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Archives pour 7 octobre, 2010

Hamaca Paraguaya – Paz Encina – 2006

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Le crépuscule des dieux.   

   8.5  Au cinéma, il est souvent question de temps, mais rarement de temps réel. Récemment il y a certains films comme celui-ci qui donnent cette impression de dilatation temporelle alors qu’ils ne reproduisent par la durée d’un plan que la véritable durée du temps. Béla Tarr le travaille énormément, jouant de l’ellipse entre chacun de ses plans – peu nombreux – qui eux ne sont qu’une reproduction d’un temps donné réel. Attention je ne parle pas de cinéma réel ou réaliste, je parle de temps. Alexandr Sokurov aussi participe à ce schéma là, sa plus grande illustration restant à ce jour celle de L’arche russe construit sur un seul plan séquence. Même si ce dernier cas est isolé car il s’agit justement de tout déconstruire temporellement à l’intérieur même du plan, le film racontant deux siècles de l’histoire russe en nous baladant dans le musée de l’Ermitage. Non, Hamaca Paraguaya ferait davantage écho à Lumière silencieuse, de Carlos Reygadas, dans les films récents, dans son approche du temps réel. Les deux films commencent un peu de la même manière, le lever du jour en temps réel, avec un plan légèrement zoomé chez le cinéaste mexicain, entièrement fixe chez la cinéaste paraguayenne. Si les deux films cherchent à nous immerger totalement dans un paysage, dans une ambiance sonore naturelle, dans un climat de façon à nous y faire léviter à l’intérieur, le premier n’est qu’une introduction, une approche hypnotisante avant de changer de cadre, tandis que le second fait d’emblée intervenir des personnages à l’intérieur de son plan. Candida et Ramon sont deux paysans dans une campagne isolée, ils dressent un hamac entre deux arbres dès l’aube, parlent de leur fatigue respective, de la pluie qui approche, du chien qui aboie et de leur fils au front. C’est l’évocation du fils qui guide leur discussion ainsi que leur désaccord permanent. Et nous on apprend à vivre avec eux, découvrant une Candida méfiante, terre-à-terre, qui refuse de parler de la guerre, à la recherche d’une certaine sérénité qu’elle peine à trouver ; Un Ramon rêveur, pétri de douleurs multiples, espérant le retour de son fils à chaque instant, concentré sur la couleur du ciel priant pour que la pluie arrive jusqu’à lui.

     Il y a quelque chose de nouveau, de formidable dans ce film : il concerne l’utilisation des mots. Hamaca Paraguaya n’est pas uniquement un film qui montrerait un vieux couple sur un hamac discutant de la mort ou de futilités, dans ce premier plan, lointain – on ne peut distinguer le mouvement de leurs lèvres – les paroles des personnages semblent être ajoutées derrière, comme une voix-off (pourtant elles semblent dans un premier temps accordées à l’image) ou plutôt comme une doublure. C’est lorsque les plans se feront plus proches, lorsque l’on découvre Ramon et Candida dans leurs tâches quotidiennes individuelles (hors hamac) que l’on se rend compte qu’ils ne parlent jamais, que leurs bouches restent fermées. Ces paroles, parfois très présentes, apparaîtraient alors comme des souvenirs, peut-être bien des rêves, ou même une désynchronisation entre le lieu et le moment. Parce qu’à de nombreux instants, les mots semblent être associés au lieu mais non à l’instant. L’image pourrait alors être une projection future de ces discussions comme si la vie de Candida et Ramon, après la mort de leur fils, était devenue muette. Quand le vieil homme parle avec son fils, juste avant son départ en guerre (et celui-ci qui parle de changer de nom pour ne pas que l’on vienne annoncer sa mort à sa mère plus tard) on découvre l’homme dans une de ses tâches quotidiennes du présent, comme si le fiston était venu lui annoncer par le passé son départ durant ce moment là. La scène se reproduira avec Candida plus tard lorsqu’elle lave les vêtements en forêt. Ou encore plus tard avec le facteur qui vient lui annoncer la disparition d’un certain Maximo Caballero, elle ne voulant pas reconnaître ce nom pour son fils, qu’elle dit s’appeler Maximo Ramon Caballero. On la voit alors jeter un peu de terre dans le feu derrière elle, comme s’il y a longtemps elle avait jeté au feu la chemise ensanglantée de son fils que le facteur avait ramené, se débarrassant de toute possibilité d’une réalité macabre. Elle qui nie la mort de son enfant. Lui qui espère sans imaginer le pire. Candida et Ramon sont deux paysans qui tentent de surmonter les difficultés de la vie, la mort, et en arrivent à être en proie aux doutes, à ne plus croire peut-être même, peu à peu.

