Zone de rêve.
8.0 J’aimerais pouvoir en parler facilement, évoquer les sensations dans lesquelles m’a plongé cette merveille, laisser s’enchevêtrer les mots comme le cinéaste thaïlandais le fait avec les images, mais à première vue c’est presque mission impossible. C’est un film qu’il faut aller voir en salle absolument. D’une part car il n’y a pas plus simple et pur, c’est d’une lisibilité incroyable, il n’y a pas à cogiter, il s’agit uniquement de se laisser porter, d’entrée dans la jungle, de ne faire qu’un avec son ambiance, avec cette nature. D’autre part car il redéfinit une manière de faire du cinéma, plus sensorielle, déstructurée, à l’image de la mémoire humaine. Boonmee est un apiculteur atteint d’une maladie rénale, et l’on va le suivre jusqu’à sa mort, entre un présent qui convoque ses proches disparus, et un passé mélangé au futur, dans lesquels on découvre ses vies antérieures, en animal ou encore en princesse. Dans des strates temporelles toutes peuplées de fantômes, on accompagne le corps et surtout l’esprit de Boonmee vers cette grotte libératrice et régénératrice, lieu de naissance de l’une de ses nombreuses vies antérieures (dont il ne sait s’il était homme ou animal, homme ou femme) et maintenant lieu de sa mort d’humain. Il est question de la mort, comme d’une angoisse progressive mais paradoxalement vécue de façon paisible, sereine, en adéquation avec les dieux. C’est une vision de la réincarnation absolument magnifique, poétique et lumineuse, ça donnerait presque envie de mourir.
Publié 17 septembre 2010
dans Jean-Paul Civeyrac
4.0 Ce film ne fonctionne pas car il ne nourrit aucune empathie pour ses personnages, qui rappelons-le ici sont deux adolescentes pas encore majeures, trouvant toutes deux une fascination dans la mort comme réponse à une société atroce. Là on se dit qu’Elephant de Gus Van Sant n’était pas plus sympathique envers ses personnages, c’est vrai, sauf que c’était justement cette neutralité poétique qui était sublime dedans, cette impression de flottement, de ballet musical, ballet du plan-séquence, ballet de l’espace, du vide, du silence, d’une mort qui s’approche. Des filles en noir est carrément antipathique au sens où tous sont détestables, de ces adolescentes capricieuses au professeur intransigeant, de cette mère (et cette famille) qui ne cherche pas à comprendre aux infirmières d’un hôpital. Tout le monde est pourri. Et c’est sans surprise. En gros on attend que la mort se pointe. C’est un film qui parle de la mort, mais c’est un film mort, qui ne vit justement pas, tout le contraire du dernier film de Weerasethakul. Là où le film tente donc d’être hyper complaisant envers ces deux adolescentes, il échoue lamentablement (puisqu’elles sont énervantes au possible) et ne suscite absolument plus aucun intérêt, étant donné qu’il est accompagné d’une mise en scène sans relief, sans évolution, qui enchaîne les gros plans sur les grimaces et ne prend guère le temps de s’intéresser à l’espace. En même temps il ne semble plus y avoir d’espace autour des deux filles qui sont en plein étouffement permanent. Reste alors que l’interprétation. C’est maigre.
Publié 17 septembre 2010
dans Katell Quillévéré
4.5 Promotion hideuse d’abord avec une affiche aussi subtile que la bande-annonce, la croix dans le dos sur le papier quelle idée ingénieuse, dévoilement des personnages du film en teaser avec tous les pseudos rebondissements que ça accompagne, il n’y avait au départ pas grand chose qui donnait envie de se jeter sur le premier film de cette jeune cinéaste. Et puis il y a eu le prix Jean Vigo. Etant donné qu’ils sont rarement mauvais je me suis laissé tenter. Si Un poison violent n’est pas un bon film dans sa globalité selon moi (déjà, les musiques, quelle lourdeur), il réussit par instants esseulés à atteindre une intensité qui le fait s’envoler. Ce n’est déjà pas si mal.
Dans Hadewijch, le dernier Bruno Dumont, il y avait aussi une adolescente en proie au doute sur ses croyances, en plein questionnement intime sur sa foi. Beaucoup plus riche et insolent était ce film qui dans le même temps contenait de vrais défauts inhérents à cette prise de risque, mais au moins il avait une mise en scène, ce n’était pas Dumont à son meilleur, mais on était charmé, notamment par cette sublime fin qui en faisait l’un des finals les plus beaux de l’année. Un poison violent est un film sage. Et plus que cela c’est un film qui stagne, qui ne s’aventure jamais au-delà de ses propres balises.
Chaque personnage se trouve en plein doute ou en tout cas se trouve à un moment de sa vie où il doit sinon faire des choix, souffrir voire mourir. La mort sert ici comme fil rouge. Et personne n’évolue vraiment au sein de son questionnement intérieur. Entre les mines déconfites d’une Lio mono-expressive, le cabotinage ennuyeux de Galabru, niveau interprétation ce n’est pas le pied non plus. Heureusement, il y a des moments plutôt miraculeux, très forts émotionnellement même. Ce peut être un jeu de séduction adolescent assez maladroit mais très touchant, une très belle partie de football, certaines discussions prêtre/jeune fille ou père/jeune fille presque sorties d’un Pialat. Oui il y a des choses sensationnelles dans ce film (la scène de confirmation dans l’église en fait partie d’ailleurs) on en n’est pas débordé non plus mais le peu suffit, et du coup je ne suis pas loin de l’aimer ce film.
Publié 17 septembre 2010
dans Alain Corneau
Les chasseuses.
5.5 Il n’est pas utile de connaître L’invraisemblable vérité de Lang pour très vite comprendre où est ce que Corneau veut en venir, à savoir le retournement de situation dans un engrenage improbable, d’une affaire de meurtre. Il est parfois question de problèmes hiérarchiques chez Corneau, Dans Série noire par exemple, jusqu’à aujourd’hui peut-être son meilleur film, il est aussi question de retournement des choses, comme dans La menace, et ce Crime d’amour, son dernier film, ne déroge absolument pas aux règles, ça tombe même sous le sens, à tel point que l’on se demande pourquoi le cinéaste n’avait pas réalisé ce correct remake plus tôt à la place de se perdre dans les méandres du précédent, qui était lui le remake d’un film de Melville. On l’aura compris, Corneau n’avait plus grand chose à dire, il avait besoin de faire renaître les classiques. Si le tout début du film laisse présager un plantage sans nom (direction d’acteurs branlante, rythme soporifique, grimaces décuplées, platitude de la mise en scène) la suite sauve les meubles, avec son ambiance un peu poisseuse, ces personnages mystérieux, ce climat hyper sensuel et peu enjoué pré-meurtre, et celui hyper ludique et enfin dynamique post-meurtre. Et s’il s’abandonne à des idées de montages complètement vaines (l’explication par images noir et blanc en flash-back, à chaque nouveau rebondissement improbable dans l’intrigue) Corneau n’en délaisse pas son personnage central, d’arrosé arroseur, qui s’en va chercher son innocence dans la plus folle des manipulations. C’était à qui sera le plus vicieux et efficace. Et ça fait son petit effet je trouve.