6.0 Il y a une séquence que je trouve formidable, c’est celle de l’ascenseur. Tout est d’habitude un minimum programmé concernant chaque rencontre, chaque situation, mais là on est dans le plus simple hasard. Il y a un gag : les photos de la mission qui tombent du chariot sous le nez de l’arnaquée. Gag d’autant plus drôle qu’il est fait par François Damiens qui les collectionne brillamment pendant tout le film, entre dégaine de naze, de pervers parfois même violent. Mais ce n’est pas ce qui me séduit dans cette scène. C’est le jeu de regards et ce qui en découle qui est vraiment réussi à mon sens. Ce n’est pas le regard de la méfiance chez Duris, davantage celui de la honte, voire de l’excuse muette. Ce n’est pas le regard de la colère chez Paradis, mais plutôt celui d’une femme charmée. Je m’explique. Bien entendu, elle sait d’emblée qu’elle est tombée dans un piège. N’importe quel personnage dans un autre film aurait réagi violemment. Ce n’est pas ce qu’elle fait. Au lieu de cela elle retombera dans ses bras quelques minutes plus tard. Selon moi elle a compris. Qu’il était arnaqueur, que c’était son boulot, qu’elle était son gagne pain, d’accord. Mais surtout elle a compris qu’il avait perdu ses moyens en faisant ce job, qu’elle n’était pas une victime de plus, qu’elle était probablement sa dernière. Dans les réactions de Duris elle a vu quelqu’un qui tombait amoureux et non quelqu’un qui était en train de l’arnaquer. Je crois que c’est ce qui m’a vraiment plu dans cette fin de film. C’est grâce à cette scène que l’on peut croire à cette retrouvaille finale d’ailleurs. Mis à part ça j’ai trouvé le film très sympathique et très fluide. On ne s’ennuie jamais et les comédiens sont tops. Vraiment un bon moment devant un film mignon comme tout.
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Archives pour avril 2010
La femme est l’avenir de l’homme (Yeojaneun namjaui miraeda) – Hong Sangsoo – 2004
Publié 30 avril 2010 dans * 2004 : Top 10 et Hong Sang-Soo 0 CommentairesFragiles retrouvailles.
8.0 Comme dans Woman on the beach quelques années plus tard La femme est l’avenir de l’homme est un récit à trois personnages. Deux amis qui ne s’étaient pas vu depuis un bout de temps se retrouvent, s’échangent des banalités, parlent de leurs vies respectives. Bientôt ils parleront de Sunhwa. Une fille dont ils étaient éperdument amoureux il y a des années de ça. Ils partent à sa recherche tandis que les premières neiges sont tombées sur la Corée.
Leurs retrouvailles ne sont pas anodines. La première chose qui frappe ce sont les différences de vie entre les deux amis. L’un a fondé une famille, vit dans une grande maison, enseigne la physique je crois. L’autre est un réalisateur de film – le cinéma toujours chez Hong Sangsoo – à l’affût, un électron libre qui voyage. C’est lui, d’ailleurs, qui vient jusque chez son ami. Il y a une volonté de montrer une opposition qui n’est pas conceptuelle, simplement elle permet de voir les divergences que le temps peut apporter. Cette petite scène de jalousie que l’un fait à l’autre sur un enlacement trop intime, juge t-il, que son ami a eu avec sa femme à leur dernière entrevue est une situation qui témoigne d’un bouleversement. Comme s’ils n’étaient plus vraiment sur la même longueur d’ondes.
Il y a une déconstruction de récit à cet instant. Le cinéaste coréen nous demande alors de voir deux souvenirs. Celui de l’un et de l’autre, respectivement, avec Sunhwa. Puis le trio se reformera.
C’est peut-être le film où le cinéaste parle le plus de lui, de ce qu’il juge essentiel dans les aspirations professionnelles. Quelque part, même s’il le fait avec beaucoup de douceur et d’empathie, il condamne un certain modèle de vie. Celui de l’homme marié, à qui tout semble réussir. Cette vie dépourvue de folie, qui le cloisonne et le pousse à remuer son passé (ce vieil ami, cette rencontre amoureuse). Cet ami réalisateur semble beaucoup plus comblé dans sa vie mouvementée, il semble plus ouvert, moins figé. Lorsque le trio se reforme, on s’en doutait, une attirance se reforme aussi. L’homme marié a tout organisé et il laisse à nouveau partir ses amis ensemble. Dans une dernière séquence complètement symptomatique des remords du personnage, il boit un verre avec ses étudiants. Il se fait sucer par l’une de ses élèves. Puis il restera là sous la neige, en pleine ville, s’apercevant qu’il est temps de rentrer à son doux foyer, retrouver sa femme et sa fille. Tandis que son ami, et la nouvelle Sunhwa se sont eux aussi séparés violemment, lui ayant découvert dans la nuit (ils l’ont passé tous trois ensemble, dans le même appartement) qu’elle était allée voir son ami sur le canapé. Je n’ai pas dormi de la nuit, dira t-il. Il s’éloignera. Elle restera là. Le temps d’une journée, d’une nuit le trio s’est reformé, les sentiments ont été décuplés. Le lendemain tout s’est à nouveau disloqué…
Je ne sais pas si c’est le film de Hong Sangsoo que je préfère mais c’est sans nul doute celui qui me touche le plus. Je sais que ce genre d’histoires de retrouvailles, de remords, de sentiments forts enfouis pourrait très bien m’arrivé. Quelque part j’ai l’impression de ne voir que faiblesses ici. C’est ce qui me touche vraiment je crois, dans ces trois personnages.
