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Archives pour février 2010

Vengeance – Johnnie To – 2009

Vengeance - Johnnie To - 2009 dans Johnnie To 19072008

     7.0   Les rues de Hong Kong bondées, il pleut des cordes, tous s’agitent, parapluies à la main. Une fusillade dans le quartier vient d’avoir lieu. Quatre tueurs se sont égarés dans la foule. Le blanc a une perte de mémoire soudaine mais attendue. Il se retrouve à chercher ses collègues grâce aux photos qu’il a prises d’eux, auparavant, anticipant cet événement. Johnny sous une pluie battante, scrutant les visages de la foule puis ceux des clichés dans sa main, afin d’en associer le réel à son image… C’est l’une des merveilleuses scènes de Vengeance, film orchestré par Johnnie To, le nouveau maître du cinéma d’action hongkongais. Vengeance est un film très classique scénaristiquement, très proche d’un Melville dont il rend un hommage évident avec la présence du personnage Jeff Costello, Hallyday ayant remplacé le Delon du Samouraï de 1967. Oui le scénario est mince, et en plus de cela étouffé par les défauts de mémoire du héros, mais il n’en est pas inintéressant pour autant car il s’avère surprenant, très direct, très stylisé, finalement unique en son genre. En début de film, Costello qui s’apprête à venger sa fille, dont la famille a été massacrée par des malfrats de la triade, se voit confronté à trois autres tueurs, dans un motel, venus effectués leur labeur. Il a l’occasion de les balancer (le témoignage), de les buter. Le film de justicier n’est pas loin et pourtant pas du tout. Costello va prendre ces trois tueurs sous son aile pour l’aider à accomplir sa vengeance. Comme chez Melville pas de moralisme malvenu, To nous montre simplement des tueurs, des humains et quel que soit le bord tous sur la même échelle. Monstres dans les scènes de massacres. Touchants dans leurs intimités familiales. Impressionnant dans le travail, la préparation des coups, les fusillades. Comiques dans des situations plus quotidiennes, moins surréalistes. Et bien entendu chez To il y a une science de la mise en scène, principalement du montage. Jeu d’ombres et de lumières dans un affrontement au clair de lune. Utilisation maximale du vent dans deux séquences phares, une scène de fusillade presque abstraite dans un champ de blé, la scène de révélation finale et cette cravate qui vient trahir son porteur. La pluie aussi où lors de cette dernière séquence d’anthologie elle apparaît, très verticale, prenant une dimension particulière dans les rues de Hong Kong. Rarement les éléments naturels n’auront été autant sollicités dans un film d’action. Probablement l’un des films les plus funky de l’année. J’ai très envie de le revoir…

In the air (Up in the air) – Jason Reitman – 2010

19202907.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx   2.0   C’est un nouveau Thank you for smoking. Donc un nouveau film insupportable de la part de Reitman. Entre ces deux là il y avait Juno, pas brillant, mais ma foi, plutôt sympathique. C’est ce à quoi tend In the air : être un film sympathique. A l’image de Georges Clooney, suffisant quoiqu’un peu trop What else ?! Je n’aime pas le procédé cynique utilisé, tous les personnages me paraissent antipathiques. En fait je dirai même que je m’en fou complètement. Reitman ne fait pas du Moore, tant mieux, mais sa technique tourne à la farce, presque à la moquerie. Je m’ennuie littéralement, entre trois répliques rigolotes et une musique lourdingue omniprésente. C’est un film qui existe pour voir Clooney. Toutes les personnes qui riaient dans la salle ne le faisaient pas pour les textes, ni les situations, simplement pour Clooney, sa gueule et ses mimiques. Ça ne m’intéresse pas. Pire ça ne me fait pas rire.

La terre de la folie – Luc Moullet – 2010

La terre de la folie - Luc Moullet - 2010 dans Luc Moullet 19101631_jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-20090506_110915-300x200 La région centrale.    

