Enfermée.
6.5 C’est dans un huis-clos pesant – l’appartement d’une jeune femme – accompagné de plans fixes uniquement que le schéma narratif s’installe. Film psychologique qui ne nous séparera jamais de son actrice principale, mettant en scène un appartement symbolique de l’état psychique de la demoiselle, entre enfermement permanent (l’appartement semble coincé au milieu d’autres, les brèves vues que l’on aura des fenêtres ne donnent que sur des terrasses avoisinantes) et désir d’une lumière plus vive (l’appartement apparaît sombre, les moments de clartés sont sinon détachées, particulièrement rares, passagers et encore faut-il qu’il fasse jour) qui n’est autre que l’état de Laura en perpétuelle recherche d’un plaisir encore inconnu, car elle vit dans une frustration répétitive, et en pleine bataille avec son propre passé, avec sa propre situation géographique. C’est dans cette frustration et cet enfermement, plus que dans une culpabilité enfouie je pense, que naît un désir, un plaisir totalement nouveau la concernant. Les indices sont grands, presque lourds, dans cette première partie de film : La jeune femme est définitivement cloîtrée chez elle professionnellement, elle est journaliste à domicile, et ne communique qu’avec un téléphone fixe – à de nombreuses reprises, le lien affectif n’est autre que le lien maternel. Il n’y a qu’avec son frère que la jeune femme entretient une relation physique, lui venant la voir à trois reprises, lui racontant ses propres histoires sentimentales. Son unique lien physique, autrement que sexuel, est tué dans l’œuf par une compassion convoitée qu’elle ne peut et ne veut guère offrir à son frère. Enfermement renforcé par la position de son appartement, probablement imbriqué avec d’autres – nous n’aurons jamais de vue d’ensemble, on sait que l’on est à Mexico mais Rowe ne filmera jamais la ville – où elle peut voir un couple plus âgé, ayant atteint une forme de sagesse qu’elle ne recherche pas pour le moment, qu’elle admire probablement, et un couple plus jeune qu’elle observe, de temps à autres, dans leur quotidien, tout en se masturbant de son côté, comme une idée du bonheur qu’elle convoiterait mais qu’aucun homme jusqu’ici n’ait été en mesure de lui offrir. On le voit bien de toute façon lorsqu’il y a ce garçon, avec lequel elle fait l’amour un soir, qui se rhabille sans faire de bruit, s’en va délicatement le lendemain matin, pendant que la jeune femme, impuissante, faisant mine de dormir, le laisse partir. Le cinéaste ne montre cela qu’une fois mais on a le sentiment d’une situation qui se répète. C’est donc une première partie d’installation, de familiarisation avec la vie de cette femme, avant que peu à peu nous glissions vers totalement autre chose. Il y a encore ci et là quelques indices qui semblent préparer la suite. Cette masturbation dont je parlais précédemment n’a absolument rien de sensuel (au sens moral j’entends), dans la position de la jeune femme, le cadre – coupant au niveau de la tête, donc vers le bas de la fenêtre – ou encore la vision constante de ce mur sale ou abîmé. Et si l’on accompagne cette femme dans son quotidien à la manière d’un Jeanne Dielman, ce n’est pas tant ici lorsqu’elle prépare à manger mais bien dans un climat davantage sexuel, charnel voire animal. On la découvre en train de faire ses besoins, de se regarder nue dans la grâce, de se masturber donc ou même de baiser (car c’est le terme) avec des types d’un soir. Tout paraît orienté vers le sexe. Et inévitablement c’est dans le sexe que cette femme va trouver un plaisir qu’elle ne connaissait pas, sans doute un plaisir qu’elle sera prête à pousser à la plus extrême de sa signification tout simplement parce qu’il s’agira là de son premier voire ultime véritable plaisir. D’une simple fessée dans un premier temps, c’est toute une relation sado-masochiste, à tendance scato qui s’apprête à se mettre en place. Dans les mêmes lieux, les mêmes heures, avec le même homme. Micheal Rowe a été très lucide dans sa façon de traiter cette forme de plaisir. Pas sur un ton accusateur ni sur son aspect sensationnel, déjouant toutes les attentes violentes que l’on se faisait de ce mécanisme, et traitant cela comme un plaisir, un vrai, non comme un vice. Il y a toute une dimension étrange (avec le pourquoi de l’année bissextile) concernant l’existence du père – qui n’apparaît que dans un cadre photo dans le film – qui ne me plait pas beaucoup. On sort d’un cadre primaire à mon sens. De simple pulsion sexuelle, convoquant sadisme et masochisme, on passe à quelque chose de l’ordre du passé douloureux qui influencerait les désirs présents. Ce n’est pas tant l’idée du passé qui me dérange (bien entendu que le tout forme une personne) mais tout ce sous-entendu sur les agissements du père, une sorte de culpabilité indicible. J’aime au contraire ce que l’on a jusqu’ici : une relation pure, mais très violente, que personne ne serait en droit de juger. A ce titre les dernières minutes de ce film son absolument magnifiques et surprenantes. C’est là où nous l’attendons pas que le film nous cueille, qu’il renverse son jeu pour venir alors s’attarder sur une femme en pleurs (à nouveau condamnée) qui s’en va tourner la page de son calendrier, avec un curieux sourire aux lèvres. Des larmes à cet instant auraient fait une fin ratée. Un sourire était plus juste. J’étais ravi. Pour en revenir aux références, j’ai évidemment beaucoup pensé au chef d’œuvre de Chantal Akerman, mais aussi au récent Parque Via, dans la répétition des mêmes gestes, dans l’adrénaline montante. Les scènes de sexes sont parfaitement mises en scènes, loin de tout caractère pornographique, des corps pas forcément beaux rendus très sensuels, un peu à la manière d’un Reygadas dans Batailla en el cielo. Quant aux deux acteurs, ils sont superbes. Marrant de voir le jeune Gustavo Sanchez Parra, tout en retenue, juste après le très volontairement démonstratif Rabia.