Une journée à Bucarest.
9.0 Ce qui me plait avant tout ici c’est le côté film de genre maquillé, une enquête policière en filature d’apparence anodine, non plus filmé en rebondissements par paliers mais temps réel sans avancées évidentes.
Cristi (je n’aime pas trop le choix du prénom, mais peu importe) est chargé par son supérieur de filer un lycéen consommateur d’herbe, de noter tous ses faits et gestes, les déplacements, de tout écrire dans un compte rendu journalier. On va très vite comprendre où le cinéaste veut en venir avec tout ça : la dichotomie récurrente écrit/oral et le principe même de loi. Cristi passe son temps à filer les autres, donc à les regarder, à regarder, à voir. Ce ne sont pas les écrits qui le guident, ce sont ses yeux, c’est la valeur la plus cartésienne, logique ou pragmatique selon lui. Avant qu’il y est cette fameuse séquence quasi-finale – qui restera comme un instant de cinéma absolument incroyable à mes yeux, de tension et d’étouffement – de dialogue entre un flic et son supérieur, il y aura d’autres signaux évidents mais plus discrets comme l’entrevue avec le collègue, et la discussion autour de la partie de football (Y a-t-il une loi disant qu’un joueur mauvais au foot l’est tout autant au tennis ballon ?) ou comme le dialogue avec sa femme, lorsqu’elle lui apprend un changement d’orthographe (Comment se fait-il qu’une loi se penche sur des changements de langue aussi anodins, pense Cristi, alors qu’elle ne s’intéresse pas à plus important ?) qui permettent de saisir la personnalité du policier. Cette faculté qu’il a de trancher, de se fabriquer un avis, en somme de devancer un peu tout le monde.
Porumboiu parle de politique bien entendu, celle de son pays, la Roumanie, fraîchement entrée dans l’union européenne. Dans le film cette union est évoquée à plusieurs reprises, dans un premier temps de manière insolite autant que superficielle dans le rapport entre Bucarest et deux autres capitales européennes que sont Paris et Prague. Nouvelle loi devant laquelle le jeune policier semble avoir un souci : son collègue lui avouant qu’il aimerait que Bucarest soit surnommé elle aussi le Petit Paris, à l’instar de Prague. Et le policier de lui répondre que ceci est impossible car le Petit Paris restera Prague et ne sera jamais Bucarest. On en revient à la partie de football. Et dans un deuxième temps, de façon plus marquée, par rapport à la loi sur le haschich, laquelle est beaucoup plus laxiste dans les autres pays de l’union, pendant qu’en Roumanie un simple fumeur peut écoper d’une lourde peine de prison. Cristi devrait légalement faire un flagrant délit, le garçon est arrêté et on n’en parle plus. Mais il préfère remonter aux origines de la présence de la drogue, ne pas balancer un simple consommateur en taule. Qui dit jouer sur la loi, sur sa valeur, dit jouer sur les mots, sur la signification de ces mots. La scène à la fin du film avec le supérieur est à ce titre sans équivalent.
Pourtant, ce n’est pas vraiment pour tout ça que j’aime – voire que j’en suis venu à littéralement adorer – ce film mais pour ses partis pris formels avec lesquels il appréhende tout cela. Porumboiu choisit le temps réel. Un temps réel que l’on ne connaissait pas encore dans ce type de film. Nous sommes dans une filature durant les trois quarts du film et il ne s’y passe absolument rien, en tout cas rien de concret, c’est en filmant un quotidien des plus ennuyants que Policier, adjectif devient une œuvre carrément fascinante. Les scènes d’intérieurs, donc toutes celles hors filature, sont des plans fixes Akermanien, pour la plupart, de personnages assis à des tables, effectuant leurs tâches (manger, parler, travailler) en temps réel. Et en extérieur nous resterons dans ce type de plans, quasi tous fixes, au mieux panoramiques, avec des personnages entrants et sortants du champ. Porumboiu a opté pour un choix esthétique plutôt intéressant au passage, qui m’a rappelé celui utilisé par Lumet pour 12 angry men : le découpage en trois cycles.
Le personnage entre avant tout dans le plan, avant de déjà faire parti du plan, pour totalement devenir hors champs dans le tout dernier plan. Comme s’il était un simple témoin du temps, qu’il apparaissait lui aussi puis qu’il disparaissait, pour laisser sa place. De toute façon Policier, adjectif parle aussi du temps. Celui imposé par la mise en scène : il suffit de voir le nombre de scènes d’attente que le cinéaste nous offre (rarement vu autant d’intensité dans l’attente depuis le Uzak de Ceylan) où le policier est simplement dans l’observation ou bien la marche pour suivre ; ou carrément se reporter vers la fin du film où Cristi attend d’être reçu par le commissaire dans son bureau, et qu’il patiente dans celui de la secrétaire, tout cela en temps réel, simplement en se tournant les pouces. Il y a comme cela un respect du temps qui me passionne, et une tension qui naît de cette attente, la même qui doit saisir le personnage à cet instant. C’est comme Chez Béla Tarr, le temps n’est plus guidé par la durée dans une simple unité de temps universel, mais par le plan.
Policier, adjectif m’a pris à la gorge comme très peu de films savent le faire. Et puis sans artifices. Que ce soit au niveau des rebondissements de l’intrigue qu’au niveau technique. Porumboiu se la joue Bressonien, il n’y a que chez le cinéaste français que l’on perçoit autant cette pureté, cette pudeur à travers le plan, ou à travers les visages des acteurs jamais dans l’emphase, où à travers le simple fait de montrer un compte rendu à l’écran, et non de le faire lire, de le dicter ou autre.
Il y a quelque chose de très fort qui se passe durant cette ultime séquence hors champ. Nous ne sommes pas vraiment dans la résignation, ce n’est pas ce qui transparaît de cette scène à mon avis. C’est la conséquence d’un simple combat de conscience. Le commissaire exécrable n’a pas gagné, c’est juste que Cristi s’est retrouvé face à un double question : Etait-il capable d’assumer son refus d’appliquer la loi, ne regretterait t-il pas d’obéir aux ordres ? Devait-il préserver son identité ou être en phase avec sa conscience ?
Cet article est très intéressant, surtout depuis que je suis la recherche d’idées sur ce sujet jeudi dernier.
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