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Archives pour 6 juillet, 2010

L’emploi du temps – Laurent Cantet – 2001

Aurelien-Recoing-in-Time--001Time out.

   10.0   C’est bien simple, je considère ce film comme absolument parfait. Il y a une telle gravité dans cette errance, ce mensonge sans fin, et beaucoup d’empathie pour le personnage. A l’image de son premier plan, L’emploi du temps est un film en voiture. Pas un road-movie classique avec point A et point B mais un long chemin circulaire qui n’appelle que cassure. C’est sans issue. Cette sensation parcourait déjà Ressources humaines, son précédent long-métrage, mais il y avait un espoir, bien cadenassé, qu’il fallait se donner la peine d’aller chercher, mais il existait bel et bien.

     Toutes les portes sont bouclées dans L’emploi du temps. Pourtant l’on respire, même davantage que dans ses autres films. Le cadre permet cette respiration. Pas de société vue de l’intérieur, ni de salle de classe quotidienne, ici on est dehors, on voyage, on gesticule géographiquement, on trace des lignes et des cercles, on y voit la neige. Cantet filme la solitude. Les dérives de la société de compétition sur les familles. Le mensonge comme unique possibilité de survie provisoire. L’engagement illégal illusoire puis réel comme unique porte de sortie.

     Un père de famille, cadre dans une entreprise dans laquelle il travaille depuis onze ans, se retrouve du jour au lendemain sans travail. Refusant d’accepter cette situation et la confrontation avec sa famille, il s’invente un nouveau boulot complètement fictif en Suisse. D’allers-retours en allers-retours il se rend vite compte qu’il va avoir besoin d’argent. Il s’invente alors un marché boursier dans un pays de l’Est et trouve une clientèle qui balance leurs chèques. Cet homme s’enferme progressivement dans une spirale qu’il ne contrôlera bientôt plus du tout. C’est la seconde fois que Cantet filme le bouleversement intime, familial de cette manière là. Tendu comme un polar. J’en suis ressorti complètement anéanti. Le dernier plan est l’un des trucs les plus violents – alors qu’il ne s’y passe que dialogue – qu’il m’ait été donné de voir. 

Tous à la manif ! – Laurent Cantet – 1994

tous-a-la-manifParenthèse enchantée.  

   6.5   Court-métrage de 28 minutes. Comme dans Ressources Humaines la division est au centre du film. A la différence qu’ici le jeune homme reste du côté du père. Il est serveur dans un bar tenu par son père. Il pourrait encore être étudiant mais il a choisi, par envie, dépit ou pression familiale, rien ne sera clairement dit, ce poste cadenassé dans lequel il semble éternellement empêtré.

     La division opère ici avec la présence d’étudiants, du même age que ce garçon. On est du côté de La Sorbonne, il est question d’une grande manifestation anti-flics, et l’on se réunit justement dans ce bar pour faire interagir grandes phrases, coup de gueules et préparation stratégique. Le garçon regarde tout ça de loin, il a cette impression d’être à des années lumières de ce qu’il se passe sous ses yeux. Mais il est intrigué et très vite il prend part (tout en continuant son travail) aux joutes verbales, non sans une certaine pudeur ou timidité.

     A la fin du film, il verra le cortège partir à travers le boulevard parisien, impuissant, se retrouvera en tête-à-tête avec son père, débarrassant les tables de ses convives qui auraient pu devenir des collègues, ou amis. L’idée de ne pas évoquer d’emblée la situation familiale est judicieuse. Il faudra une vingtaine de minutes pour que cet homme appelle son employé ‘fiston’ et que l’on comprenne que tout ici est affaire de famille, que quelque part les issues sont doublement bloquées. Ce garçon c’est un peu tout le monde, c’est un peu Vincent dans L’emploi du temps, condamné à reprendre un schéma circulaire, dans un confort routinier, ne se donnant pas la peine de tout envoyer bouler.

     Tous à la manif ! est habité d’une contrainte : sa durée, enfin j’en ai l’impression. Du coup, alors que l’on pourrait avoir des percées très poétiques (comme dans Les sanguinaires) tout le récit devient très compact et ne s’attache pas à la solitude du personnage, à ce mal qui le ronge. Pourtant c’est aussi sa qualité de foisonner comme cela, de ne pas laisser le temps justement à ce garçon de choisir.

