L’autre vie moderne.
5.5 Alors bien sûr c’est intéressant, instructif et sans doute indispensable mais ce qui ne fonctionne pas ici, à la différence du dernier film superbe de Raymond Depardon, ce sont les témoignages. Ce ne sont pas de simples paysans, de simples agriculteurs à qui l’on demande de s’exprimer mais des politiques avant tout. Je n’ai presque jamais été touché par ce que me disait le film, là où chaque intervenant dans La vie moderne en devenait par de simples mots, parfois même uniquement des regards ou des postures carrément bouleversants. Là j’entends du discours politisé, une séance de cinéma hyper didactique en somme où je me sens agressé, pointé du doigt. Je n’y vois aucune vie. Je ne remets pas en cause la véracité de leurs discours mais nombreux de ces intervenants font toc dans le paysage à mon sens, beaucoup plus à l’aise dans un bureau qu’au volant d’un tracteur. De l’agriculteur et maire de telle ville, on passe à l’agriculteur et écrivain et on revient à un autre maire. Ces gens de me parlent pas car ils ne sont, à mon sens, pas pris sur le fait. Tout m’apparaît comme planifié. De fait, la fausseté de certains m’épuise et lorsque je les retrouve je préfère ne pas les écouter, donc je m’ennuie. Il n’y a qu’avec ces interviewés retraités qu’il se passe vraiment quelque chose à mon humble avis. On est loin de l’envoûtement affectif que produisait La vie moderne. Maintenant est-ce un mal ? L’enjeu est ailleurs, il est autrement. C’est simplement que pour moi c’est du discours. Et le discours pour le discours m’épuise.
Malgré tout le propos est terrassant. Car plus que la mort d’une époque c’est surtout la mort de la vie agricole. C’est l’avènement des compétitions, de l’argent, et donc des disparitions des petits. Mais plus qu’un simple constat nostalgique et dramatique, c’est un soulèvement de questionnements. Pourquoi les sols meurent ? Pourquoi l’agriculteur se doit aujourd’hui d’avoir une double activité pour s’en sortir ? Quels moyens sont à notre disposition pour préserver cette culture vitale ? Comment va t-on tenter de palier à cette rupture ? A ce niveau l’enjeu devient forcément politique. Un moment donné on longe une route (dommage que nous ne soyons que si peu dehors d’ailleurs, il me manquait sans doute aussi cette respiration) de banlieue parisienne, ou peut-être que c’est dans L’Eure je ne sais plus, et un agriculteur, au volant de sa voiture, parle de l’histoire des terrains, des parcelles, de ces milliers d’hectares, du rachat des petits par les plus grands. Avant, dit-il, vingt parcelles se partageaient dix hectares, puis ce fut le contraire, et c’est pire aujourd’hui. Voilà ce n’est pas un parallèle avec le cinéma que l’on peut vraiment faire, mais un parallèle avec la salle de cinéma, avec son devenir. Marrant je parle d’hectares, il y a un truc auquel je repense qui m’a profondément gêné, on emploie autant de chiffres que durant les régionales. Quand je disais que la plupart des intervenants étaient des politiciens. Ils ont cette science infuse qui m’agace profondément, ils n’ont pas cette naïveté, ce cœur qui me permettrait d’être toucher par cette histoire, plutôt cette tragédie d’ailleurs. Mais il faut le voir je pense. Sitôt que l’on accepte la leçon le film est passionnant, et on en ressort enrichi, c’est certain. Ce qu’il s’est trop rarement produit me concernant. Pour finir sur une note positive : je trouve le dernier plan absolument somptueux. C’est comme si je l’avais attendu pendant tout le film. Il m’apparaît comme une conclusion belle et plombante qui, par son silence et son détachement m’a beaucoup touché.
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