   6.5   Sujet sérieux complètement tourné en dérision, mais avec beaucoup de finesse c’est un peu comme ça que je caractériserais le nouveau film de Luc Moullet. On y parle d’une région anormalement meurtrière, souvent des histoires de famille, une coutume qui aurait traversé le temps. On est dans les Alpes du sud. Moullet s’intéresse à ces familles, ces crimes improbables et tente de faire une approche avec des problèmes thyroïdiens prenant leur source à Tchernobyl. Cette envolée délirante est assez cocasse mais n’a finalement que peu d’intérêt. Non, là où c’est formidable, c’est lorsque Moullet expérimente une idée géométrique selon laquelle la région formerait un pentagone de la mort, où il y trouverait même un épicentre. Cinq villes touchées par des drames hors du commun. Des crimes conjugaux. Des suicides après avoir décimé une famille entière. Des meurtres de gens totalement inconnus. Une petite fille entièrement découpée. Pas de quoi se réjouir. Pourtant Moullet ne s’intéresse pas aux souffrances, à ce qu’engendre les drames. Il ne s’intéresse qu’aux faits, cela pour prouver ses hypothèses. Et ce ton, constamment, anti tire larmes, presque jovial, donne un climat assez particulier au film ce qui fait qu’on ne sait plus, quelquefois, comment le prendre. Un moment donné il parlera de sa famille. D’un neveu de son arrière arrière grand oncle, ou quelque chose comme ça, qui aurait tué à coups de pioches la femme du maire, le garde-champêtre et le maire lui-même parce qu’ils avaient déplacé sa chèvre de quelques mètres. Personne ne parle de ça dans la famille, raconte Moullet. Lui au contraire aime parler de cette histoire, cela lui permet de se dire que pour le moment, il n’a pas hérité de se neveu d’arrière arrière grand oncle, car pour l’instant, dit-il, il n’a tué personne. Personnellement cette scène, racontée si solennellement m’a valu un grand fou rire. Et puis la toute fin, presque hors film, d’enguelade entre Moullet et sa femme à propos du côté provocateur de sa démarche j’ai trouvé ça formidable. Le moment le plus drôle du film haut la main !

The red riding trilogy : 1974 – Julian Jarrold – 2009

AndrewgarfieldRedRiding_thumb    4.5   The red riding trilogy est l’adaptation d’un bouquin, best-seller en Angleterre. Le film sera visible en trois parties, trios époques différentes, voici la première : 1974. Dans le Yorkshire, banlieue de Leeds, des meurtres de jeunes filles font l’objet d’une enquête à plusieurs échelles. Eddie Dunford, jeune journaliste prodige s’occupe de l’affaire, scrute les moindres détails, interroge les familles brisées comme s’il présentait la météo, étale les photos des meurtres sur le mur de son appartement. On dirait un flic. Mais il est loin d’être leur pote. Il est régulièrement tabassé car sa petite vie de fouine ne plait pas trop à tout le monde. C’est l’histoire d’un type qui s’acharne, et qui à la manière d’un Seven, va le payer au prix fort. C’est marrant d’évoquer le film de Fincher car il y a le même style d’ambiance, c’est d’un glauque c’en est terrifiant. Tout semble s’abattre sur nos personnages, tout le temps. Un ciel menaçant en permanence. Une pluie récurrente. La nuit les trois/quarts du temps. C’est un film qui sent la pourriture et la merde. C’est peut-être ce qui me plait le plus ici. C’est sale, ça pue et c’est comme ça jusqu’au bout. Malheureusement, au service de ça, et bien pas grand chose. La mise en scène est pleine de tics visuels, avec des flous à n’en plus finir, ça fait film de gosse qui se prend pour un virtuose. On n’enlèvera pas la performance rythmique, car ça se regarde plutôt bien – je suis même curieux de voir les suivants, sait-on jamais, les cinéastes sont différents pour chaque partie. Le travail sur les personnages aurait sans doute mérité d’être plus approfondi – je ne sais pas comment est le livre – parce qu’il y a une dénonciation des institutions, ça pue la violence, la corruption et que ça ne demande qu’à exploser. Malheureusement, niveau émotionnel, on en restera au niveau zéro, la faute justement à des personnages complètement antipathiques et à une intrigue finalement peu surprenante.

