6.0 Tout est question de mise en place. Comment raconter les vies respectives de trois sœurs tout en les enchevêtrant ? Solondz choisit d’abord le cas par cas. Ce seront avant tout deux d’entre elles que nous suivrons, sans savoir d’ailleurs que ce sont des sœurs. Solondz abandonne très vite l’idée du récit choral à sensation. Les relations qu’elles entretiennent ensemble importent moins le cinéaste que celles qu’elles ont au quotidien avec leurs hommes, ou bien leurs solitudes. Nous sommes en plein milieu aisé. L’american way of life donc. Mais son versant réaliste, celui que l’on ne soupçonne pas derrière tout ce spectacle des apparences bourgeoises tranquilles. Nos trois frangines ce sont comme nos desperate housewives. Elles n’ont d’heureux que leur paraître. Joy galère avec un mari junkie et pervers, alors qu’elle sort d’une relation difficile avec un type qui s’est finalement suicidé. Scène d’entrée en matière hallucinante. Helen, celle que l’on ne verra qu’une seule fois, mais reviendra parfois dans les discussions, entretient une haine de la famille bien appuyée par sa paranoïa maladive due à sa solitude de star déchue. Quant à la troisième, Trish, celle qui nous intéresse davantage, vit dans un mensonge qu’elle inculque à ses enfants pour les préserver dit-elle, qui veut que leur père ne soit pas le pédophile en prison qu’il est mais tout simplement mort. Elle entre dans une relation naissante avec un gentil bonhomme un peu gros, un peu vieux dont elle se surprend être attirée, mais ne sais plus si elle doit en parler à son fils, curieux et lucide (ça nous change) qui s’apprête à fêter sa bar-mitsva. Et comme si ça ne suffisait pas, c’est à cet instant que le père sort de taule… Il faut voir comment le récit est raconté, tout en fluidité, tout en simplicité. Life during wartime serait en quelques sortes une réponse généreuse et passionnante au dernier film nombriliste et chiant des Coen. Et puis même sans parler d’humour ou de prétention sur quoi que ce soit, le dernier Coen n’a pas de séquences comme celle de la retrouvaille père/fils du Solondz. Et puis c’est un film extrêmement touchant. Solondz a dépassé la barrière du film cynique auquel je m’attendais en livrant un film humain, tout simplement. Ce pourrait être grotesque c’est par instant bouleversant.
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Archives pour 5 mai, 2010
L’ange exterminateur (El angel exterminador) – Luis Buñuel – 1962
Publié 5 mai 2010 dans * 730 et Luis Buñuel 0 CommentairesForces obscures.
9.5 Quel plaisir, quelle chance de découvrir un tel chef d’œuvre sur grand écran ! C’est ma première fois avec ce cinéaste – que j’admire pourtant énormément – que je me dis en sortant de son film qu’il touche à la perfection. Il est là comme une synthèse de son cinéma, qui utiliserait à la fois les codes du néo-réalisme (par moment on est presque chez Fellini), de la satire sociale et du surréalisme, commencé trente-cinq ans plus tôt avec Un chien andalou. Et pourtant c’est encore un objet unique.
Après une sortie à l’opéra, un couple de bourgeois invite une vingtaine d’amis dans leur demeure, à souper, à discuter, jouer du piano, s’auto congratuler. Tous plus pédants, révulsants, suffisants les uns que les autres. Chacun y parle de son beau métier, sa belle fortune, raconte des anecdotes qui n’ont pas fini de nous faire frémir. Comme cette femme qui se demande si elle n’est pas devenue totalement insensible, n’ayant éprouvé aucune émotion devant cet accident tragique, une collision de trains, complètement en accordéon, alors qu’il s’y entassait des gens du peuple dira t-elle. Et une autre de lui répondre qu’évidemment que si elle sait encore être touchée, comme à la mort de tel grand homme par exemple. Et cette femme qui réplique alors trouvant l’exemple mauvais : Comment ne pas être ému par la mort d’une personne aussi importante ? Bref tout un tas de discussions à vomir, dans une soirée qui sent l’hypocrisie, sorte de boite à mensonges, à fierté, à tabous.
Mais il y a des signes étranges dans cette soirée. Des indices qui nous permettent de voir que quelque chose cloche, quelque chose de bizarre est en train de se passer. D’abord, les domestiques fuient la demeure, un par un. Des répétitions interviennent dans les dialogues, les faits et gestes, le serveur trébuche condamnant du même coup le plat principal, une femme sort des pattes de canards de son sac qu’elle range aussitôt, trois moutons et un ours ont investit la cuisine. Puis en fin de soirée, chaque convive se retrouve dans le petit salon affalé sur les sofas, chose qui en perturbe plus d’un car chose qui n’arrive jamais dans leur bonne haute société. Certains sont prêts à partir quand soudain une force inexplicable les en empêche. Pas une force réelle, visible ou palpable, non une force surnaturelle qui les pousse à réenvisager leurs envies. Une fatigue soudaine par exemple. Et un par un, chacun des convives se met à l’aise, investit le salon, chaises, sofas, sol et commencent à s’endormir. C’est le point de départ de ce film complètement dingue mais ô combien intelligent.
Peu à peu donc, les rouages de cette petite communauté vont faire leurs apparitions. L’entente cordiale qui régnait jusqu’alors va se démanteler. Car ce n’est pas une mais plusieurs nuits qu’ils vont passer ensemble, comme une mise à l’épreuve. La panique, la faim, la soif, le manque d’hygiène, tout contribue à une montée de folie progressive et collective. Certains se mettent à parler tout seuls, d’autres font des prières, d’autres tentent de casser des murs en vain, quelqu’un qui n’a trouvé qu’un moyen ludique de passer son temps en faisant marcher un rasoir électrique qui agace la galerie, des instants de spiritismes, des rêves à vous en donner le vertige. Ajouter à cela un malade de la première soirée en train d’agoniser tranquillement, que l’on a pour ainsi dire abandonné. Des engueulades à tout bout de champ. Des envies de suicide. Ces jolis petits masques qui ornaient nos convives sont définitivement tombés. C’est désormais une cohabitation impossible vouée à la survie, entre des êtres tous contradictoires, plein de conventions répugnantes, en train de crever à petit feu dans leur pourriture, leur insolence.