7.5 C’est un film qui parle d’acceptation de soi. De sa différence. Acceptation que les choses peuvent changer. Un goût. Un amour. Acceptation que le temps peut se charger de tout ça. Le film s’appelle Ander, c’est le prénom du personnage central. Le film ne parle pas uniquement d’Ander, il tourne autour de cet homme. On apprend très vite qu’une fois le père décédé le garçon a repris les commandes de la ferme. Nous sommes en Espagne, partie basque. La mère ne parle pas l’Espagnol. Les enfants ont grandi avec les deux langues. De la même manière on est dans une conjoncture à double emploi. Le travail de fermier ne suffit plus à survivre dorénavant, Ander le partage avec l’usine. Le film ne le crie pas il le montre, et le plus simplement du monde. Le jour où Ander se blessera il leur faudra embaucher quelqu’un, pour secourir aux tâches bien trop importantes pour les seules épaules d’une mère malade et d’une fille qui prépare son mariage. Recommandé par un ami, cet homme ce sera José, un émigré péruvien. Hostile à l’idée d’embaucher un étranger (la barrière de la langue surtout mais aussi un enracinement communautaire) la mère accepte finalement, nul doute que la légère contrepartie rémunératrice étant donné le statut de leur nouvel hôte a fait pencher la balance.
Ander, le film, avance comme cela, petit à petit. Il ne dit au départ pas grand chose sur ses personnages, puis au fur et à mesure il s’ouvre. On apprend à connaître leurs passés. Il y a cet étrange personnage par exemple, Evaristo, que tous sont surpris d’apprendre la venue. Plus loin on apprendra les relations qu’il a toujours entretenu avec le père d’Ander puis avec sa femme. Ces deux là se sont toujours aimés mais se ne le sont jamais avoués. Il y aussi Reme, la prostituée avec laquelle Ander et son pote Peio passent du bon temps très souvent. Elle qui couve un lourd chagrin, celui d’élever seule son enfant depuis que son homme l’a quitté à l’aube de sa grossesse. Elle ne fait que l’attendre. Elle refuse de grandir sans lui. Et bien entendu il y a Ander. Célibataire endurci. Ce qui insupporte sa mère, surtout dit-elle, depuis qu’elle sait que sa sœur cadette de quatorze ans va se marier avant lui. Il va se passer un truc très fort entre Ander et José. Mais quelque chose d’inavouable. Une attirance très intense. Une attirance que seule Reme a remarqué. C’est un film sur le poids de la famille, le poids d’une certaine rigueur morale qui annihile toute pulsion instinctive. Quelque chose doit arriver et il arrive. Roberto Caston a réussi à rendre unique cette passion forte et muette car on ne la voit pas vraiment s’installer et pourtant on y croit vraiment lorsque le moment se produit. Tout comme ce qui se produit ensuite : Ander ne freine plus ses envies, il se les interdit. Là où dans une famille d’apparence soudée il n’y a que secrets, hontes et mensonges, il y a deux êtres qui les côtoient et qui provoquent une magie inouïe. Ander ce serait le versant très accessible de Théorème. Car même si les enjeux sont différents il y a tout de même un peu du film de Pasolini là-dedans dans cette volonté de faire éclater les désirs par l’arrivée de l’étranger. Le film brasse large il ne se cantonne pas à un simple amour homosexuel refoulé. Il s’intéresse à tous ses personnages. C’est un film de famille avant toute chose. Et c’est un film qui pourrait être austère, moi je le trouve extrêmement lumineux, dans le regard qu’il porte sur ces corps, ces âmes perdues, dans cette petite maison de campagne que l’on ne quittera jamais, qui ouvre et clôt le film.
Mysterious object at noon – Apichatpong Weerasethakul – 2000
Publié 13 avril 2010 dans Apichatpong Weerasethakul 0 CommentairesLiberté !
