Sexe fou.
9.0 Voilà le film de l’année 2009 qui met la pêche ! Une petite merveille incroyablement déjantée, que je mettrai bien aux côtés d’un autre film sorti cette même année, Les derniers jours du monde des frères Larrieu. Deux films fantastiques, drôles et surprenant. Deux films aux dialogues aussi improbables que leurs personnages. Et une bande-son qui vient d’ailleurs.
Armand vend du matériel agricole dans une petite campagne du sud, il aime la vie et les hommes bien mûrs. Mais il ne ressent pas une pleine satisfaction et se pose de grandes questions sur sa marginalité. Curly (Hafzia Herzi dans un rôle surprenant) est une fille de seize ans. Lorsque Armand la sauvera d’une situation bien délicate, Curly va tomber amoureuse de lui. C’est d’abord une pulsion sexuelle puis c’est davantage. Bientôt ils se retrouveront tous deux dans une cavale assez géniale avec le sexe comme fil rouge.
Mais il y a un flic un peu collant. Le genre de flic qui peut vous surprendre en pleine masturbation dans la nature face à un lac, en pleine fellation de votre patron. Le genre de flic qui est partout même quand il n’est pas là (la scène du bracelet électronique, tordante). Il est très calme et nous gratifie à la fin d’un ‘je suis sur une autre piste’ qui prend une tournure désopilante par la suite. L’acteur dans la peau de ce flic est fantastique. Pour moi c’est une découverte. N’importe quel acteur l’aurait mal interprété. Sa personnalité est tellement singulière, presque sereine, hypnotique, qu’un jeu caricatural aurait probablement tout détruit, l’aurait rendu détestable.
Il y a une autre trouvaille qui vaut son pesant de cacahuètes : La Dourougne. Sorte de pomme de terre revigorante qui en plus de rendre super dynamique a des vertus aphrodisiaques d’enfer. C’est un élément majeur dans le film. Elle semble d’abord exister pour satisfaire les petites envies homosexuelles dans la forêt puis sera utilisée par notre petit couple pour fuir – entre deux plaisirs – la police qui commence à avoir des doutes quant à leur performance d’endurance. L’envie de bouger, l’envie de baiser ! Fantastique ! Et il faut voir Herzi et Berthillot courir entre les arbres, c’est à mourir de rire.
Une scène, à la toute fin du film, concourt pour les plus beaux moments cinématographiques de l’année : Un petit vieux, pas le queutard du début bien sur, évoque sa vie sexuelle, son conventionnalisme et sa redondance « et le plus con dans tout ça c’est qu’il m’a fallu attendre soixante-dix ans pour comprendre ça… » donc ses regrets. C’est une scène somptueuse, filmée avec beaucoup de pudeur, avec une sorte de symbiose lorsque les corps nus se tournent, avec une infinie tendresse lorsqu’ils se touchent. Guiraudie, comme Reygadas avant lui, rend beau, du moins charmant, des corps que l’on trouverait laids, des corps tout du moins éloignés des canons de beauté et cette séquence en est l’illustration parfaite. Il éclate même cette barrière de la sexualité unilatérale. Deux corps nus similaires – de même sexe – ensemble ou le sexe hétéro plus traditionnel, sonnent de la même manière, se répondent, se font écho.
Il y a quelque chose de fort dans le cinéma de Guiraudie c’est sa façon de se jouer des codes, des tendances, des conventions du dialogue. Il prend plaisir à tout contourner mais sans cynisme, à rendre sérieux une discussion surréaliste. N’oublions pas que 80% des hommes du film sont gays ! Il y a un dialogue que j’aime beaucoup qui se déroule sur une aire de drague homo. Armand fait part de ses doutes à son ami « Si hommes et femmes s’entendent, qu’ils font des gosses, que c’est comme cela depuis la nuit des temps, c’est que ça doit pas être si mal.« Il faut voir le ton de Berthillot et le regard de son ami. Cette sensation d’un truc universellement incompris, au moins dans le cinéma de Guiraudie, et pourtant si évident. J’adore l’idée même de se poser la question. Berthillot m’a beaucoup rappelé Pharaon dans L’humanité de Bruno Dumont. Même sensibilité un peu gauche, même timidité. Personnage extraordinaire.
Le roi de l’évasion est donc un film fou, où l’on ne sait plus si l’on rêve, si tout est réel (à l’image du cauchemar de Armand) doté d’une ambiance western plutôt étrange, un film très nature, qui bouge sans cesse à l’image de sa dourougne, gadget cinématographique comestible de l’année.