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Archives pour janvier 2010

La moustache – Emmanuel Carrère – 2005

la-moustacheLa science des rêves.    

   7.8   En se rasant un matin, Marc demande à sa femme quel effet ça lui ferait de le voir sans moustache. Elle lui répond qu’elle n’en a aucune idée car elle ne l’a jamais vu sans, puis se dérobe. Marc rase alors sa moustache. Il attend qu’on le remarque. Sauf que personne (ni sa femme, ni ses amis, ni ses collègues) ne lui fera la remarque. Quoi de plus vexant ? Probablement pas grand chose. Un changement aussi flagrant qui passe inaperçu. Marc va le prendre avec beaucoup de calme. Finalement c’est sa femme qui en fera les frais la première. Il s’agace, lui demande si elle ne remarque rien. Pas de réaction. Il s’emporte littéralement. Elle lui demande de lui expliquer, lui demande pourquoi c’est si dur à dire. Il lui répond que c’est très facile à dire mais que normalement il n’y a pas besoin de le dire. En fin de compte il lui dira. Le problème ne s’arrête pas là. Elle lui répond avec beaucoup d’assurance et d’incompréhension qu’il n’a jamais porté la moustache. Et ses amis confirmeront. De quoi devenir dingue ! S’il ne peut avoir confiance en ceux qui sont devant lui, il va tenter de le faire avec des objets. Un album photo. La moustache est bien là. Au moment où il veut le montrer à sa femme, les photos ont disparu. Pire, elle nie être aller à Bali, lieu représenté sur les photos. A cet instant il croit à une manipulation ultime, et nous aussi, dans laquelle il serait la victime. Un peu façon The Game de Fincher. Un événement va être encore plus fou. Il parle de ses parents, parce qu’ils doivent aller y manger bientôt. Elle semble bizarre. Tes parents ? Oui mes parents, bien entendu, mes parents… Mais ton père est mort l’an dernier lui dira t-elle. A cet instant je crois avoir été encore plus perdu que lui. La façon dont sa femme lui assène cette phrase franchement j’en avais des frissons.

Deux hypothèses :

La plus probable, Marc est fou. Et c’est de pire en pire de jour en jour. Pas vraiment d’explications donc aux situations puisque l’on peut même douter de la véracité de tout. Si l’on voit tout de son point de vue c’est comme si l’on devenait fou avec lui. Jamais on ne verra de séquences extérieures à Marc. Jamais rien qu’il ne puisse pas voir.

Aussi on peut penser au rêve. Auquel cas Marc rêverait qu’il devient fou. J’aime à envisager cette hypothèse car elle me semble moins négative, elle me dit que je peux croire en ce que je vois, en somme elle me laisse une échappatoire. Car s’il n’y a pas rêve, il y a folie c’est évident, et s’il y a folie, qui nous dit que tout ce que l’on voit n’est pas purement factice.

     En fait ce qui me fait croire à un rêve c’est la carte d’identité. Admettons que tout ne soit que folie. Marc a tout de même nombreux de ses repères. Il semble réfléchi, parfois serein. Il y a bien un moment qui me perturbe c’est lorsqu’il regarde les photos de Bali la première fois. Je suis à sa place ma femme ne dort pas, même pas la peine. Je lui fais avouer que je porte une moustache. Au lieu de cela Marc l’appelle, elle fait mine de dormir, il ne fera rien. Personnellement c’est moi, elle se réveille ! Bref, passons ce détail discutable. Il y en a un autre plus imposant. La carte d’identité. Pourquoi ne se servirait-il pas de cette preuve irréfutable contre son entourage ? C’est ici que ça cloche. Seul un rêve peut lancer une idée aussi lumineuse (la vérification par l’extérieur) et ne pas s’en servir par la suite. Les photos reviennent systématiquement avant de totalement disparaître, pas la carte d’identité où il porte la moustache dont on ne parle guère ensuite. C’est le seul indice qui va nous permettre de penser à quelque chose qui ne serait plus du domaine de la manipulation, ni de l’absurde, mais tout simplement du rêve. Ou alors il est vraiment fou et imagine qu’il porte la moustache sur sa carte d’identité ce qui n’est pas le cas. Il imaginerait cette rencontre au photomaton qui lui donnerait raison, rencontre qui n’existerait pas non plus. Il faut alors accepter que tout ce que le spectateur voit est ce que Marc voit. Ça me semble gros quand même. Je préfère me dire qu’il rêve. Comme Diane dans un certain film.

     La moustache c’est avant tout une curiosité. Son titre bien entendu. Aussi alléchant que terrifiant. Puis c’est un voyage aussi drôle qu’agaçant. On pense à Lynch par moment. Dans la façon de jouer sur deux niveaux de réalité ou non. Sur cette capacité à ne pas tout nous pré-mâcher. Sauf que chez le cinéaste américain c’est toujours très fantaisiste, très excitant. Ici c’est tout le contraire. C’est très terre-à-terre, beaucoup plus intime (beaucoup moins de personnages) ce qui rend l’expérience tout aussi marquante. Au moins perturbante. Et il y a l’incarnation de Vincent Lindon qui est formidable. Totalement habitée. C’est un film très silencieux. Film de mimiques. Film qui parfois se permet même le luxe de suspendre le temps sur un regard, un visage en perdition, une caméra tourbillonnante, une machine à laver. C’est un film d’objets : Un lacet, un album photo, une veste, une carte postale. C’est un film de disparition. Et aussi un film d’errance, scènes sublimes dans Hong Kong. Et bien entendu, certains moments font froid dans le dos.

