Liberté !
6.5 Le cinéaste thaïlandais filme son pays. Mysterious object at noon est un film sur la route, en mouvement en permanence. Le prétexte pour capter le vrai c’est une histoire de garçon infirme et de son professeur dont le cinéaste demande à ses interprètes amateurs de poursuivre. Face caméra chacun nous en apprendra un peu plus à chaque fois. Il y a une liberté absolue dans ce film, tout le cinéma du cinéaste, aujourd’hui ayant acquis une renommée mondiale, se trouve ici. On embarque une pirogue sur un fleuve comme dans son futur court-métrage Luminous people. On y voit un peu de foot (sorte de tennis-ballon en l’occurrence) comme dans le sublime Phantoms of Nabua, segment de Primitve. On y parle d’un tigre dangereux, Tropical Malady n’est pas loin. Mysterious… s’ouvre de la même manière que la transition mi-film de Blissfully yours. Cette liberté se trouve partout, dans chaque plan. Dans le fait de filmer des enfants par exemple qui se prêtent au jeu, certains sérieusement, en racontant vraiment une histoire et de façon passionnante, d’autres en lorgnant la caméra d’un air dubitatif, d’autres encore avec une banane permanente. Dans le fait de filmer deux filles muettes qui racontent l’histoire avec leurs signes. On a l’impression qu’il n’y a pas de manière de faire prédéfinie. Ce serait peut-être ça le cinéma de Weerasethakul, le cinéma moderne même. S’ils ne connaissent pas l’histoire, la suite de l’histoire, le cinéaste leur demande d’inventer. L’important c’est la parole. A l’économie totale d’effets superflus, Apichatpong Weerasethakul observe aussi très souvent des moments de silence, pour contrer les monologues. Il préfère utiliser le sous-titrage en guise de voix-off. Et à d’autres moments il filme ce qu’il a devant lui. La vie en Thaïlande. Il filme aussi ce garçon infirme et son professeur comme si nous y étions, naviguant entre réalité, récit d’une réalité ou d’une fiction et fiction. Des enfants qui jouent au foot et qui se baignent dans le fleuve. Un type qui tente de vendre ses maquereaux. Le mouvement dans la ville. Puis celui de la campagne. Il y a comme ça quelque chose de très direct, comme si l’on filmait sous le manteau, et pourtant l’esthétique – bien que l’image ne soit pas aussi belle que dans ses films suivants – reste remarquable.