La dame de trèfle – Jérôme Bonnell – 2010

La dame de trèfle - Jérôme Bonnell - 2010 dans Jérome Bonnell 4140265potmb_1798

     7.0   C’est un film sous tension, en permanence. Nous n’avons même pas le temps de connaître le Malik Zidi serein. Dès la première scène il lit un journal qui évoque un cambriolage de métaux qui aurait mal tourné. Dès cet instant il se sent en cavale. Il le sera tout le film durant.

     Il y a une scène remarquable, qui montre tout le talent et l’interprétation en retenue de Malik Zidi. C’est la seule scène au commissariat de police, où il est interrogé, juste après le meurtre. Je n’avais jamais vu ce genre de scène, au combien difficile, aussi bien jouée. Il y a une telle lenteur, une telle sérénité dans sa voix pour contrer sa peur et cette respiration irrégulière, je trouve cela hallucinant. Lors de l’infiltration dans We own the night Joaquin Phoenix joue de la même manière, mais ça tourne mal. Zidi s’en sort bien lui mais on imagine qu’une moindre perturbation aurait réussi à le trahir. Il a cette faculté à savoir trembler au cinéma. Pas forcément facile à faire. Lui le fait avec beaucoup de justesse. Il est bien épaulé, il y a aussi Florence Loiret Caille. Un personnage dans le film parlera d’elle comme une princesse. Elle a cet esprit gueulard, complètement à côté de ses pompes, très dépendante, immature qui lui donne une certaine grâce, qui donne envie de la prendre dans ses bras. On peut penser qu’elle est dans l’exagération de temps à autres mais elle joue son personnage en réalité, de candide rentre-dedans. Elle fait un festival à la fin. Elle est immense. C’est elle qui donne toute la folie au film, on dirait un personnage tout droit sorti de la nouvelle vague. Le paradoxe est grand puisque cette liberté qu’elle dégage – en draguant tous les mecs, improvisant quelques pas de danses, en se bourrant la gueule à en vomir, à crier sans raison – est largement étouffée par ce cloisonnement dans lequel le frère et la sœur se sont embringués.

     Et puis il y a un personnage important à l’histoire, sorte de vecteur, c’est Jean Pierre Daroussin. Il campe Simon un personnage qui travaille pour Aurélien. Le coup ayant foiré il veut son fric et se tirer. Mais Aurélien n’a pas de fric et il doit pour cela vendre une partie de sa ferraille. Lors d’un déplacement où son complice l’accompagnera, les choses, une fois encore, tourneront mal et le jeune garçon tuera accidentellement son vis-à-vis. Il n’y a pas de relâche dans La dame de trèfle. Aussitôt qu’on se soit, comme le personnage principal, habitué un temps soit peu à une situation, qu’une nouvelle péripétie se pointe. C’est sans issue. Et Bonnell joue avec ce climat tendu. C’est une altercation meurtrière le long d’une départementale. Un contrôle de police oppressant. Un interrogatoire. Un instant de trahison, d’immense lâcheté pour sauver sa peau. Non-stop, et ce jusqu’à l’issue.

     Il y a une ambiguïté assez géniale, parce que finalement c’est surtout un film sur un frère et une sœur. Ils vivent ensemble, depuis toujours apparemment. Ils se sont toujours occupé l’un de l’autre. Un peu comme un couple. Là se situe toute l’ambiguïté de leur relation. J’ai d’abord cru à une relation amoureuse entre les deux, avant que l’on découvre la jeune femme dans les bras d’un autre. Avant on les avait vu prendre un bain ensemble, dormir ensemble. Pire encore, un peu plus loin dans le film, on apprend qu’elle est enceinte, nous ne saurons jamais de qui, elle se fera avorter. Mais il y a des regards étranges entre le frère et la sœur, comme un sentiment de culpabilité mutuel. Bonnell ne nous dévoilera rien sur cet enfant, ni même sur leur relation. Ils s’aiment c’est une évidence. Savoir comment on s’en fiche un peu, on sait juste qu’ils sont proches, sûrement trop proches, qu’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Qu’ils sont près à tout l’un pour l’autre. Ce sont encore des enfants. Deux orphelins collés l’un à l’autre.