     En fin de compte j’aime à penser que le film ne répond pas vraiment à nos interrogations. Du coup chacun y trouve ce qu’il cherche.

Max et les ferrailleurs – Claude Sautet – 1971

Max-et-les-FerrailleursLa peau de Max.     

   8.0   C’est une enquête de police vécue comme une tragédie grecque. Max est un flic sans scrupules qui débusque ses proies méthodiquement en ne faisant aucune concession. En cherchant à remonter aux sources d’une grosse crapule il va tomber sur un ami d’antan, qui connaît probablement le bonhomme, qui fait du business bas de gamme. Max va l’utiliser, sans remords. Et de fil en aiguille, aussi par l’intermédiaire d’une prostituée qui fait partie de la bande, il va réussir à les embarquer dans un hold-up. C’est l’obsession du flagrant délit, dira l’un des personnages. Max a perdu une bataille, du temps où il était juge, pour faute de preuve. Etre passé flic, c’est sa revanche, il a maintenant toutes les cartes en main et n’hésite pas à utiliser toute son intelligence de ripoux. Si le désir ultime de voir tous ces minables au trou paraît indétrônable, Max a pourtant une faille. Il va tomber amoureux de Lilly, la prostituée. C’est dans ce cheminement relationnel que Sautet réussit un truc remarquable. Max semble impassible au départ, tout droit sorti d’un Melville, puis sa sévérité se délite. On le voit apparaître sur son visage. Les traits se creusent. Il n’y a plus certitude mais hésitation métaphoriquement reproduite par un possible bouleversement dans les plans de la petite bande, qui en arrive à prendre les armes. Max perd peu à peu le contrôle. Il devient humain en quelques sortes. La fin et ce hold-up qui forcément tourne mal puis le tête-à-tête avec Lilly en larmes et pour finir sa discussion avec ce petit flic indic, au départ simple marionnette, qui dorénavant maîtrise la situation en dit long sur le changement de Max, dont la mécanique professionnelle a été écrasée par les sentiments.

Bliss (Whip it !) – Drew Barrymore – 2010

19196491-1024x680Terrain d’entente.

     6.5   Il y a d’abord la volonté refoulée de s’extraire du cocon familial. Bliss vit dans une famille modeste, n’a que très peu de libertés, entre le lycée et son petit boulot qui lui permettra de payer ses études. Elle a 17 ans. Cette extraction instantanée (une révélation un jour dans un magasin) va être poussée à son paroxysme en remplaçant ni une ni deux sa réussite scolaire et ses concours de beauté si chers à sa mère par le derby roller. Inutile de préciser que cela se fera dans un premier temps dans le plus grand des secrets. Secrets qui visent à être détruits un moment donné à cause du problème de l’âge – Pour participer aux tournois il faut être majeur. Exceptionnellement Bliss aura donc 22 ans. Mensonge qui n’entre pas en phase non plus avec son éducation. Nouvelle extraction. Une fois que l’on atterrit dans ce monde bien à part, où les coachs ont des shorts en jean car il n’y a qu’ça de vrai, où le but est de se chambrer en permanence et de s’éclater, le film prend une tournure essentiellement basée sur l’importance du rythme. Les séquences de rollers ne sont pas spécialement bien orchestrées, on attend d’être véritablement embarqués, même si le montage épileptique offre bien cette sensation de vitesse d’une piste ovale. On ne comprend pas vraiment les règles, si ce n’est qu’il faut attaquer, dépasser ses adversaires pour gagner des points, que l’on a le droit de jouer des coudes, que c’est même recommandé, que faire la technique du coup de fouet – d’où le titre original – vous propulse souvent jusqu’à la victoire.

     Bliss est un film d’actrices. D’actrices casse-cou que l’on pourrait voir chez Cameron : Juliette Lewis (les traits vieillis mais toujours au taquet), Zoe Bell (la cascadeuse de Boulevard de la mort), Drew Barrymore et bien d’autres. Pour autant on y évoque les hommes. Quand la femme encaisse et prend des coups ici, l’homme lui est très sensible. C’est un père qui pour préserver son couple fait croire à sa femme qu’il travaille dur pendant qu’il regarde un match de football. C’est un garçon qui cache une attirance profonde par un besoin d’autorité. C’est un présentateur aussi beauf que touchant. On aimerait que la réalisatrice s’y penche davantage mais on va s’en contenter. Parce qu’avant tout c’est Bliss qui nous intéresse. Dans sa découverte sexuelle, elle croit découvrir l’amour. Finalement ce plaisir sexuel sera celui de la piste. J’irai même jusqu’à penser que Bliss, que l’on appelle maintenant Baby Ruthless, dans son évolution nouvelle, ressent une attirance sexuelle féminine qu’elle ne peut pour le moment définir, cela n’entrant pas dans le cadre de son éducation sclérosée. Quelque chose d’étrange se passe entre elle et la Madone, comme si l’une cherchait l’autre et vice-versa. Pas étonnant qu’elles occupent le même poste sur la piste. A la fin l’une aura gagnée mais l’autre aura réussit une figure incroyable. La gagnante la félicitera. La perdante lui dira que si elle le désire elle pourra lui apprendre. Les deux derniers regards qu’elles se lancent en disent longs sur leurs sentiments.

