Seul contre tous – Gaspar Noé – 1999

Seul-contre-tous-3L’homme malade.    

   6.0   Pas évident d’en parler autrement que pour Carne, étant donné que Seul contre tous constitue la suite en long-métrage de son court-métrage sur le quotidien d’un boucher chevalin parisien bouleversé le jour où il croit que sa fille s’est fait violer. Philippe Nahon interprète encore cet homme, cette fois-ci pas uniquement fermé, antipathique mais aussi remonté contre tout, les gens, la société, le système. On voyage dans sa tête, à travers ses pensées aussi ignobles soient-elles. En fait c’est ce qui marche moins bien ici, à la différence de Carne où il y avait quand même plus de cinéma, d’errance, de gestion de l’espace plus que de l’écriture, là il y a cette voix off en permanence, c’est intéressant, c’est d’ailleurs le propre du film, mais le problème est que le propre d’un film utilisant cette subjectivité à outrance ne devrait-il pas s’avérer silencieux, moins calculateur ? On a sans cesse l’impression que la parole meuble ou accompagne l’image, à de nombreux instants on s’en passerait bien, ou on se passerait bien de l’image, au choix. Il y a toujours chez Noé cette propension à tout montrer – encore aujourd’hui d’ailleurs – alors qu’il pourrait déployer un cinéma plus poétique, plus épuré tout en choquant autant sinon davantage (ce qu’il souhaite par-dessus tout) mais surtout émouvoir encore plus. Dans Irréversible quelle est la séquence la plus forte ? La dernière. Celle du couple dans leur appartement, sans artifices techniques et émotionnels sinon ceux des séquences précédentes incorporées dedans, sans emphase dans l’écriture ni même dans la mise en scène, plans au minimum fixes, au pire en steadycam discrète. Seul contre tous n’est pas un film vraiment émouvant. Il l’est un peu à la fin, parce qu’il y a présence musicale, Pachelbel et son Canon, bien évidemment, mais surtout parce que c’est le seul instant où il semble y avoir un peu d’amour à l’écran. Et c’est un amour incestueux que Noé ne traite pas comme quelque chose d’horrible, c’est un véritable amour. Ça ne dure que deux minutes cette sensation mais c’est déjà pas mal. Le reste du temps on est un peu dans un schéma proche de celui de Carne. C’est une bonne chose je trouve d’une part, car Noé reste fidèle à ses choix, à son histoire, à son boucher. J’ai dû voir ces deux films trois fois chacun et chaque fois, quelques temps plus tard, j’oublie ou se trouve la séparation entre l’un et l’autre. Il faut que je repense aux ressorts scénaristiques pour m’en souvenir. Seul contre tous n’est donc pas seulement la suite de Carne, c’en est le prolongement, l’allongement. Carne ne suffisait pas à l’histoire de ce boucher, il lui fallait beaucoup plus, il fallait aussi que le cinéaste grandisse (à défaut de mûrir) qu’il soit lui-même un peu plus agacé par ce qui l’entoure. Ce film est une bonne chose à mon sens. Pour comprendre le cheminement de Gaspar Noé du moins. Pour le reste j’aime (comme dans tous ses films d’ailleurs, c’est pour cela que j’aime ce cinéaste) l’énergie qu’il insuffle à ses récits, aussi durs soient-ils. J’ai toujours un problème en revanche avec sa réalisation. Je l’aime beaucoup dans Enter the void parce que je trouve ça grave couillu, parce que je n’avais encore jamais vu ça nulle part. Je l’aime énormément dans Irréversible parce que ce sont des pirouettes techniques (les films de séquences en plans-séquences) qui me fascinent, et parce que ça m’emporte aussi, même s’il est parfois difficile de garder l’œil à l’écran. Je l’aime moins dans son film sur le boucher, à cause de ses boums récurrents inutiles à mon sens, ou encore ses partis pris puérils comme cette scène où il laisse un compte un rebours à l’écran et une phrase annonçant que l’on a trente secondes pour quitter la projection. Naze. Mais Noé c’est toujours un peu ça. Flirter avec le naze. Parfois ça fonctionne pas du tout, mais parfois c’est une claque dans la gueule.

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