Carne – Gaspar Noé – 1992

yoEuph7WLzrHA0ZvGFZBCjkFCJKLe boucher.     

   6.5   C’est à la fois très différent de ce que le cinéaste fera par la suite et dans le même temps le style est reconnaissable entre mille. Plus minimaliste, avec plans fixes par moment, moins de mouvements de caméra, moins de violence pure. En revanche, davantage d’effets inutiles, que j’avais oublié, qu’il utilise ici à outrance. Moins de finesse donc et une propension à vouloir choquer, déjà, mais à l’écrire, le souligner sans cesse. Dans Irréversible il y avait deux cartons qui apparaissaient dans le film : au tout début, après le générique noir sur blanc, où il est écrit Le temps détruit tout ; à la toute fin, quelques secondes après l’épreuve stroboscopique, où il est écrit Le temps révèle tout. C’était discret mais bien inutile. Heureusement, avec Enter the void, Gaspar Noé a banni ses petits tics un peu nazes. Un gros ENTER pour commencer, un THE VOID pour finir. Il est donc intéressant de revenir en arrière et d’observer la progression. Car dans Carne ce seront plusieurs cartons dans le même style qui nous agresserons à divers instants. Quelques dates précises par moment, jusqu’à l’heure exacte. Un carton au début pour situer l’histoire. Rien de bien méchant, c’est même une idée lumineuse. Puis vient le carton de trop : On peut tout perdre en une seconde (sic)(carton mentionné juste après que le boucher ait agressé cet ouvrier innocent) juste après celui encore plus hideux Vous aussi vous arrivent-ils de perdre les pédales ? (sic) On dirait le même style de carton utilisé en publicité pour la ceinture de sécurité ou le tabagisme. C’est un peu le problème de Noé, qui passe ici pour un donneur de leçon, alors que ce n’est pas du tout ce qu’il cherche à dire c’est évident, il le fait simplement pour qu’on le suive, dommage de ne pas prendre son spectateur au sérieux quand on fait quelque chose d’aussi intéressant et fort. Peu importe, Carne est nourri d’autres grandes qualités.

     Carne dure 38 minutes. Et il y a une tension qui s’installe. On investit le cerveau de ce boucher chevalin, père malencontreux, dont la femme est partie le jour de la naissance de la petite. Les années défilent, sa fille grandit et lui tient toujours sa petite boucherie qu’il fait marcher tout seul. Il boit son café après le boulot, ne mange que de la viande de cheval, habille et lave sa fille, n’a pas un seul ami. Et l’on entend ce que ce boucher pense. Il est pour ainsi dire dans chaque plan. Il y avait déjà un côté Eraserhead dans son tout premier court-métrage (Tintarella di luna) mais ici c’est flagrant. On est loin de la poésie Lynchienne, pourtant il y a un esprit quelque peu similaire, dans cette façon de filmer une ville vide, de filmer une errance et un quotidien qui s’apprête à se casser (un bébé difforme d’un côté, les règles d’une adolescente de l’autre), s’il y a ici repères temporels (date) et géographiques (Aubervilliers) qu’il n’y a pas du tout dans Eraserhead, il y a ce même sentiment de personnages dans une bulle perdue, un lieu qui n’existe pas vraiment, un lieu de cauchemars.

     Carne c’est la cause de Seul contre tous, son long-métrage qui en est la suite immédiate. Pourquoi y a t-il tout cela dans la tête de ce taré, c’est Carne qui permet de le savoir. Noé ne cherche pas à excuser son personnage, loin de là, mais à saisir ses comportements ignobles, pris dans le prisme d’une société décadente qui n’aide en rien ces âmes en perdition. Ainsi, le jour où le boucher blesse gravement un ouvrier, qu’il pensait coupable d’avoir violer sa fille, il est enfermé et perd tout. Sa fille est en orphelinat, sa boucherie est vendue (pour payer les dommages et intérêts de ses conneries). A sa sortie c’est un homme encore plus remonté qui remet les pieds dans cette société malade. Raciste confirmé : Parce que sa boutique a été rachetée par des arabes. Définitivement homophobe : Parce qu’il sort de taule en ayant conscience de s’être tapé des mecs, ou fait violé, on n’en sait trop rien. Sa rage s’est décuplée. Et c’est dans Seul contre tous que Noé va s’y attarder. Franchement flippant comme vision de l’humanité. Le plan final, avec cet homme au volant de sa voiture, sa nouvelle amie à ses côtés, pourrait être très beau s’il avait la vocation de montrer une remise en question, un nouveau départ. Sauf que l’on connaît le film suivant. Noé n’est pas Fassbinder, les personnages de ses fins de films ne sont pas meilleurs qu’au départ.