     Bliss est un film cool, très à l’image de Drew Barrymore d’ailleurs, qui s’est octroyé le rôle d’une cinglée, sorte de clown de la bande, qui arrive toujours en retard, se fait expulser à chaque match, frappe son mec pour le saluer, oui sorte de jackass sur patins. Elle est hilarante. On y retrouve donc notre joli couple de Fever pitch, des Farelly, qui ont tous deux ici des rôles secondaires, mais très important. Jimmy Fallon ayant troqué sa passion du base-ball pour celle de présentateur de derby roller féminin, bavard, pervers et déjanté. Car Bliss est un film qui donne envie de chausser les rollers. Les bleus ne foutent même plus la trouille. Finalement c’est un film qui dit qu’il faut s’extasier, se trouver, recevoir des coups mais ne pas s’enfermer dans un climat que l’on assume pas – la copine par exemple. La mère assume cela. Le film ne le remet jamais en cause, même à la fin. Il dit juste que parfois les chiens peuvent faire des chats, et qu’il faut vivre au gré de ses envies avant tout.

The mist – Frank Darabont – 2008

18897689.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxThe host of seraphim.    

     8.5   A l’origine c’est une nouvelle de Stephen King. Et ce n’est pas la première fois que le cinéaste adapte le romancier, rappelons-nous La ligne verte. Un film éreintant, pompeux, ridicule qui fait l’apologie christique et ne remet jamais en cause la question de la peine de mort. Bref l’horreur. Ce n’est donc pas sans inquiétudes que j’allais me pencher sur cette nouvelle adaptation qui toutefois avait un cachet Carpenterien (The fog) qui m’interpellait.

     Je ne connais pas la nouvelle mais il paraît que le film lui est très fidèle, surtout au début. Peu importe. On est aux Etats-Unis, une tempête a éclaté dans la nuit, a ravagé des habitations, fait tomber de nombreux arbres. Cette petite famille bourgeoise qui ont vu un tronc traverser leur atelier peinture, un autre anéantir leur hangar n’a en plus pas de superbes relations avec leur voisin d’à côté, à qui le dernier arbre appartient. Par un concours de circonstance et beaucoup de calme, ils vont se retrouver lui, son fils et son voisin – sa Mercedes ayant été écrasé – embarqués pour aller au supermarché. Supermarché qu’ils ne quitteront pas de sitôt. Une épaisse brume encercle le magasin. Un homme en sort ensanglanté criant qu’un de ses amis a été littéralement emporté. Point de départ plus que passionnant de ce film qui n’a commencé que depuis cinq minutes.

     La suite est un huis clos total. On écoute les uns, on remballe les autres. On prend son mal en patience ou alors on quitte précipitamment l’endroit. Un premier accident a lieu – celui qui anéantira le minium de confiance qui était installée – où par un excès de bravoure inconsciente, un jeune garçon est dévoré, emporté par des tentacules. Un groupe a vu ce qu’il s’était passé. Un autre n’en croira rien. Tentacules ! They’re crazy! Certains décident alors d’agir par eux-mêmes, de sortir dans la brume. L’idée tourne mal. Au moins ça a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Et The Mist va fonctionner comme cela tout le temps. Ce n’est pas tant l’extérieur qui s’avère être inquiétant c’est le magasin lui-même, la communauté qui y est enfermée, les choix proposés, les choix refusés. Trois soldats qui ne sont pas très nets. Des suicides. Une fervente religieuse qui se dit être le messager de dieu et comprendre que le temps de l’apocalypse est venu. L’arrivée d’une arme à feu.

     Ce sont tous ces évènements qui vont amener cette communauté à s’autodétruire, à imploser, alors qu’ils ont tout pour tenir un maximum de temps ensemble. On se retrouve vite dans un cas où l’homme n’est plus qu’un primitif. Il devient irréfléchi, uniquement instinctif. Et très violent. Alors même si l’on a le droit à quelques grosses ficelles comme cette conversion prématurée de cet homme qui est tomber nez à nez avec des araignées géantes, on est en droit se demander si ça ne sonne pas juste quand même. Si l’on observe bien, une grande partie du groupe n’a plus aucun repère et pire a perdu toute forme d’espoir. Le choix simple de se retourner vers cette personne qui semble être la seule à gérer la situation, bien que ce soit sur une thématique religieuse, est somme toute très logique. On se rattache à un espoir illusoire, quel qu’il soit.

     La violence qui irrigue nombreuses séquences du film est déjà désarmante mais n’est rien à côté de ce que l’on vit dans la dernière partie du film. Rarement je n’avais vu un film aussi sévère. Un film qui anéantit tout acte d’héroïsme. Un film sans porte de sortie. La fin dans la brume est un truc insupportable avant de devenir carrément horrible. Pas de punition (la femme cheveux courts qui ne peut rester car ses enfants sont seuls l’illustre à merveille) . Pas d’intervention divine (c’est un problème scientifique qui est en cause). Simplement aucun espoir. Ou s’il en est un, malheureusement tardif.

