Avec les fantômes.
8.0 Mara, vieux quartiers, Japon. Deux enfants se poursuivent à travers arbres et ruelles, ils s’amusent jusqu’à ce que l’un d’eux disparaisse. Point de départ de Shara : une disparition. Cette dernière hantera le film d’un bout à l’autre. La cinéaste s’intéresse à la reconstruction familiale. Le jeune garçon a grandit, et si le fantôme de son frère (probablement jumeau) semble encore faire corps avec lui, ce n’est pas dans la mélancolie qu’on le voit sombrer. Pendant que les grands (les parents bien sûr, l’intérêt de séparer est important à mon sens) s’emploient pour l’une à s’occuper de sa grossesse, un accouchement imminent, l’autre, président d’une fête municipale annuelle, à fignoler les préparatifs concernant un spectacle dansant, le garçon, maintenant âgé de 17 ans est à l’école ou s’isole pour peindre. Mais bientôt c’est avec une fille de son âge qu’il passera du temps, et un amour, aussi pudiquement montré soit-il, naîtra. Naomi Kawase – qui joue par ailleurs la mère enceinte dans le film – a su filmer ce drame de reconstruction simple, de manière simple justement. Caméra épaule ou plans aériens, on saisit des instants, comme on cueillerait de petites fleurs. Et en même temps c’est très intense, ça ne demande qu’à bouger, à la limite de l’explosion, à l’image de cette scène de danse fabuleuse qui fait naître la pluie et la fait s’arrêter, ou encore cette longue course inutile vers une mère qui était censé être en train d’accoucher. Tout paraît stable, tranquille ou sympathique, mais tout devient inquiétant, comme un passé loin d’être enfoui. Pendant que les uns se reconstruisent (Shara commence par une mort et termine par une naissance) les autres se construisent, se parlent. De sublimes masques tombent lors d’une discussion mère/fille très forte, sur les origines, les vérités inavouables. Shara est une plongée dans Mara, comme si l’on observait un petit échantillon de cette ancienne capitale devenue fantôme, de laquelle on ressortira vers le ciel dans un final antonionien magnifique. C’est un film fort, mais pas triste, il passe au-dessus de tout ça, il montre sans cesse les belles choses, ces riens qui empêchent de souffrir constamment : une toile de peinture, un long baiser, une scène somptueuse d’un père et son fils tout sourire, une satisfaction à toute épreuve, jusqu’à cet accouchement lumineux, d’où on peut y voir des regards pleins de joie et de tristesse passée.
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