     Cependant il y a une scène que j’aime beaucoup car elle est totalement détachée et donne du crédit au personnage du père, jusqu’alors cantonné au père/gérant un poil casse-pied. Il s’agit d’une scène à table, pendant que certains jeunes boivent un coup, d’autres continuent leurs préparatifs, et d’autres qui ne font rien (tous sont incroyablement bons acteurs d’ailleurs). Cet homme propose à une jeune étudiante de retirer un billet sous un verre, sans faire tomber le verre, sans le toucher non plus. C’est un jeu. Ça n’a pas un grand intérêt ici et c’est ce qui me passionne. Les étudiants sont de passage, ils cherchent de quoi faire des banderoles. Le jeune serveur leur offrira une vieille nappe trouée. C’est sa maigre participation : Une nappe trouée. Le dernier plan, comme souvent chez Cantet, est très évocateur du mal aise qui habite et habitera encore le personnage.

Les sanguinaires – Laurent Cantet – 1997

les-sanguinaires_cantetles-sanguinaires02-900x505La routine pour un millénaire.   

   7.5   Une bande d’amis choisit de passer l’an 2000 sur une île de la Corse, au large d’Ajaccio, dans le but de s’éloigner de la foule, et plus généralement des conventions en tout genre propre aux festivités de la nouvelle année. Puis ce qui devait être un séjour tranquille glisse peu à peu vers un quotidien de contraintes qui ramènent chacun à sa véritable personnalité. Comme si cet endroit, cette petite maison habitée l’année par le gardien du phare nommé comme le titre du film, allait faire tomber des masques plutôt mal enfilés. Car on ne croit pas une seule seconde en la réussite de cette démarche marginale, faussement rebelle.

     Ce sont avant tout des plaintes successives : le retard du gardien pour leur ouvrir leur dortoir ou encore le fait qu’il n’y ait pas de chauffage. Viendront ensuite des discordances dans le groupe et des contradictions en tout genre. Puis surtout l’arrivée des exceptions. Il y a seulement un homme qui ne voudrait faire aucune entorse à son règlement. Pas de portable, pas de radio, pas de télé, en gros pas de lien avec l’extérieur. Coupés du monde. Ça marche deux jours puis certains voudront rejoindre la ville, ou simplement connaître la date. C’est une petite communauté qui semble parfaitement se connaître et se comprendre, mais qui perd cette compréhension dans un contexte moins civilisé. Il y a cette idée de fuite, comme c’est le cas plus tard dans L’emploi du temps, et ce retour à une réalité, ce refus du bouleversement, la peur du changement. L’emploi du temps c’est à l’échelle d’une vie. Les sanguinaires c’est à l’échelle d’une semaine, une malheureuse semaine.

    Et les conventions refont surface malgré elles, sans que personne ne les voient véritablement venir. Lorsque l’on décide de tout de même faire un bon repas pour la saint Sylvestre, il est tout de suite question de manger du foie gras. Lorsque le moment tant attendu se pointe, le regard figé sur les feux d’artifice de l’autre côté de la méditerranée, que vient-il à l’esprit ? S’embrasser. C’est la seule chose qu’ils connaissent. Dans le même temps, un garçon s’endormira sur les rochers, une femme chutera sévèrement pendant que son homme disparaîtra. Le lendemain, à l’aube, lorsque chacun s’affaire à chercher leurs amis, que les hélicos tourneront à leur recherche autour de l’île, dans une séquence qui rappelle un peu L’avventura, on pourra se dire qu’ils auront eu le droit à leur nouvel an pas comme tout le monde. Et l’on se demandera si cet homme, qui croyait tant en la réussite de son projet en tyrannisant ainsi ses amis, avait besoin d’un réveillon loin des civilisations, ou si en bon citoyen parano qu’il est, pouvait-il simplement craindre le changement de millénaire.

     La mise en scène de Laurent Cantet est probablement moins inspiré que dans ses longs métrages, moins subtile, mais ne perd pas son caractère d’envoûtement. Moyen métrage d’une heure crée pour la télévision (L’an 2000 vu par…) Les sanguinaires reste un film incroyablement passionnant, loin des écueils habituels de téléfilms. Un film qui quelque part rappelle un peu Les naufragés de l’île de la tortue, de Jacques Rozier, dans cette volonté d’évasion qui se casse peu à peu la gueule. En beaucoup plus sombre en revanche, car le clair de lune ici est beaucoup plus menaçant qu’ailleurs.