Tetro – Francis Ford Coppola – 2009

19187500Affaire de famille.     

   8.0   Le grand retour de Sir Coppola ! Malheureusement je ne connais pas son précédent film, L’homme sans âge, mais paraît-il que c’est excellent. Il paraît aussi que ce Tetro est un cran au-dessus. Je veux bien le croire. Quelle séance de cinéma formidable ! Quelle magnifique histoire ! Tetro évoque avant tout les retrouvailles de deux frères. De passage dans le coin le jeune Bennie vient rendre visite au frangin qu’il n’a pas vu depuis son enfance. Tetro. C’est le nouveau prénom de ce frère, autrefois appelé Angelo. Bennie veut d’abord comprendre pourquoi son frère lui avait laissé une lettre mentionnant qu’il quittait le terreau familial, dans laquelle il lui promettait de revenir le chercher un jour et qu’il n’a pas tenu sa promesse. S’il n’y avait que ça ! Bennie remarque aussi que Tetro a refait sa vie sans évoquer l’existence de son frère. Le problème c’est que sa blessure est très profonde et beaucoup plus conséquente. Les cicatrices sont loin d’avoir disparues. Et à défaut d’avoir des réponses de son frère, quasi-muet comme une tombe dès qu’il s’agit d’expliquer ses choix ou de ressasser le passé, Bennie va mener sa propre enquête qui le mènera vers la plus folle des explications. C’est donc par l’intermédiaire de Bennie que l’histoire de Tetro va revivre. Une tragédie familiale hors du commun qui parle de rivalité et du poids insurmontable des évènements dramatiques. Du rôle écrasant du père.

     Et pour orchestrer cet opéra, ce film total, Coppola utilise tout ce qui est en son possible. En un sens on pense à Bellocchio et Vincere pour sa démesure, sa soif de cinéma. Tout le présent dans le Coppola est en noir et blanc. Et le grain est superbe. Tout ce qui est constitué du passé familial (écrits de Tetro, souvenirs de Tetro) est en couleur et dans un format différent. Peut-être un format vidéo (je ne m’y connais pas suffisamment) poussant encore plus loin l’expérimentation intime, Coppola ayant déclaré qu’il avait insérer dans son film des séquences en écho à sa propre vie familiale. Cette liberté, cette originalité aurait très bien pu tomber à plat. Curieusement ça lui rajoute un côté flamboyant. De la même manière Coppola illustre tout cela via Les contes d’Hoffmann dont on voit certaines images, qui est dans le film, un souvenir cinématographique de Bennie avec son frère. Sublime plan en couleur par ailleurs.

     La construction de Tetro est bouleversante, jusqu’à la dernière seconde et ces deux corps au milieu des lumières. Le film progresse par rebondissements et pourtant il n’y a absolument rien à jeter. Un mot sur les acteurs qui sont toutes et tous parfaits. Vincent Gallo au centre, terrassant de beauté et de charisme muet. Et sous ses apparences de film lourd Tetro a cette qualité, donnée à très peu de films qui brassent tant, c’est qu’il est d’une légèreté absolue. Il emporte tout sur son passage et pourtant il est très calme, très posé. Finalement à l’image de Vincent Gallo là aussi.

Vincere – Marco Bellocchio – 2009

Vincere - Marco Bellocchio - 2009 dans Marco Bellocchio vincerecouple

Ida.   

  8.5   VINCERE. Ces lettres majuscules occupant tout l’écran en fin de projection évoque autant la mégalomanie mussolinienne que le besoin de reconnaissance d’Ida, sa première femme, que l’effet produit de ce splendide mélodrame aux accents visuels et sonores ahurissants. Bellocchio a vaincu en effet. Ce cinéma d’une grandeur émotionnelle et formelle rare est bien sorti sur nos écrans et fait figure emblématique des films importants de l’année. Difficile de s’attaquer à une quelconque analyse. Il y a comme un rempart infranchissable entre un ressenti intime pendant projection et des mots de lendemain pour en parler. C’est un film opéra. Un opéra furioso, pour reprendre les termes de Charles Tesson. Un cinéma très italien, bruyant, plein de rage, de tentatives de plans impossibles, un cinéma agressif, hystérique à l’image de son héroïne, musical forcément puisque film opéra, un cinéma de larmes et de cris, cinéma d’action (par l’image, non par les situations) quasi hitchcockien, de relations humaines presque Cassavetien. Marrant d’ailleurs parce que cette formidable actrice qu’est Giovanna Mezzogiorno, qui incarne Ida à merveille, rappelle certains traits, mimiques, regards de la Gena Rowlands d’Une femme sous influence. Toutes deux sombrent dans la folie au passage. Une folie de l’enfermement mental pour l’une. De l’enfermement physique pour l’autre. Comment ne pas évoquer le terrible Mussolini que Filippo Timi incarne avec toute sa démesure grimaçante, élocutive et livre une interprétation dans l’emphase, qui ne singe pour ainsi dire jamais, mais se situe sur une limite encore inconnue, quelque part entre ridicule et maestria. Bellocchio a voulu tout faire en grand. Remarquez, quitte à parler d’un fait historique caché, autant ne pas prendre de pincettes. J’ai en tête Ida qui monte les barreaux blancs des grilles de son asile, qui une fois en hauteur jette au vent de nombreuses lettres qu’elle a écrites, probablement destinées à son fils, toujours dans l’idée de la reconnaissance. La neige envahit l’écran, le ciel est noir, la musique accompagne chaque mouvement. Oui il y a quelque chose de complètement démesuré dans Vincere. Le film aurait pu être un gros nanard larmoyant et détestable, il devient film total grâce à une alchimie générale, une œuvre folle et flamboyante dont l’ambition n’a d’égale que la réussite de chaque séquence, plan, dialogue, mouvement. S’autoriser l’utilisation d’une histoire réelle non reconnue, en faire une pure fiction, accompagnée pour l’en appuyer de fictions cinématographiques d’époque (la référence intense au Kid de Chaplin) et de vidéos d’archives politiques relève tout simplement du miracle. Un cinéma que l’on aurait rêvé, qui se réalise !

