y a quelque chose de fort dans le cinéma de Guiraudie c’est sa façon de se jouer des codes, des tendances, des conventions du dialogue. Il prend plaisir à tout contourner mais sans cynisme, à rendre sérieux une discussion surréaliste. N’oublions pas que 80% des hommes du film sont gays ! Il y a un dialogue que j’aime beaucoup qui se déroule sur une aire de drague homo. Armand fait part de ses doutes à son ami « Si hommes et femmes s’entendent, qu’ils font des gosses, que c’est comme cela depuis la nuit des temps, c’est que ça doit pas être si mal.«  Il faut voir le ton de Berthillot et le regard de son ami. Cette sensation d’un truc universellement incompris, au moins dans le cinéma de Guiraudie, et pourtant si évident. J’adore l’idée même de se poser la question. Berthillot m’a beaucoup rappelé Pharaon dans L’humanité de Bruno Dumont. Même sensibilité un peu gauche, même timidité. Personnage extraordinaire.

     Le roi de l’évasion est donc un film fou, où l’on ne sait plus si l’on rêve, si tout est réel (à l’image du cauchemar de Armand) doté d’une ambiance western plutôt étrange, un film très nature, qui bouge sans cesse à l’image de sa dourougne, gadget cinématographique comestible de l’année.

Les herbes folles – Alain Resnais – 2009

Les herbes folles - Alain Resnais - 2009 dans Alain Resnais h_4_ill_1260036_herbes-folles-bis

En panne.     

   4.5   Je n’avais que moyennement aimé Coeurs il y a trois ans. C’est un dispositif qui me plaisait beaucoup et dans le même temps je ne pouvais pas m’empêcher de le trouver grotesque, principalement dès que ça tournait autour de Dussollier ou de Claude Rich, invisible, dans son lit.

     Je ne vais pas y aller par quatre chemins pour moi Les herbes folles est un mauvais film. Non pas qu’il soit raté, simplement qu’il est mauvais. Si Hiroshima mon amour respirait la jeunesse d’un homme plein de fougue, d’un homme qui s’engageait, les herbes folles est un film daté, un film déjà vieux en sortant de la salle. Et cela n’a rien à voir avec l’âge, il suffit de voir Les amours d’Astrée et de Céladon, le dernier film de Rohmer, pour s’en persuader. Il y avait ce parfum de jeunesse que Resnais n’a pas su trouver. Que Resnais a perdu depuis Smoking/No Smoking ?

     Son dernier film ne manque pas de sympathie, mais il échoue dans tout ce qu’il entreprend, se ridiculise dans chaque séquence, provoquant un ennui latent. Ça me fait beaucoup de mal de dire ça, c’était horrible cette séance, je l’attendais ce film, j’y croyais tout simplement, et je me suis trompé. Comme je me suis trompé cette année avec Chabrol et Podalydès. Trois films usés. Trois cinéastes usés ? Donc oui il y a de la sympathie pour le cinéma récent de Resnais. Pour ces personnages pleins de folies. Ces plans colorés. Ces dialogues parfois (trop rarement ici) savoureux. Cette autosuffisance permanente. L’impression que Resnais radote, mais j’y reviendrai après.

     Quelque chose ne fonctionne pas ou fonctionne mal à l’écran. Ce personnage, Georges Palet, pourrait être quelqu’un de passionnant, vraiment. Lui qui après avoir trouvé un portefeuille s’invente un scénario dingue, qui après avoir croisé des nanas dont on y voyait dépasser le string se met en tête de les buter. Oui il est génial ce personnage, mais comme tout le reste trop appuyé. Il y a ces dialogues qui s’arrêtent aussi, pas au point, mais à la virgule. Je crois que ça sonne faux tout simplement, on voudrait tellement y croire qu’on s’agace à voir tout tomber à plat. Cet air faussement naïf de chacun des personnages, ces grimaces outrancières, cette empathie qui joue sur le burlesque conduisant évidemment à une empathie dramatique, cet air un peu trop théâtral les amenant à faire leur propre caricature.

     Et par-dessus tout ce qui me choque ici, ce sont les procédés cinématographiques grandiloquents. Qu’est ce que c’est que ces gros plans sur la braguette de Dussollier ? Ces plans saccades sur les flics qui mitraillent plusieurs fois la même question ? C’est moche merde. Même Cœurs, pourtant clinquant, était sobre à ce niveau là, beau même – toute la symbolique de Paris sous la neige. Les herbes folles n’est même pas beau. Il recycle. C’est du cinéma de recyclage, du cinéma de récup, comme dans le dernier Jeunet. On en viendrait presque à penser à de l’auto parodie. L’ami qui était avec moi m’a tout de suite dit ça dès le début du générique. C’est vrai c’est Resnais qui parodie Resnais. Jusque dans la reprise des plans « numéros sur les portes » de La guerre est finie. Il y a une volonté quelque peu naturaliste, ces fameuses herbes folles, que l’on a déjà le sentiment d’avoir croisé dans Mon Oncle d’Amérique.