     En parallèle il y a une relation amoureuse qui est amenée à naître. Elle ne verra jamais vraiment le jour. Aurélien a rencontré cette jeune femme un jour où il lui livrait des fleurs – c’est à l’origine son emploi officiel – pour le compte de son homme. Ils se reverront plusieurs fois. A un autre moment de sa vie tout ça aurait été différent, probablement, mais le garçon n’a la tête qu’à cette histoire de cambriolage raté d’une part, et ce meurtre d’autre part. C’est l’histoire d’un homme prisonnier de tout. De sa sœur, de sa maison, de cette ville même, qui semble réduite à des champs à perte de vue, ses routes départementales désertes, ses bars de débauche.

     Pour s’en sortir, Aurélien devra probablement tout quitter. On ne voit pas comment il peut en être autrement. Même Argine, sa frangine, fameuse dame de trèfle, dans un jeu de cartes désormais dépourvu de repères.

I love you Philip Morris – Glenn Ficarra & John Requa – 2010

I love you Philip Morris - Glenn Ficarra & John Requa - 2010 dans Glenn Ficarra & John Requa 19242932Kiss me if you can.   

   4.0   Qu’on se le dise, la réussite du film tient beaucoup à la performance de Jim Carrey. Il est formidable. Très drôle, comme souvent, s’affranchissant de plus en plus de ses grimaces coutumières, mais aussi très touchant. S’il campe il est vrai est un immense escroc, c’est aussi celui d’un homme qui aime très fort un autre homme. La voix off n’est pas ce qu’il y a de plus réussi ici, elle tente d’offrir un rythme qui n’est pas vraiment celui auquel le film aspire. Finalement toute la partie jusqu’à son accident de voiture – cette scène arrive relativement vite quand même – ne m’intéresse que très peu. On est dans la tête de ce type qui dit être en  train de mourir, on envoie balader les bonnes petites conventions. Il y a un découpage et une amorce de cynisme qui me rend le personnage complètement antipathique.

     Par la suite, c’est comme s’il y avait deux films. Un esprit Catch me if you can où Steven Russel l’escroc se fait passer pour un brillant avocat avant de devenir le directeur financier d’une immense entreprise. Episode sympathique, quoique pas très original dans sa construction. Le problème c’est que je n’y crois absolument jamais. On est tellement dans un registre burlesque que cette partie là, basée sur un système répétitif, presque sous forme de running gags, n’obtient pas vraiment l’effet escompté. Le rythme est trépidant. C’est gratuit. Ça fait papier peint. Non, là où vraiment le film réussit une approche très belle, très touchante c’est dans la relation entre les deux hommes. Cette rencontre en prison. Steven Russel qui faisait tout ça pour l’argent, et uniquement pour l’argent, se retrouve à faire tout ça pour Philip Morris et l’argent. I love you Philip Morris devient alors un véritable film romantique. Mais de la même manière je trouve leur histoire intime un peu noyée sous l’histoire d’escroquerie. Finalement ce sont les passages en cellule qui sont les plus réussi. Soit tous les instants où Steven n’utilise pas son pouvoir d’anguille. On est alors en droit de se demander si l’homme était vraiment amoureux de Philip, et pas plutôt de la cavale avant tout.

La tisseuse (Fang zhi gu niang) – Wang Quan An – 2010

La tisseuse (Fang zhi gu niang) - Wang Quan An - 2010 dans Wang Quan An la-tisseuse-9-4146330rtnly_1798-300x201 Nouveau départ.    

