La science des rêves.
7.8 En se rasant un matin, Marc demande à sa femme quel effet ça lui ferait de le voir sans moustache. Elle lui répond qu’elle n’en a aucune idée car elle ne l’a jamais vu sans, puis se dérobe. Marc rase alors sa moustache. Il attend qu’on le remarque. Sauf que personne (ni sa femme, ni ses amis, ni ses collègues) ne lui fera la remarque. Quoi de plus vexant ? Probablement pas grand chose. Un changement aussi flagrant qui passe inaperçu. Marc va le prendre avec beaucoup de calme. Finalement c’est sa femme qui en fera les frais la première. Il s’agace, lui demande si elle ne remarque rien. Pas de réaction. Il s’emporte littéralement. Elle lui demande de lui expliquer, lui demande pourquoi c’est si dur à dire. Il lui répond que c’est très facile à dire mais que normalement il n’y a pas besoin de le dire. En fin de compte il lui dira. Le problème ne s’arrête pas là. Elle lui répond avec beaucoup d’assurance et d’incompréhension qu’il n’a jamais porté la moustache. Et ses amis confirmeront. De quoi devenir dingue ! S’il ne peut avoir confiance en ceux qui sont devant lui, il va tenter de le faire avec des objets. Un album photo. La moustache est bien là. Au moment où il veut le montrer à sa femme, les photos ont disparu. Pire, elle nie être aller à Bali, lieu représenté sur les photos. A cet instant il croit à une manipulation ultime, et nous aussi, dans laquelle il serait la victime. Un peu façon The Game de Fincher. Un événement va être encore plus fou. Il parle de ses parents, parce qu’ils doivent aller y manger bientôt. Elle semble bizarre. Tes parents ? Oui mes parents, bien entendu, mes parents… Mais ton père est mort l’an dernier lui dira t-elle. A cet instant je crois avoir été encore plus perdu que lui. La façon dont sa femme lui assène cette phrase franchement j’en avais des frissons.
Deux hypothèses :
La plus probable, Marc est fou. Et c’est de pire en pire de jour en jour. Pas vraiment d’explications donc aux situations puisque l’on peut même douter de la véracité de tout. Si l’on voit tout de son point de vue c’est comme si l’on devenait fou avec lui. Jamais on ne verra de séquences extérieures à Marc. Jamais rien qu’il ne puisse pas voir.
Aussi on peut penser au rêve. Auquel cas Marc rêverait qu’il devient fou. J’aime à envisager cette hypothèse car elle me semble moins négative, elle me dit que je peux croire en ce que je vois, en somme elle me laisse une échappatoire. Car s’il n’y a pas rêve, il y a folie c’est évident, et s’il y a folie, qui nous dit que tout ce que l’on voit n’est pas purement factice.
En fait ce qui me fait croire à un rêve c’est la carte d’identité. Admettons que tout ne soit que folie. Marc a tout de même nombreux de ses repères. Il semble réfléchi, parfois serein. Il y a bien un moment qui me perturbe c’est lorsqu’il regarde les photos de Bali la première fois. Je suis à sa place ma femme ne dort pas, même pas la peine. Je lui fais avouer que je porte une moustache. Au lieu de cela Marc l’appelle, elle fait mine de dormir, il ne fera rien. Personnellement c’est moi, elle se réveille ! Bref, passons ce détail discutable. Il y en a un autre plus imposant. La carte d’identité. Pourquoi ne se servirait-il pas de cette preuve irréfutable contre son entourage ? C’est ici que ça cloche. Seul un rêve peut lancer une idée aussi lumineuse (la vérification par l’extérieur) et ne pas s’en servir par la suite. Les photos reviennent systématiquement avant de totalement disparaître, pas la carte d’identité où il porte la moustache dont on ne parle guère ensuite. C’est le seul indice qui va nous permettre de penser à quelque chose qui ne serait plus du domaine de la manipulation, ni de l’absurde, mais tout simplement du rêve. Ou alors il est vraiment fou et imagine qu’il porte la moustache sur sa carte d’identité ce qui n’est pas le cas. Il imaginerait cette rencontre au photomaton qui lui donnerait raison, rencontre qui n’existerait pas non plus. Il faut alors accepter que tout ce que le spectateur voit est ce que Marc voit. Ça me semble gros quand même. Je préfère me dire qu’il rêve. Comme Diane dans un certain film.
La moustache c’est avant tout une curiosité. Son titre bien entendu. Aussi alléchant que terrifiant. Puis c’est un voyage aussi drôle qu’agaçant. On pense à Lynch par moment. Dans la façon de jouer sur deux niveaux de réalité ou non. Sur cette capacité à ne pas tout nous pré-mâcher. Sauf que chez le cinéaste américain c’est toujours très fantaisiste, très excitant. Ici c’est tout le contraire. C’est très terre-à-terre, beaucoup plus intime (beaucoup moins de personnages) ce qui rend l’expérience tout aussi marquante. Au moins perturbante. Et il y a l’incarnation de Vincent Lindon qui est formidable. Totalement habitée. C’est un film très silencieux. Film de mimiques. Film qui parfois se permet même le luxe de suspendre le temps sur un regard, un visage en perdition, une caméra tourbillonnante, une machine à laver. C’est un film d’objets : Un lacet, un album photo, une veste, une carte postale. C’est un film de disparition. Et aussi un film d’errance, scènes sublimes dans Hong Kong. Et bien entendu, certains moments font froid dans le dos.
En fin de compte j’aime à penser que le film ne répond pas vraiment à nos interrogations. Du coup chacun y trouve ce qu’il cherche.