     Bref, c’est une immense déception. On ne vit pas Les herbes folles malheureusement, on le subit. Oh je suis un peu dur, quand j’y repense il y a des choses originales, pas réussies d’accord, mais qui suscite un intérêt tout de même, car ce n’est pas n’importe quel tâcheron, et que forcément il y a une analyse derrière chaque plan. Certaines saynètes sont savoureuses. Le premier dialogue téléphonique entre Mme Muir et Georges Palet. La double séquence au commissariat avec Amalric, flic bizarre, plutôt froid et spontané qui voit une gravité là où les autres ne la verrait pas. J’aime aussi l’idée des herbes folles, donc ce titre. Ces brindilles improbables qui poussent entre deux dalles de bétons. Ces brindilles incomprises. Qui sont sur la tâte de Palet sur l’affiche du film. Cette déconstruction, ce récit un peu barré (mais pas suffisamment) conduisant ses personnages dans des endroits aussi étranges que ce petit coucou qui fait des pirouettes. Cette phrase surréaliste finale, bien pensée. C’est excellent mais je ne sais pas pourquoi ça n’a aucun effet sur moi. Aucun sourire. Aucune admiration. C’est un comble qu’un film d’une telle envolée me paresse pantouflard quand même.

Persécution – Patrice Chéreau – 2009

Répulsion.     Persécution - Patrice Chéreau - 2009 dans Patrice Chéreau persecution_80

   2.5   Persécution se clôt sur Mysteries of love chantée par Antony & the Johnsons, reprise sur le thème splendide de la série Twin Peaks de Lynch. Mysteries of love évoque l’amour, la douleur, son grand mystère. Chéreau aurait du appeler son film ainsi car il s’agit davantage d’un film d’amour, sous toutes ses formes, qu’un film de persécution. Sinon l’amour, le don de soi. Mais pas n’importe lequel, celui qui espère un résultat. C’est la personnalité habitée par Romain Duris. Cet ouvrier obsédé par la réussite professionnelle qui navigue sur de nombreux chantiers et se retrouve embringué dans de multiples relations humaines difficiles. Avec sa petite amie, laquelle très occupée, ne peut être à ses côtés régulièrement. Un ami qui a réussi mais qui est passé au stade de looser invétéré, coincé dans sa vie de merde dira Duris. Des personnes âgées qu’il s’en va visiter, s’occupe d’eux, nous l’apprendrons plus tard, dès l’instant qu’il a perdu son père. Duris qui fait du Duris. Un peu le même que chez Audiard. Tout aussi insupportable. C’est marrant parce que la mise en scène m’a fait penser à du sous-Audiard. Des plans serrés sur les visages, une caméra qui suit chaque corps derrière la nuque, qui tourne autour, une musique – plutôt des sons – stridentes tentant de faire passer un climat d’angoisse. Chéreau tente beaucoup. Il tente tellement qu’il se produit un énorme décalage dans son film, peut-être que c’est voulu, j’en doute. Chaque personnage semble faux. Chaque relation paraît fausse. Tellement tablée sur l’écriture qu’à défaut d’être identificatrice elle en devient éreintante. On ne sait plus si l’on doit en rire ou en pleurer, une chose est certaine si le dernier est visé ça ne fonctionne pas. Je n’ai même pas parlé d’Anglade qui pourtant semble être le persécuteur du film. Pour moi il n’était qu’un chaînon manquant dans la vie de Duris, cet homme qui va lui faire se rendre compte que lui aussi, à l’instar de tous ceux autour de lui, est complètement à côté de la plaque. Anglade n’existe pas dans ce film, c’est la conscience de Duris. Il y a aussi ce surlignage sans cesse. Duris joue un personnage fou, incapable du moindre calme, d’un peu de stabilité. Et le cinéaste appuie cela en le montrant en train de parler dans ses rêves, en montrant son appartement aussi bordélique que son chantier. Scène finale plus que désagréable qui voit ce couple se défaire pour avoir ressenti cette impossibilité de cohabitation, une séquence longue de corps enlacés, de réactions violentes, pulsionnelles, un verre se casse, le couple, désormais face à face, ramasse les morceaux, les éparpille sur la table. Gainsbourg s’en va d’un côté. Duris de l’autre. Mysteries of love. Mauvais film.. 

La vie de Jésus – Bruno Dumont – 1997

35.11La cinquième saison.