     Je suis conscient de passer outre les enjeux du film car je ne préfère pas me risquer à une analyse de fond alors que j’ai vécu la projection de plein fouet et qu’il m’est difficile d’argumenter sur quoi que ce soit. Pour le moment je l’aime aveuglément et j’en suis content. Néanmoins je vais tenter de parler, au moins un peu, du personnage d’Ida.

     D’une part ce qui ne me gêne pas du tout c’est le traitement léger au sens historique qu’adopte Bellocchio pour parler de son histoire. On n’apprendra pas beaucoup sur Mussolini (il va quand même jusqu’à l’écarter en plein milieu de son film pour rappeler que c’est le parcours d’Ida qui nous intéresse avant tout) ni sur l’Histoire italienne de la première partie du vingtième siècle. Donc pour ce qui est d’un retournement de valeurs (un prêtre dans l’une des premières séquences disait que Mussolini, le jeune socialiste, était un peu paumé idéologiquement) je n’ai pas vraiment d’avis si ce n’est que pour moi tout arrive dès l’instant où il lance son journal, qu’Ida finance intégralement. Magnifique choix d’ailleurs qui s’inscrit parfaitement dans la lignée thématique du film que de ne pas quantifier cette caution. Je vois Ida comme amoureuse de l’homme, pas tellement de ses actes ni de ses choix politiques. Elle aussi est aveuglée. C’est cette virilité, ce regard, cette présence qu’elle aime chez cet homme pas ce qui fait de lui aujourd’hui sa triste renommée, enfin je crois. Donc irrémédiablement, ce que cherche Ida par la suite c’est la reconnaissance. Ce qui la rend antipathique c’est sa volonté d’être reconnue femme de Mussolini aux yeux du peuple, il y a quelque chose d’assez gerbant à ce niveau là car je le vois davantage comme une recherche de profit personnel (l’amour mais aussi la notoriété) alors qu’elle a son fils aussi à ses côtés. Par moment je vois la mère à l’écran. Mais à de nombreuses reprises je vois la femme en tant qu’individu. Personnellement c’est ce qui me fascine dans sa quête irraisonnée et inconsciente. Le film relève donc du privé, pas d’une démonstration historique, puisque c’est Ida, au moins à partir du second tiers du film, qui nous intéresse. Il y a très peu de séquences où on ne la voit pas d’ailleurs. Bref j’aime beaucoup ce déplacement Politique/Famille il donne une force supplémentaire à son personnage central. Je pensais à un truc aussi : Ida ne parle jamais de fascisme, je ne sais pas si on l’entend une fois l’évoquer durant le film. Elle dit Ladro ! Voleur ! Sa transposition relève donc de l’intime, elle n’a aucune opinion politique. La seule chose c’est qu’elle aime l’homme dévastateur et sûr de lui (cf. la première scène), l’homme de pouvoir (elle n’est jamais rebutée lorsqu’il devient une figure importante) et sans doute le plaisir de sa chair. Ida n’est pas Hadewijch, elle aime le sexe elle. Le sexe physique. Marrant car l’un des deux films on se demande si dieu existe, comment nous intervient t-il ? Nous dit-il d’agir ? De prier ? L’héroïne pense le baiser parce qu’elle ignore tout de la chair. Dans l’autre film on nous dit d’emblée que dieu n’existe pas, sinon Mussolini serait foudroyé. Et puis ça baise à foison au début, lorsque notre couple se rencontre (Sublime séquence sexuelle où les cris, les regards ne sont pas ensemble, Ida qui semble être à un septième ciel de sentiment d’extase, Mussolini qui paraît ailleurs, bien loin, qui sans doute se voit déjà dictateur). Ida ne pense pas être amoureuse, elle est amoureuse, elle le sent dans ses tripes. S’il y a cécité intellectuelle c’est parce qu’il y a non-réflexion, il y a pulsion amoureuse (Elle dit qu’elle n’aimera aucun autre homme) et sexuelle (elle soulèvera sa jupe dévoilant son pubis pour regagner son amour). C’est un parti prit que j’adore. L’amour pulsionnel comme Leitmotiv d’une vie. Car Ida y donnera sa vie. Elle y donne même son enfant, puisqu’en choisissant la rébellion elle s’interdit irrévocablement le droit de revoir son fils. Il y a une compassion pour cette jeune femme qui semble avoir tout le monde contre elle, oui je suis d’accord. Mais n’y avait-il pas compassion dans L’échange de Clint Eastwood quand l’on se prenait dans la tronche tout ce que vivait cette pauvre Angelina Jolie incomprise ? Après tout c’est une histoire semblable, au moins au niveau de l’enfant. C’est un enlèvement. La différence ici c’est que l’enfant peut tout aussi bien être Mussolini Le Duce. Ida est sans doute plus antipathique que le personnage de L’échange, mais sa quête est passionnante, car cette abnégation, ce courage inconscient, cette volonté de ne jamais s’écraser (sauf devant The Kid de Chaplin où elle fond en larmes) relève du plus pur des mélodrames. En tout cas je ne la trouve pas détestable. Complètement cinglée, irréfléchie, très amoureuse, en mal de reconnaissance mais pas détestable.