2 commentaires à “Carne – Gaspar Noé – 1992”


  1. 0 GRUNDMANN 3 juin 2011 à 19:12

    Bon article, mais pourquoi porter des jugements hâtifs ? J’aime bien chez Noé ces cartons hérités du muet et où les mots se détachent avec une incroyable force. Ces mots qui remplissent l’espace sont comme les plans noirs : des appuis sur lesquels l’image suivante rebondit. Par ailleurs, à mon avis, il faut bien se garder de les prendre au pied de la lettre comme des « leçons » : il y a beaucoup d’ironie dans ces cartons (qui ne sont peut-être qu’une prolongation du point de vue du personnage). Donc pourquoi distribuer les bons points et les mauvais points ? Permettez-moi de trouver ridiculement scolaire les notes que vous distribuez. On peut évidemment ne pas aimer ce film, qui ne fait d’ailleurs rien pour : pour ma part je le trouve parfait. Une cohérence totale : l’histoire, le texte, le jeu, les images, les couleurs, les lieux, les cadrages.

    EG

    Et… hum… attention à l’orthographe.

    « N’importe qui peut tout perdre en une seconde » : voilà le texte exact du carton (bien moins trivial que celui que vous avez cru lire).

  2. 1 silencio 12 juin 2011 à 19:29

    Bonjour, et merci beaucoup d’apporter votre esprit critique à mes commentaires. C’est à la fois très instructif et ça permet quoiqu’il en soit une certaine remise en question.

    Je reviens rapidement sur certains points que vous avez évoqués :
    D’une part je signale qu’il n’y a aucune prétention dans mes analyses à être des pensées communes, ce que je dis est entièrement subjectif, donc que vous voyez dans ces cartons utilisés par le cinéaste les points forts que vous citez tant mieux bien entendu, pour moi ça ne restera que bidouillage, soit pour choquer, soit pour guider le spectateur, mais aucunement une idée héritée du muet. Et si vous relisiez attentivement mon texte, je n’ai jamais dit qu’ils intervenaient en tant que « leçon » mais qu’ils me faisaient cet effet de « leçons », je suis bien conscient de ce que le cinéaste cherche à dire ou à montrer, mais pour moi ça ne fonctionne pas.

    Ensuite je trouve logique de distribuer des « bons points » comme des mauvais, j’essaie de faire partager ma vision du film, il y a des choses que j’aime d’autres moins, je ne fais que les mentionner. Concernant les notes distribuées à chaque film, je suis entièrement d’accord avec vous, c’est scolaire, réducteur, mais c’est aussi très ludique, et cela je l’ai mentionné dans mon message d’acceuil.

    Et pardon pour l’orthographe, c’est vrai que parfois j’ai tendance à me relire trop brièvement. C’est vrai que concernant mon texte sur Carne je n’y suis pas allé de main morte.

    Aussi, avouez tout de même que la citation entre guillemets que vous écrivez à la fin est très proche de celle que j’ai écris ?
    “N’importe qui peut tout perdre en une seconde” et « On peut tout perdre en une seconde ». L’une comme l’autre sont des phrases bateau, banales autant qu’elles sont publicitaires. La pire chez Gaspar Noé restant selon moi celle de Seul contre tous, lorsqu’il nous invite à quitter la projection.
    Pour le reste je trouve aussi que c’est un beau film, d’une grande cohérence, comme l’oeuvre de Noé de manière générale.

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