   8.5   Il s’agit du tout premier film de Bruno Dumont et c’est une merveille. Plastiquement irréprochable (il obtiendra une mention spéciale caméra d’or à Cannes, pendant que Suzaku, le chef-d’œuvre de Naomi Kawase raflait la plus haute récompense) tant Dumont filme le Pas-de-Calais comme personne, saisi à merveille ces silences harmonieux et terrifiants qui règnent dans ces villages de campagne, et n’hésite pas à agrémenter son décor de violence par des plans d’ensemble magnifiques. Mais La vie de Jésus parle d’amitié, d’amour, de jalousie, de racisme aussi. L’amour maternel avant tout. Car l’on découvre ce garçon, Freddy, avec sa maman dans les premières images. Il y a peu d’échange, la télé semble prendre trop de place, mais on sent comme une fusion entre cette mère et son fils. Il fait une crise d’épilepsie, c’est courant, elle le prend dans ses bras et le calme. L’amour sexuel aussi, que Dumont filme crûment au plus près de l’acte, avec pudeur aussi démontrant que l’on est capable de montrer sans racoler, et intimement, dans les discussions comme celle sur le télésiège. Ce garçon qui voudrait voir la ville, Lille, dit-il, pendant que cette fille lui montre les vertus de la campagne en lui demandant d’admirer le paysage qui s’offre à eux. La force implacable de l’amitié, peut-être la plus proéminente car la plus salvatrice, où l’on voit Freddy traîner avec ses potes, faire des balades en moto, retaper leur voiture, jouer à la fanfare municipale, ne rien faire, ou au début aller rendre visite au frère de l’un d’entre eux, malade du sida et proche de la fin.

     C’est par l’ellipse et sa non-temporalité que Dumont fait grandir ce petit monde. On ne saura jamais explicitement à quelle époque nous nous trouvons, on est guidé nous aussi par le vent régulier des saisons. Un moment ce pauvre garçon malade meurt, nous l’apprenons que beaucoup plus tard, ou peut-être juste après, il restera toujours ce mystère du temps. Et depuis La vie de Jésus Dumont a toujours fonctionné de cette manière. Il met en place, tisse sa toile, fait des sauts dans le temps, guidés par les simples interactions entre ses personnages et leur situation. Demester et la guerre dans Flandres. Pharaon et ce crime dans L’humanité. Il raconte pendant une bonne partie du film ce quotidien banal que vit ce petit groupe jusqu’à un dérèglement, anodin au départ et qui va prendre une ampleur considérable qui fera basculer Freddy dans une violence sans nom, sentant son honneur bafoué, sa fierté anéantie, pensant perdre la seule fille qu’il ne voulait pas perdre. Il y a une angoisse qui se pointe crescendo dans ce film. Des insultes racistes dans un premier temps. Puis des paroles méchantes, vengeresses largement aidées par l’effet de groupe. Le garçon victime est arabe, mais il aurait très bien pu être parisien, ou trisomique, peu importe, c’est sa différence qui aboutit à cette haine. Même pas une haine, simplement l’avidité de pouvoir, de violence aussi. Ou peut-être aussi la protection de l’autre sexe, seule ici, comme quelqu’un qu’on cajole, quelqu’un d’intouchable, qui permet sans doute à Freddy d’être le chef de groupe. Dumont se garde bien d’expliquer quoi que ce soit. Il filme un groupe, des jeunes qui s’amusent, qui ne mesurent pas leurs gestes, leurs pensées et en somme sont déjà plus ou moins condamnés au même titre que Kader, dès qu’il a mit ses pieds dans l’essaim et ne s’est pas laissé faire.

Kinatay – Brillante Mendoza – 2009

Kinatay - Brillante Mendoza - 2009 dans * 2009 : Top 10 kinatay-3-300x200

Voyage au bout de l’enfer    

   9.0   Mendoza est l’un des grands cinéastes jeunes à suivre. John John et Serbis le prouvait, Kinatay le confirme. Ce dernier est son film le plus intense, le plus suffocant. C’est une expérience cinématographique hallucinante qui diffère quelque peu de ses précédents films et tant mieux. Dans les premières minutes on se croirait à nouveau dans John John. Même effervescence de la ville. Puis, lorsque la nuit va tomber c’est un nouveau visage que nous montre Mendoza. Un cinéma du temps réel ça on le savait déjà, un cinéma de l’horreur version torture réaliste, surtout un cinéma expérimental déjouant les sons de l’extérieur par des sons artificiels stridents, angoissants, rappelant certains films d’horreur, dont il est en train de s’approprier les codes, de les utiliser à sa manière.