Complices – Frederic Mermoud – 2010

19142964_jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxL’argent.     

   6.5   Ce n’est pas tant la mise en scène qui fait de Complices un film passionnant mais bien sa construction et l’intensité dramatique que dégage chacun de ses acteurs. Il y a deux parties dans Complices. Bien distinctes même si elles se chevauchent en fin de film. D’une part une histoire d’amour de jeunes paumés sous fond de prostitution avec un meurtre à la clé. D’autre part l’enquête de deux flics sur ce meurtre. L’avant et l’après.

     Vincent a 18 ans, vit dans un bungalow et se fait de l’argent en rencontrant des hommes riches sur Internet avec lesquels il organise des rencontres sexuelles moyennant rémunération. Vincent est un junkie. Un junkie du cul. Enfin pas vraiment. Il dira plus tard à sa petite amie qu’il ne prend pas de plaisir, qu’il se retrouve dans une démarche mécanique seulement pour se faire du fric. Voilà deux ans que Vincent fait cela. Seulement un beau jour, en plein cybercafé il rencontre cette jeune fille, Rebecca. Tout se passe relativement bien jusqu’à l’aveu du mensonge. Complices prend un virage sec à cet instant et surprend par les choix de ses protagonistes avec au centre un amour fou, une jalousie progressive et une violence sourde, qui s’apprête à jaillir.

     En parallèle – disons toutes les 5/10 minutes, toutes les 3 ou 4 séquences – il y a une enquête policière. Elle ne se joue pas sur le même niveau temporel car l’on observe deux flics, Melki et Devos, tous deux excellents de retenue, enquêter sur le meurtre d’un garçon, Vincent, retrouvé mort par étranglement en plein Rhône. Si le travail de mise en scène dans la première partie, dans une démarche plus rapide, plus elliptique, convoquait par moment le travail de Larry Clark, dans ce parti pris osé, sa progression un peu folle, on pourrait rapprocher la partie policière d’un travail à la Haneke, beaucoup plus clinique, très épuré. Peut-être que ce sont les longs échanges de ping-pong qui m’y ont fait penser. Evidemment on est très en dessous de ces grands cinéastes, la faute à une volonté de vouloir montrer énormément. On n’en veut pas au cinéaste. Sa réalisation a au moins cette qualité de nous emporter dans une spirale rythmique assez surprenante.

     C’est tout de même un film d’âmes en perdition. Ceux qui n’ont pas encore vécu et vivent en totale insouciance. Ceux qui ont vécu et qui ont peur d’avancer, peur de remuer le passé. Le destin de cette jeune fille n’avait aucune chance de croiser celui de Vincent, pourtant l’amour fou qui les étreignent semble tout emporter sur son passage, même jusque dans cette chambre où nos deux tourtereaux en sont réduits à faire la couple pute pour un bourgeois mal dans son couple qui ne tardera pas à dévoiler son penchant pour le sadomasochisme. Puis celui de cet homme, ce flic, lui aussi complètement paumé, dont la fracture remonte si loin, peut-être au temps où il avait l’âge de Vincent. Et cette femme flic dont la rencontre amoureuse tant recherchée se fait attendre. Il n’y a pas de frontières entre ces deux générations. Ados comme adultes semblent baigner dans une atmosphère sinon malsaine au moins suffisamment glauque, pleine de regrets refoulés, de solitude permanente Un peu comme ces villas perdues au fin fond de la ville qui donnent une apparence bien proprettes avant de révéler la partie invisible, ces corps errent à n’en plus finir, dans un climat parfois doux, parfois drôle avant que les fissures du passé et celles du présent ne viennent tout engloutir.

     Complices a cette faculté à surprendre de part sa construction narrative mais aussi par le jeu habité de ses personnages. Deux histoires qui vont être beaucoup plus liées qu’on ne le pense. Si le film baigne comme cela dans un climat oppressant, parfois glauque, parfois incandescent, il sort en plus une dernière cartouche qui le rend plein d’espérance. Une fin déchirante.

Incognito – Eric Lavaine – 2009

19067899Passe presque partout.    