   6.0   Rien de bien neuf et pourtant un film qui m’a beaucoup touché. En fin de compte je crois que c’est un film sur la dernière fois. Lily, tisseuse trentenaire et mère de famille apprend qu’elle est touchée par une leucémie aiguë. Cloîtrée depuis dix ans dans une vie qu’elle déteste – elle ne supporte pas son travail et n’éprouve pour son mari que de l’indifférence – c’est son occasion de tout changer. La première partie du film – situation, découverte de la maladie, pensées suicidaires – n’est pas la plus passionnante. Néanmoins elle permet une valorisation du personnage, le cinéaste ne concentrant sa caméra pour ainsi dire que sur elle. Il y a du cinéma Dardenien quelque part. La première séquence rappelle beaucoup Le fils. Le bois ayant été remplacé par le tissu. C’est un beau portrait de femme au bord de la rupture, ça ne demande qu’à exploser. Il est question de voyage ensuite. Pour voir la mer, sa priorité. Et puis une volonté plus secrète : celle de revoir l’homme qu’elle aimait autrefois. Cette rencontre est absolument magnifique. A partir de là le cinéaste filme beaucoup mieux le milieu industriel d’ailleurs. On n’est pas non plus chez Jia Zhang-Ke mais par moment on s’en rapproche. Il y a une beauté infinie, une profondeur dans le regard de cette femme dans lequel on arrive à y ressentir ses émotions. C’est la force du regard dans le vide, de la pensée mélancolique. Très peu de larmes dans ce film. Il y a bien quelques défauts par ci par là mais il a su m’emporter. Dans cette immense usine vidée, probablement délocalisée, où l’on n’en saura pas plus. Sur ces voies de chemins de fer. Sur cette plage, où un couple coréen demandera à la jeune femme de les prendre en photo. Ils feront de même avec elle et sa retrouvaille. Elle poussera une de ses mèches de cheveux comme l’on cacherait une cicatrice. Le front dégagé elle se sent sûrement rajeunir. C’est la dernière fois qu’elle voyait la mer, elle s’en doute, et nous le savons depuis le départ. C’est aussi la dernière fois qu’elle traversera la cité ouvrière à vélo, derrière le dos de son homme. La neige a tout enseveli. Le paysage macabre, spectacle de ruines, est devenu paysage immaculé. La jeune femme peut s’en aller. Dommage que le cinéaste ajoute dix minutes inutiles à son film, il avait les moyens de le terminer de façon plus personnelle, plus marquante. C’est tout de même une belle surprise.

Mother (Madeo) – Bong Joon-Ho – 2010

Mother (Madeo) - Bong Joon-Ho - 2010 dans Bong Joon-Ho 19100510

La danse rouge.     

   7.0   Mother parle de surprotection des progénitures. C’est l’histoire d’une mère, qui tellement amoureuse de son fils un brin simplet qu’elle élève seule depuis toujours, est prête à tout, même à tuer, pour l’innocenter dans une affaire de meurtre. Le père est absent. Peut-être est-il mort il y a longtemps ? Peut-être n’a t-il jamais voulu reconnaître son fils ? Finalement on n’en saura rien, et c’est bien mieux comme ça.

     Comme dans Memories of murder, l’humour est très présent. Il désamorce provisoirement le processus mélodramatique. En général ce sont les séquences avec Do-Joon. Il lui arrive sans cesse quelque chose. C’est ce qui le rend très touchant. Il a un désir d’indépendance impossible assez formidable. Après cette fameuse nuit il rentrera chez sa mère, se couchera à ses côtés en position fœtale. C’est un enfant. Il y a eu meurtre, le fils est arrêté, toutes les preuves l’accablent. Policiers satisfaits, la mère mène son enquête. Elle ira jusqu’à soupçonner le meilleur ami de Do-Joon. Elle ira jusque chez lui, en quête de n’importe quelle preuve, et trouvera ce club de golf ensanglanté. Elle arrive au poste de police, essoufflée, trempée. Elle ne fait que courir. Il pleut énormément. Dans Mémories of murder il pleuvait que le soir, au moment des meurtres. Dans Mother il pleut presque tout le temps. Dès qu’elle est dans le cadre. Elle est tellement convaincue de l’innocence de son fils que ce qui n’est pas preuve devient preuve. Du coup ce comportement la rend quelque peu antipathique, dans sa manière de faire progresser son enquête. Ce besoin de remplacer la culpabilité de son fils. D’utiliser les objets des morts. De convoquer le mémoire des vivants en mettant le malheur de son fils au centre de tout, devant le meurtre de cette femme même. Lorsque ce policier lui dira qu’il ne peut plus s’occuper d’elle, lui avouant que son fils est désormais une affaire classée, j’ai ressenti comme de la colère aussi, et finalement cette mère va la traduire cette colère.

