Parenthèse enchantée.
6.5 Court-métrage de 28 minutes. Comme dans Ressources Humaines la division est au centre du film. A la différence qu’ici le jeune homme reste du côté du père. Il est serveur dans un bar tenu par son père. Il pourrait encore être étudiant mais il a choisi, par envie, dépit ou pression familiale, rien ne sera clairement dit, ce poste cadenassé dans lequel il semble éternellement empêtré.
La division opère ici avec la présence d’étudiants, du même age que ce garçon. On est du côté de La Sorbonne, il est question d’une grande manifestation anti-flics, et l’on se réunit justement dans ce bar pour faire interagir grandes phrases, coup de gueules et préparation stratégique. Le garçon regarde tout ça de loin, il a cette impression d’être à des années lumières de ce qu’il se passe sous ses yeux. Mais il est intrigué et très vite il prend part (tout en continuant son travail) aux joutes verbales, non sans une certaine pudeur ou timidité.
A la fin du film, il verra le cortège partir à travers le boulevard parisien, impuissant, se retrouvera en tête-à-tête avec son père, débarrassant les tables de ses convives qui auraient pu devenir des collègues, ou amis. L’idée de ne pas évoquer d’emblée la situation familiale est judicieuse. Il faudra une vingtaine de minutes pour que cet homme appelle son employé ‘fiston’ et que l’on comprenne que tout ici est affaire de famille, que quelque part les issues sont doublement bloquées. Ce garçon c’est un peu tout le monde, c’est un peu Vincent dans L’emploi du temps, condamné à reprendre un schéma circulaire, dans un confort routinier, ne se donnant pas la peine de tout envoyer bouler.
Tous à la manif ! est habité d’une contrainte : sa durée, enfin j’en ai l’impression. Du coup, alors que l’on pourrait avoir des percées très poétiques (comme dans Les sanguinaires) tout le récit devient très compact et ne s’attache pas à la solitude du personnage, à ce mal qui le ronge. Pourtant c’est aussi sa qualité de foisonner comme cela, de ne pas laisser le temps justement à ce garçon de choisir.
Cependant il y a une scène que j’aime beaucoup car elle est totalement détachée et donne du crédit au personnage du père, jusqu’alors cantonné au père/gérant un poil casse-pied. Il s’agit d’une scène à table, pendant que certains jeunes boivent un coup, d’autres continuent leurs préparatifs, et d’autres qui ne font rien (tous sont incroyablement bons acteurs d’ailleurs). Cet homme propose à une jeune étudiante de retirer un billet sous un verre, sans faire tomber le verre, sans le toucher non plus. C’est un jeu. Ça n’a pas un grand intérêt ici et c’est ce qui me passionne. Les étudiants sont de passage, ils cherchent de quoi faire des banderoles. Le jeune serveur leur offrira une vieille nappe trouée. C’est sa maigre participation : Une nappe trouée. Le dernier plan, comme souvent chez Cantet, est très évocateur du mal aise qui habite et habitera encore le personnage.
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