Vers le sud – Laurent Cantet – 2006

18466869Obsessions contradictoires.    

   5.5  Vers le sud a dû être en 2006 la déception des fans du cinéaste, qui s’en tenait jusqu’ici à deux longs métrages absolument somptueux. Pourtant c’est loin d’être un mauvais film, juste qu’il n’est pas à la hauteur, juste que venant de Laurent Cantet c’est définitivement un film anecdotique. Malgré tout, ces différents portraits de femmes, d’hommes ne manquent pas d’intérêts. Il est avant tout question de solitude, de fuite de la condition. Deux femmes qui ne se connaissent jusqu’ici pas du tout, se rencontrent sur une île d’Haïti et font connaissance par l’intermédiaire d’un jeune haïtien qui leur fait passer du bon temps. Pour l’une c’est le garçon parfait, qu’elle aime regarder, prendre en photo, bronzer à ses côtés, c’est un amour de quotidien. Pour l’autre c’est la quête d’un orgasme qu’elle aurait eu avec trois ans auparavant alors qu’elle était en vacances avec son homme, le genre d’orgasme qu’elle n’a pas oublié. Toutes deux éprouvent quelque chose de fort pour ce garçon. Lui-même qui a de gros problèmes avec un gang du pays. Vers le sud ou là où les besoins charnels se confrontent : Oublier une condition précaire et dangereuse pour l’un, effacer une solitude éternelle dans un quotidien même pas drôle pour les autres. J’aime l’idée bien entendu mais il y a probablement une manière beaucoup plus forte, plus étrange, plus sensuelle de le faire. Il y a un côté quelque peu érotique, c’est bien mais c’est trop sage. Il y a aussi ces monologues face caméra, c’est intéressant mais ça brise l’élan d’incarnation. C’était peut-être à Claire Denis de faire ce genre de film.

Ressources humaines – Laurent Cantet – 2000

Ressources humainesDiviser pour mieux se révolter.    

   9.0   Ressources humaines est un film militant. C’est un film qui a des choses à dire et n’hésite pas à tacler les politiques d’entreprise modernes. Il m’a ému comme très peu de films savent le faire. Car plus qu’un manifeste gauchiste il s’agit surtout d’une histoire de famille. Cette petite famille provinciale ce pourrait être ma famille. Ou peut-être pas du tout. Quoi qu’il en soit je m’en sens incroyablement proche. Frank se doit d’effectuer un stage pour clôturer ses études de commerce. C’est cette petite entreprise, dans laquelle travaille son père, qu’il a choisi. Probablement un piston. Il est affecté aux ressources humaines et doit tirer un dossier complet sur les trente-cinq heures. C’est un récit initiatique. On ne lâchera jamais Frank. Un peu à la manière d’un cinéma Dardenien, on devient Frank, sans autre choix possible. Il découvre le monde de l’entreprise, ses hiérarchies, son dialogue, puis ses secrets, ses coup-bas. Frank ce serait un peu comme un pauvre type de droite qui vote à droite sans trop savoir pourquoi. Il y a une grande naïveté dans ce personnage, qui croit tout résoudre avec des mots mais ne prend pas le temps de comprendre, ni d’écouter les problèmes syndicaux. Loin de tout pragmatisme il croit sans cesse que tout s’arrange, il fait une confiance aveugle à la direction et pense que le syndic en fait trop. En somme il devient son père, mais le versant bourgeois. L’un fait l’autruche depuis toujours et effectue sept cents soudures à l’heure parce qu’on lui a demandé de le faire. L’autre est amené à faire un sondage sur le temps de travail qu’il distribuera aux salariés, sans imaginer les conséquences que cela peut engendrer. C’est cette relation père/fils que je trouve remarquable. Elle est toute en non-dits, toute en admiration aveugle réciproque. Et puis il faudra que ça explose, dans une scène qui m’a tiré les larmes. Je crois que c’est dans les regards qu’ils se lancent plus que dans leurs mots, j’ai vu quelque chose que je n’avais encore jamais vu. Il y a une telle violence dans cette séquence, qu’elle en devient limite supportable. Le résultat de cette querelle à sens unique, et je m’y attendais pas, sera positif, sûrement. L’impression qu’un homme de plus lèvera bientôt le poing. Cantet fait dans la division, pendant tout le film. Ce n’est parfois pas très subtil mais c’est entièrement assumé. La famille, l’entreprise, même les plans, tout est affaire de division, de hiérarchie. 


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