     C’est un film d’objets. Je crois que toute ma fascination progressive est venue de là. J’aime l’idée de l’avancée par l’objet. Très enquête policière et pourtant ici rendue très intime. Un collier perdu sur le lieu du crime. Une balle de golf. Deux éléments qui condamnent presque irrémédiablement Do-Joon. Ce téléphone portable qui représente l’espoir de la mère, celui qui détient peut-être la vérité. On peut même évoquer les marques : le sang, la photo. Autant d’éléments qui prennent peu à peu leur importance. Puis il y a cette boite d’aiguilles, que Do-Joon retrouvera sur un lieu d’incendie où un vieil homme a péri. Scène en écho à son souvenir récupéré, quand il avait cinq ans, lorsque sa mère avait tenté de l’empoisonner. C’est la fin du film, spirale émotionnelle hors du commun. Quelque part, cette mère, pour avoir réussi à faire sortir son fiston, a cassé une amitié, et détruit deux vies. C’est l’individualisme vu par Bong Joon-Ho. Individualisme forcé bien entendu, là est tout l’intérêt, quand on découvre cette totale incapacité des flics et des avocats. Au départ elle ferait presque les choses dans les règles cette pauvre maman, mais comme on ne l’écoute pas, elle prend les armes. Cette femme qui devient créature vengeresse puis meurtrière, le cinéaste ne lui offre aucune légitimité. Il en fait simplement un être humain. La dernière séquence dans ce bus de voyage pour personnes âgées (on devine) est un instant qui en dit long sur le pouvoir unique que détient l’être humain face à ses maux profonds, à sa rancœur. Ce pouvoir c’est l’oubli. On peut choisir d’oublier. Do-Joon n’avait probablement jamais eu le choix. Sa mère a toujours fait en sorte qu’il oublie tout pour mieux avancer. A lui demander maintenant de se rappeler elle a peut-être condamné leur relation.

     Il y a un montage fabuleux, très modèle américain, avec flash-back essentiels et reconstruction, par point de vue, par la mémoire, de l’instant clé du récit. Franchement on se croirait chez De Palma. Il y a du Clint Eastwood aussi. Dans son approche classique. Mystic River ne rôde pas très loin. Pour le côté mélo principalement et sa belle galerie de personnages. Et c’est vrai qu’il y a une virtuosité chez ce jeune cinéaste coréen. Il se plait à filmer des récits incroyables avec une mise en scène, sinon inventive, complètement efficace. Personnellement je marche à fond. Surtout qu’il s’entoure d’acteurs absolument impeccables. Son film passe à une vitesse folle. Je suis admiratif du travail technique et l’histoire m’emporte d’un bout à l’autre. Si la danse initiale m’intriguait, la danse finale m’a carrément terrassé d’émotion.

No country for old men – Joel & Ethan Coen – 2008

No country for old men - Joel & Ethan Coen - 2008 dans Joel & Ethan Coen no-country-for-old-men

   7.5   Voilà des mois que je voulais le revoir. Se le mater après A serious man n’est pas un hasard, il fallait que je me décrasse. Ce n’est que mon second visionnage mais mince, quelle merveille ce film ! Il y a une science de l’absurde mélangée au western moderne qui est remarquable. C’est très bien dosé. On a le sourire aux lèvres et en même temps le climat est des plus tendu. On a donc envie d’y croire comme rarement chez les Coen.