   5.0   Histoire improbable : Avant, Bénabar jouait dans un groupe de musique. Le groupe ne rameutait pas les foules, il s’est dissout et l’un d’eux est mort. Maintenant, Bénabar vit avec Dubosc car il a voulu l’héberger pour une nuit, voilà dix ans de cela et le bougre lui colle aux basques. Un jour, Bénabar trouve un vieux carnet de chansons qui semblent avoir été écrites par son ami du groupe d’antan. Frappé par leur justesse il se lance tout seul dans l’aventure et devient disque d’or grâce à ses textes. Mais voilà – le vrai présent du film est arrivé – Bénabar va tomber sur ce fameux pote dans des escalators d’aéroport. Celui-ci vit en Inde, il n’a donc pas connaissance de la notoriété actuelle de son vieux pote. Quivrin, l’ami, va rester trois jours à Paris. Pour réduire les chances qu’il a de tomber sur une affiche avec lui dessus ou qu’il écoute une de ses chansons à la radio Bénabar décide de l’héberger pour le temps qu’il faut. Première fausse/bonne idée du chanteur qui ne cessera de les cumuler ensuite…

Le sujet fait très cinéma bonne France profonde que l’on pourrait apparenter à du Leconte ou du Veber. Cette obsession de prendre la voie moderne en utilisant la télévision. Dans Mon meilleur ami de Leconte, Boon se rendait à Qui veut gagner des millions avec JP Foucault en personne. Dans Incognito Bénabar se rend au grand journal avec Denisot et Massenet en personne. Cette obsession pour l’histoire unique, improbable et réduite temporellement. Dans La doublure de Veber Gad Elmaleh le chauffeur doit laisser paraître qu’il est l’amant d’une femme de la mode très connue, la réussite ne sera pas longue. Dans Incognito Bénabar a trois jours pour faire en sorte que son ami ne se doute de rien. Il emploie alors les grands moyens comme celui de dire qu’il est hébergé par Dubosc lequel prend la chose très au sérieux et s’en sert comme de son larbin, lui a pris son lit, sa voiture. C’est la première fois que je vois Frank Dubosc supportable. En fait il l’est pour la simple et bonne raison que ce type tellement branleur qu’il en devient insupportable (le contraire d’un Dujardin par exemple) qu’il joue partout habituellement, devient le personnage insupportable ici que l’on arrive à supporter parce qu’il est plutôt marrant et n’a pas conscience de sa connerie. Tout n’est pas drôle ici mais certains moments sont sympathiques tout de même. Le ton est potache mais léger, Lavaine n’utilisant que discrètement son pouvoir de renversement. Rien n’est crédible et pourtant plus le film passe plus on est en mesure d’y croire. Car il ne faut pas lui enlever deux qualités importantes à cette petite comédie populaire : d’une part son rythme sans fausse note, on ne s’ennuie pas une seconde. D’autre part sa capacité à ne jamais se prendre au sérieux. Voilà. Ça ne vaut pas un déplacement ciné mais selon moi c’est nettement mieux, en terme de comédie française populaire comme il s’en fait des caisses par an, que les trucs des cinéastes précédemment cités.

Une vie toute neuve (Yeo-haeng-ja) – Ounie Lecomte – 2010

une-vie-toute-neuve-2010-19566-212810281   5.5   Voilà un premier film réussi. Dès les premières images et ce flottement qui accompagne cette bicyclette j’ai pensé au cinéma de Naomi Kawase. Héritage antonionien que j’affectionne tout particulièrement. Par la suite Ounie Lecomte propose quelque chose de plus classique mais non dénué d’intérêt. Déjà il y a un instrument qu’elle manipule à merveille c’est l’ellipse. Narrative comme temporelle. Impossible de légender les premières scènes du film, tant qu’on n’a pas les pieds dans cet orphelinat on ne sait de quoi il est question. Un indice minuscule cela dit : Jinhee chante à son père une chanson sur la perte d’un être cher. Possible que la mère ne soit plus là. On ne sait pas non plus combien de temps la jeune fille restera dans ce lieu transitoire. Mais ce qui importe c’est ce qu’il se passe ensuite. Jinhee débarque dans cet orphelinat croyant partir en voyage. Bientôt elle apprendra que c’est du long terme, puis qu’il faut qu’elle y mette du sien pour se trouver de nouveaux parents. Ces nouvelles questions, cette nouvelle vie qui tombe sur cet enfant la désarçonne complètement. Elle en devient désagréable, allant jusqu’à dire aux autres qu’elle n’a pas sa place avec elles car elle n’est pas orpheline. Bien entendu puisque l’abandon lui est encore inconnu. Elle se croit intouchable. La réalisatrice a su filmer ces enfants à leur hauteur pas en tant qu’’autopsiste’. Le net avantage de l’avoir vécu. Qu’est ce qu’il ressort ici outre l’abandon d’un père ? Une nouvelle naissance (Shara n’est pas loin) et une belle amitié (Yuki & Nina aussi). L’immense décalage de perception entre enfants et adultes aussi – pourtant l’adulte est traité avec douceur ici. Une résistance impuissante. La découverte de mensonges. L’envie de disparaître. Jinhee grandit. Pas comme elle l’aurait imaginé mais elle grandit, et très vite forcément. La voilà confrontée à une nature beaucoup moins accueillante. Elle devra s’y faire. Et peut-être bien apprendre une autre langue afin de quitter sa vie provisoire. Car il s’agit bien de vie en suspens. Comme une immense parenthèse ! Le regard de cette jeune fille dans le dernier plan du film est un truc sidérant. Ce n’est plus le regard d’une jeune fille paumée que l’on a délaissé, c’est presque celui d’une adulte, qui embrasse, une deuxième fois, une vie toute neuve. Mais permanente cette fois là.