Un jeune homme d’une vingtaine d’année, qui prend des cours de criminologie (ironie du sort, premier clin d’œil à un possible film de genre) afin de devenir policier, vit avec sa petite amie, avec qui il va se marier en début de film (nouveau clin d’œil via la suite de l’histoire au genre Horreur avec un événement important renforçant le paroxysme de l’histoire donc sa non-crédibilité) et son bébé de sept mois. Pour y survivre il fait des petits boulots nocturnes illégaux, principalement liés à la drogue. Balades dans Manille, mariage express à la mairie, passage devant un attroupement de journalistes et passants attendant le suicide d’un citoyen. Caméra à l’épaule, lieux très bruyants, Mendoza fait du Mendoza et déjà c’est assez magnifique.

Puis il y a une scission, une cassure très nette dans ce quotidien tracé. Un boulot plus important qui rapportera un max de fric. Peping est alors embarqué dans une bagnole avec d’autres types. Un long voyage en quasi-temps réel, se jouant entièrement dans le silence, avec seulement les bruits de la ville, les klaxons, les cris, et comme seule lumière les phares des voitures, les lampadaires sur les trottoirs. L’objet de ce voyage c’est une fille, appelée Madonna, qui n’a pas réglé ses dettes de dope. L’enlèvement est très violent, Peping ne peut pas broncher, il est déjà l’impuissant. La deuxième partie du voyage est d’une intensité rarement atteinte. En plus des bruits initiaux, ceux de la jeune femme, qui s’égosille pour rien derrière un amas de scotch, pleure à grands sanglots, ceux artificiels qui renforcent cet enfermement, la peur qui se joue sous nos yeux, nous qui découvrons tout en même temps que Peping. Nous sommes Peping finalement.

La dernière partie du film n’est pas racontable. Elle se vit. On bascule dans l’horreur suprême, le tout filmé de façon très pudique (en tout cas pour un film d’horreur). Filmé du point de vue de Peping. Nous voyons ce qu’il voit. Il ne peut agir et devient complice du drame. Aucune complaisance là-dedans, nombreuses sont les séquences insupportables que Mendoza se garde de nous passer. Ou seulement en hors champs. Seuls les sons seront présents. Peut-être est-ce pire ? Quoi qu’il en soit, ce voyage au bout de la nuit, où le levé du jour apparaît comme un coup de massue, un retour au réel (la circulation), aux besoins quotidiens (un morceau de bœuf ?), à la vie intime (une femme et son enfant) est le truc le plus malaisant vu cette année. Sans oublier cette incapacité de Peping à prendre un autre taxi à la toute fin du film. Cette impuissance (symbolique) qui le conduira à reprendre le même. La réalité de sa nuit cauchemardesque a rejoint la réalité de son quotidien. J’étais content d’en sortir. Et pourtant je rêve d’y retourner, tant c’est une expérience hors du commun.

Visage – Tsaï Ming-Liang – 2009

visage_5   6.5   Voilà le film ‘barré’ de Cannes ! Un cinéaste, joué par l’acteur fétiche de Tsaï Ming-Liang, tourne au Louvre. On ne verra pas vraiment de tournage. Ni de préparatifs. On sait juste que la troupe recherche Antoine et un cerf, personnages importants de l’intrigue, qui ont disparu. Entre temps une inondation chez le cinéaste intervient, la scène dure, il essaie de colmater tout ça mais n’y arrive pas, une scène incroyablement drôle et magnifiquement filmée. Entre temps toujours, Laetitia Casta barricade les fenêtres de scotchs noirs après avoir chanté un truc kitch aux côtés d’un cerf. Antoine (Jean-Pierre Léaud, tiens tiens ça évoque quelque chose) semble avoir perdu la tête sur sa chaise entourée de miroirs dans la neige. Trois femmes, récupérées de chez Truffaut ne savent pas pourquoi elles sont à table, qui elles attendent mais en tout cas elles ont soif. Amalric et un jeune taiwanais se masturbent et se sucent mutuellement, avant d’être interrompu par une sonnerie de téléphone, tout cela en un plan fixe de cinq minutes cadré visages. Fanny Ardant perd une chaussure dans la neige et s’agace. Scène géniale ! Antoine chante « Kumbawé »(sic) dans une position où l’on croirait qu’il vient de découvrir comment faire du feu. Voilà, en gros c’est de ce calibre là pendant tout le film. On ne comprend pas grand chose si ce n’est que Truffaut semble pas loin. Tsaï Ming-Liang s’éclate à nous montrer un truc décousu, car c’est vraiment du grand n’importe quoi, entre séquences kitch (le play-back de Casta justement) et plans divins (la scène de la cigarette), où nous sommes partagés entre l’ennui (l’ultime plan par exemple) et l’excitation suprême (la scène de danse de Casta, qui paraît avoir des membres en trop, et arrose, nibards à l’air, le cinéaste de sauce tomate). Disons que le film pourrait être une épreuve au bout de ses 140 minutes mais finalement, outre certains moments ennuyants, je me suis senti bien devant. Et puis il est tellement barje qu’il en devient fascinant.


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