Pas de repos pour les braves.
5.5 C’est de l’histoire récente à zone d’ombres et c’est sans doute pour cela qu’elle est cinématographiquement adaptable, pour sa part de mystère qui l’accompagne, car le cinéma n’est-il pas fait pour en parler, le transmettre plutôt que pour le percer ? Xavier Beauvois ne s’intéresse donc pas tant aux faits qui ont engendré la mort de ces moines à Tibhirine qu’à de minutieux portraits de personnages. Filmer leur quotidien, c’est l’objectif premier du cinéaste ; est-ce réussi ? C’est une autre affaire. Pendant la prière, durant leurs repas, leurs activités respectives (le jardin, le bois, le miel, le courrier, les soins…) nous les accompagnons dans leur solitude, leur silence d’ailleurs plutôt en groupe qu’individuellement. Les échanges oraux sont rares, comme employés à bon escient, entre un médecin et ses patients, avec des dirigeants musulmans, mais principalement entre eux, autour d’une table, une fois qu’il est question de quitter ou non le monastère à cause de la présence de terroristes dans la région. Beauvois filme très bien ses interprètes, car c’est vraiment ce que je craignais le plus, que l’on voit du jeu d’acteur, que l’on voit Wilson et Lonsdale, et non deux moines. Leur transparence est d’autant plus réussi que le cinéaste filme chacun des huit moines à temps quasi égal, laisse s’exprimer chacun, les filmer de la même manière dans le groupe, que durant leurs tâches quotidiennes individuelles. Et quand l’heure approche – car il n’est question que de mort, d’une part car l’histoire est déjà écrite, mais aussi parce que tout est construit de manière à y sentir la mort très proche – le cinéaste installe une tension invisible, par la présence des terroristes (reviendront, reviendront pas ?) mais aussi celle de l’armée (le délicat échange autour de la mort d’un terroriste, le moins délicat boucan de leur hélicoptère au-dessus du monastère, les moines en pleine prière). Il manque un ton plus personnel dans le traitement de tout cela, par la mise en scène j’entends, il manque à Des hommes et des dieux une retranscription plus radicale par instants, ou plus comme une captation du réel à d’autres. Il y a une séquence que je trouve particulièrement fabuleuse c’est la cérémonie de la circoncision dans le village d’à côté, c’est cette façon de filmer qui me plait d’une part, d’y perdre les moines dans la foule, de ne rien expliquer de ce que l’on voit, et ce détachement d’autre part car la séquence n’a d’autres vertus que de montrer un quotidien, son prolongement, et non une menace, ou la représentation quelconque d’une menace, comme il est très souvent question dans le film. J’ai l’impression que Beauvois est partagé entre rendre un produit sensationnel tout en restant sobre (la scène du Lac des Cygnes en est le plus bel exemple – on est partagé entre la bonne idée de capter des visages et la moins bonne de forcer notre émotion – ou celle des deux interventions terroristes) et quelque chose de plus aérien, lyrique, moins impersonnel (je pense à deux séquences superbes d’une voiture et ses moines traversant une route attaquée, puis s’engouffrant dans un paysage flamboyant, dévoré par les montagnes et une aube ensoleillée accueillante, ou cette magnifique dernière séquence de moines marchant inéluctablement vers la mort, le blanc de la neige effaçant peu à peu leurs silhouettes). Des hommes et des dieux est loin d’être parfait, et il n’offre pas vraiment plus que ce qu’il a à raconter, mais malgré tout, il me touche énormément car il atteint parfois une forme de justesse, de sobriété qui me plaisent. Et encore une fois, j’ai vu des moines à l’écran, et à mon sens c’est la plus grande réussite du film. Et je ne parle pas de la photo du film en plus, très belle, très soignée, et de ses plans simples, beaux lorsqu’ils durent un peu.