6.5 Le cinéaste thaïlandais filme son pays. Mysterious object at noon est un film sur la route, en mouvement en permanence. Le prétexte pour capter le vrai c’est une histoire de garçon infirme et de son professeur dont le cinéaste demande à ses interprètes amateurs de poursuivre. Face caméra chacun nous en apprendra un peu plus à chaque fois. Il y a une liberté absolue dans ce film, tout le cinéma du cinéaste, aujourd’hui ayant acquis une renommée mondiale, se trouve ici. On embarque une pirogue sur un fleuve comme dans son futur court-métrage Luminous people. On y voit un peu de foot (sorte de tennis-ballon en l’occurrence) comme dans le sublime Phantoms of Nabua, segment de Primitve. On y parle d’un tigre dangereux, Tropical Malady n’est pas loin. Mysterious… s’ouvre de la même manière que la transition mi-film de Blissfully yours. Cette liberté se trouve partout, dans chaque plan. Dans le fait de filmer des enfants par exemple qui se prêtent au jeu, certains sérieusement, en racontant vraiment une histoire et de façon passionnante, d’autres en lorgnant la caméra d’un air dubitatif, d’autres encore avec une banane permanente. Dans le fait de filmer deux filles muettes qui racontent l’histoire avec leurs signes. On a l’impression qu’il n’y a pas de manière de faire prédéfinie. Ce serait peut-être ça le cinéma de Weerasethakul, le cinéma moderne même. S’ils ne connaissent pas l’histoire, la suite de l’histoire, le cinéaste leur demande d’inventer. L’important c’est la parole. A l’économie totale d’effets superflus, Apichatpong Weerasethakul observe aussi très souvent des moments de silence, pour contrer les monologues. Il préfère utiliser le sous-titrage en guise de voix-off. Et à d’autres moments il filme ce qu’il a devant lui. La vie en Thaïlande. Il filme aussi ce garçon infirme et son professeur comme si nous y étions, naviguant entre réalité, récit d’une réalité ou d’une fiction et fiction. Des enfants qui jouent au foot et qui se baignent dans le fleuve. Un type qui tente de vendre ses maquereaux. Le mouvement dans la ville. Puis celui de la campagne. Il y a comme ça quelque chose de très direct, comme si l’on filmait sous le manteau, et pourtant l’esthétique – bien que l’image ne soit pas aussi belle que dans ses films suivants – reste remarquable.
8.0 Le dernier film de Jim Jarmusch n’est pas facile à définir. On est pourtant bien chez Jim pas de doutes possibles. Cinéma de l’errance métaphysique, du dialogue rare et habité, cinéma du vide aussi. The limits of control c’est un peu comme son titre l’indique le film total du cinéaste, celui où il repousse ses propres limites, peut-être celui où on le retrouve le plus depuis Permanent Vacation. Parce qu’on le sent se délester de tout. Filmer, ne rien contrôler. Parcourir son film (comme son œuvre entière d’ailleurs) de moments contemplatifs, de touches humoristiques, de ses runnings gags coutumiers, ses dialogues sans issue. S’il peut faire l’effet d’un film caricatural il n’en est pas moins l’un des plus passionnants que le cinéaste ait eu à nous offrir.
Passionnant par sa musique d’une part. Et de son utilisation. La musique de Sunn O))) n’aurait jamais pu être si bien utilisée que chez Jarmusch, et ces images ralenties, où il nous envoûte, nous hypnotise. Cet homme rencontre chaque fois une nouvelle personne, généralement à la terrasse d’un café, où il prend systématiquement deux expresso. Chacun a sa personnalité. Chacun lui parlera brièvement ou davantage d’un sujet en particulier. Une opinion sur le cinéma ou la peinture. Ou une sur les molécules, une autre sur les hallucinations. Discret, excentrique, expressif, peu bavard, intéressant, artificiel. La plupart questionneront notre homme (on ne saura jamais son nom) se laissant aller à des opinions et suppositions aussi géniales qu’imperméables. L’une d’entres elles se contentera de lui montrer ses nibards. Mais tous auront cet échange à faire. Une mystérieuse boite d’allumettes. A chaque fois. Chaque mot – depuis la première entrevue – a une importance capitale. Chaque objet aussi. C’est un film qui avance comme on reconstituerait un puzzle. Un puzzle blanc, immaculé, sans issue, sans lendemain. A l’image de cette toile recouverte d’un drap blanc à la fin du film. Tous ces personnages qui interagissent, participent à un échange dans l’unique but d’emmener notre homme à destination.
Certaines rencontres sont fabuleuses. Ne serait-ce que la première par exemple, où notre homme apprend les paramètres de sa mission par deux types un peu bizarres, joués par Alex Descas et Jean-François Stevenin, le premier débitant tout un tas de dialectes en gerbant des phrases dont on ne comprend pas grand chose, du moins pour le moment, le second se contentant de traduire. La rencontre avec Tilda Swinton et son avis du cinéma aussi. La merveilleuse et bandante rencontre avec Paz de la Huerta. Et la rencontre finale bien entendu.
The limits of control parle de pas grand chose. Mais il est habité d’une ambiance remarquable. Le genre d’ambiance que l’on garde en tête post visionnage. Comme si l’on avait participé à une séance d’hypnose !