Cloverfield – Matt Reeves – 2008

Cloverfield - Matt Reeves - 2008 dans * 2008 : Top 10 cloverfield2

Le filmeur.    

   8.5   Archives du gouvernement : Cassette retrouvée dans ce que l’on appelait autrefois Central Park. Le décor est planté. Cette phrase introductrice fait office de début de film. Tout ce que l’on verra donc ensuite correspond à ce qui a été filmé avant ou pendant la possible catastrophe annoncée par la disparition du parc New-Yorkais.

     Nous débarquons dans un gratte-ciel de New York, plongé dans une intimité de couple puisque ce garçon filme sa copine au réveil. A de nombreuses reprises il y a des coupes sur la bande vidéo. On fait connaissance avec un type que l’on apprendra être le frère de celui qui filmait dans la première scène et d’autres amis. Ils lui organisent une soirée pour son départ au Japon. Cette première partie qui regroupe une connaissance rapide des personnages puis cette fameuse soirée où chacun doit dire un mot face caméra au concerné n’est pas le point fort du film, néanmoins elle sert d’installation au récit. Elle permet d’accentuer son réalisme et son caractère inattendu.

     Au moment où l’on ne s’y attend plus il y a un fort mouvement, comme un séisme, un bruit sourd et le courant saute. Le périple cauchemardesque de Cloverfield commence ici. Le film ne nous lâchera plus. Sur le toit de l’immeuble dans un premier temps où nous sommes pas loin de prendre des blocs de bétons en feu sur la tronche. Dans les rues de la ville. Sur le pont de Brooklyn. Dans les souterrains du métro. Pour se terminer évidemment à central park. On pourrait très facilement dessiner, géographiquement j’entends, le parcours de notre petit groupe dont l’éclaireur – le futur japonais – n’a qu’une idée en tête : Retrouver Beth, la copine de la première scène, dans cet appartement à l’autre bout de la ville. Les fantômes du World Trade Center ne cessent de rôder dans Cloverfield. Dans la vision de tours qui s’écroulent. De cendres qui recouvrent le paysage. De cette tour penché sur sa jumelle, dans laquelle se trouve Beth. Haut la main la séquence du film. Où l’on sentirait presque l’air du 57e étage nous absorber autant que les personnages. Et puis c’est la hauteur qui donne la profondeur. Inutile de préciser qu’à cet instant on en prend plein les yeux.

     Même si l’on peut douter des capacités d’autonomie des batteries du caméscope, de sa résistance incroyable, du choix de continuer de filmer des personnages quoi qu’il arrive on ne peut remettre en cause le travail de reconstitution et le côté culotté de ne montrer pas grand chose, de présenter une caméra qui tremble. Les effets spéciaux sont bien là mais pour une fois on ne les voit presque pas. C’est le son qui fait le reste. Il y a une scène incroyable lorsque toute une armée bombarde leur assiégeant en avançant sur une avenue équipés de tanks, mitrailleuses et bazookas. Le personnage filme ça de derrière (voir en dessous) une voiture. En somme il est exactement à l’endroit où l’on ne voudrait pas être. Un peu entre tout.  Ensuite il continue de filmer ses amis qui se sont réfugiés sur le trottoir d’en face, pendant que l’on voit les pieds des soldats passer devant l’écran, que l’on entend les bombardements hors-champs, les cris du monstre.

     Revenons un peu sur le travail effectué pour donner la nette impression de cassette retrouvée, façon projet Blair Witch en fin de compte : Un film au format très court déjà. 1h10 lors de l’apparition du générique final. Choix judicieux tant le film est éprouvant. Le choix d’un début de film hasardeux, dans cette chambre, un mois plus tôt, sans aucun rapport (si ce n’est de voir Lui et Beth ensemble) avec la suite de l’histoire. Une fin de film nette, comme un cut violent, témoignant d’une fin de cassette. Pas de véritable début. Pas non plus de fin. La fin correspond à la dislocation par bombardement de la ville américaine. Il restera quelques secondes à la fin, où l’on verra notre couple dans une grande roue. Probablement la suite de la première scène du film. Une vidéo du temps de paix comme dirait Chris Marker dans La Jetée. Il y a d’ailleurs de nombreuses apparitions de ce couple dans le film. Lorsque le caméraman tente de rembobiner la cassette pour y déceler la présence à laquelle ils viennent d’assister – ceci nous ne le voyons pas évidemment puisqu’il ne se trouve pas sur la bande – il doit avancer un peu loin en la recalant ce qui a pour effet de nous montrer le film précédent puisque sur cette partie rien n’a été enregistré par-dessus. C’est à mon sens une des grandes réussites de ce film, de ne pas avoir laissé passer cela, d’avoir toujours pensé en tant que caméraman amateur. Mais caméraman amateur qui filmerait avant tout, quoi qu’il arrive !

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