     On pourrait le voir comme un film choral, très proche d’un Fargo, ou d’un Blood simple. Cette façon si singulière qu’ils ont de s’occuper de leurs personnages. Ainsi nous ne verrons pas Tommy Lee Jones tout de suite. De la même manière Javier Bardem est très présent mais rarement dans le cadre. Et puis il y a Woody Harrelson que l’on voit peu mais son apparition me suffit à dire que c’est mon personnage préféré du film. Il est à l’image de No country for old men. C’est le doseur. Il m’effraie autant qu’il me fait marrer. Là ce n’est pas un film séquentiel. Chaque moment est plus ou moins dépendant d’un autre. Il y a une linéarité qui me plait énormément.

     On est en plein Texas, dans les années 80. Un modeste chasseur trouve malgré lui une mallette de billets que deux groupes de trafiquants mexicains n’ont pas réussi à se départager. Il décide de la garder. John Chigurgh, un gars qui fait flipper avec une coiffure de palymobil, est un personnage bien curieux, sorte d’électron libre, dira quelqu’un dans le film, qui recherche cette fameuse mallette, qui contient un transpondeur. Et il y a le vieil homme, ce policier qui ramasse les miettes derrière.

     Je ne pense pas qu’il y ait de grande réflexion à tirer de ce film fabuleux. Comme il n’y en avait pas dans les western spaghetti de Léone. C’est une chasse à l’homme. Avec très peu d’émotion. Il y a les grands espaces naturelles désertiques le jour. Et une ville dépeuplée la nuit. Sur les trois personnages majeurs, l’un ne parle pas beaucoup, il tente de s’en sortir. Le second joue la vie de ses rencontres à pile ou face, remplace l’arme à feu par une bombonne d’oxygène et semble tout droit sorti d’une autre planète. Le troisième, le vieil homme, constate qu’il est dépassé. Il pense que les choses ont trop changé, qu’aujourd’hui n’est plus comme avant, que l’ère est mauvaise. Un ami, en fin de film, lui dira que ce n’est que vanité de penser cela. Qu’un homme de son âge, il y a cent ans, dirait la même chose. Il se rend compte alors qu’il n’est pas que dépassé, il est vieux tout simplement.

A serious man – Joel & Ethan Coen – 2010

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     1.5   Voici mon incompréhension totale de ce début d’année. Au sens propre d’une part parce que je n’ai vraiment rien compris au film, je ne sais même pas de quoi ça parle et je n’ai pas dormi. Et comme si ça ne suffisait pas j’ai eu droit à une salle complètement hilare durant la projection. Bref le gros bad. Devant l’effervescence générale, j’ai tenté de me raccrocher aux branches à de nombreuses reprises, en vain. J’ai eu l’impression de voir, d’un bout à l’autre, une caricature du cinéma des Coen. De voir un film carrément déjanté mais très écrit, très limité. Un film de scènes aussi. Car je ne voyais pas de rapport – à l’image de la première séquence du film – d’une scène à une autre. J’ai alors pensé à Tarantino : je me suis dis que lui aussi avait réalisé avec Inglourious basterds un film séquentiel. La tension s’installait doucement, progressivement et en plus il nous offrait quelque chose à la fin. Chaque scène du dernier Coen ne mène à rien, je me sens manipulé, baladé, je m’emmerde incroyablement et pour rien recevoir. Toutes leurs redondances habituelles qui parfois passent (Fargo, O’brother…) ou cassent (The big Lebowski, Burn after reading…) sont ici surdéveloppées et indigestes. Comme une concentration de running ‘bad’ gag à l’intérieur d’un cinéma assez moche, faussement cool, très pantouflard. Un film moins dialogué m’aurait peut-être davantage parlé je ne sais pas. Là je n’ai pas desserré les dents.

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