6.5 Agnès Varda n’aura eu de cesse d’intégrer dans sa filmographie récente des films hommage à l’homme/cinéaste Jacques Demy, son mari à la ville. Les demoiselles ont eu 25 ans revient sur Rochefort, les lieux de tournages, évoque les décès des uns, les réussites des autres. Film entièrement dépendant du chef d’œuvre de Jacques Demy qui est aussi un très bel essai sur la force implacable du temps. Plus tard L’univers de Jacques Demy pour en savoir plus sur cet énergumène fou de cinéma et de chansons poétiques. Et très récemment, Les plages d’Agnès, film expérimental qui travaille sur les reflets de l’image en parallèle à la mémoire, qui rend hommage à la nouvelle vague d’une manière générale, à Jacques Demy donc aussi. Jacquot de Nantes est le premier de tous ces films. Le réalisateur français vient de mourir, sa femme décide de lutter contre l’oubli et commence ce film qui retracera l’enfance de Jacques Demy et racontera les origines de sa passion pour le cinéma.
Trois jeunes acteurs joueront le futur réalisateur. Trois jeunes acteurs d’âges différents en fait. Pour autant, et c’est une grande qualité, le film n’est pas du tout construit en trois étapes de vie, de développement culturel. Les seuls changements brutaux qui interviendront seront les métamorphoses physiques que Demy subira, pour montrer qu’il grandit. Les grandes étapes sont évidentes mais elles se confondent avec le reste pour retracer une enfance complète. Il en ressortira plus principalement la période de guerre. La première rencontre amoureuse. La première initiation au métier de cinéaste. Des seuils importants dans la vie de cet homme. Agnès Varda nous procure quelque chose de très intense par moment. Elle fait des inserts de films de son mari dans son propre film biographique. Ainsi chaque fois qu’une situation rappelle un film de Demy, elle cale une scène de ce film durant quelques secondes. Par exemple, il est question de manifestations dans les rues de Nantes, une séquence d’Une chambre en ville s’intercale. Si l’on y voit le garage où Demy a grandit, on y verra juste après une scène des Parapluies de Cherbourg. Si au premier abord on peut trouver le procédé redondant et facile, il s’avère très efficace ensuite et plus discret. Et c’est finalement très touchant car l’on se rend compte combien le cinéaste a puisé dans sa mémoire, dans ses souvenirs – dans le vécu donc, le vrai – pour étayer ses propres films.
Jacquot de Nantes parle de cinéma, systématiquement, car parle d’un jeune homme qui passait sa vie dans les salles obscures, qui dénichait tous les films et faisait ensuite les programmes ciné de ses potes. D’un gamin qui très tôt, et par le plus grand des hasards, s’est intéressé au métier de cinéaste, en se procurant une petite caméra, visionnant maintes fois le même film (un court de Charlot) avant d’effacer la bande et d’en faire ses propres images, dessinées au feutre sur la bande. Le cinéma tient là une place considérable. Tout comme la guerre qui l’aura beaucoup marqué. Surtout la fois où il a vu une femme morte devant ses yeux. La ville de Nantes bien entendu. Ce sabotier chez qui il est resté un long moment aussi (il fera d’ailleurs un court métrage, adulte, qu’il appellera le Sabotier du val de Loire). Il y a une volonté inoxydable chez ce bonhomme, qui travaillait plus dans son grenier (à faire ses petits films) qu’à l’usine (boulot que son père recommandait) et aimait tellement ce qu’il faisait qu’il aurait été difficile d’imaginer ne pas le voir reconnu aujourd’hui comme un grand cinéastes.