     Dans une dernière séquence incroyable, occupant quelque chose comme un tiers du film, nous sommes à nouveau avec Candida et Ramon, sur leur hamac. On y réentend les aboiements de la chienne, disparus un moment donné, comme si elle revenait d’entre les morts. Et le ciel menace une nouvelle fois de s’abattre sur la région, pour le plaisir de Ramon qui n’espère qu’une chose : croiser de son regard, levé vers le ciel grisâtre, un groupe d’oiseaux qui fuiraient une pluie imminente. L’instant ne vient pas, Candida n’hésite pas à lui faire remarquer, poursuivant l’idée que l’on se fait de ces deux comportements complètement différents, et pourtant si complémentaires. Puis le soir viendra à tomber. Ramon se plaignant de son mal à la poitrine. Candida de la non-présence de son fils, qui là pèse chaque jour davantage. La pluie est leur dernier espoir, enfin ce qu’ils se sont fixés comme dernier espoir. La nuit envahit l’écran à tel point quel l’on distingue maintenant difficilement nos deux personnages, qui s’apprêtent à retirer la lampe et le hamac pour rentrer chez eux. Ecran noir. Un dernier coup d’orage qui gronde. Et une pluie qui masque tous les autres bruits. Générique. J’ai oublié de signaler que cette longue et magnifique dernière partie de film est intégralement en plan fixe unique, comme en écho au plan initial. On a vu le jour se lever, on voit la nuit tomber. Et Candida et Ramon reproduiront sans doute la même journée demain, attendant inéluctablement un retour qui ne viendra évidemment jamais.

Halloween II – Rob Zombie – 2010

Halloween II - Rob Zombie - 2010 dans Rob Zombie 810apr

     5.3   Si dans son remake libre du premier opus il n’expérimentait pas tellement dans le domaine du gore, préférant s’attarder sur l’enfance de Michael, tout en proposant un retour au bercail violent mais restant dans les balises (outre l’idée de la recherche de la petite sœur, ce qui n’intervenait pas avant le deuxième volet dans l’ancienne saga) narratives instaurées par Big John, il laisse ici libre cours à son imagination et son désir de manipulation ultime pour nous embringuer dans un pur cauchemar ambigu dès le début autant qu’il le sera à la toute fin. Certains (les puristes) crieront au n’importe nawak, personnellement je trouve que c’est un volet qui a des couilles, à défaut d’être véritablement passionnant. Car étrangement je ne dirais pas que je me suis ennuyé par moments, mais il faut dire que Rob Zombie pousse tellement loin son expérimentation initiale (le rêve de Laurie) qui dure tout de même un tiers du film, que lorsque tout retombe comme un soufflé, on a du mal à reprendre correctement le wagon. Probablement des problèmes de rythme, juste cela, c’est parce que le premier ne m’y avait pas habitué. Car pour le reste c’est une machine du gore lancée à pleine vitesse, où l’on ne sait plus si on navigue dans le vrai, dans les pensées de Michael, dans les pensées de Laurie. La jeune femme est-elle folle ? Michael est-il mort ? C’est dans cette ambiguïté que Halloween II tient là quelque chose d’outrageusement décapant, dépoussiérant d’un seul coup d’un seul toutes les suites du film de Carpenter (même si je ne les ai pas toutes vues) en proposant de l’extrême. Jusqu’à un final de malade qui n’est pas sans rappeler Haute tension, l’excellent film d’Alexandre Aja. Sans doute je préfère le premier, parce qu’il est beaucoup plus fort, qu’il me surprenait sans cesse, mais cette suite – car il s’agit vraiment d’une suite, le film commence là où s’arrête le précédent – a quand même un charme bien dégueulasse que j’aime beaucoup.

Halloween – John Carpenter – 1978 (contre) Halloween – Rob Zombie – 2007

Halloween - John Carpenter - 1978 (contre) Halloween - Rob Zombie - 2007 dans John Carpenter 19081156

     Je viens de voir ou de revoir les deux, à la suite l’un de l’autre et il est à mon sens très intéressant d’effectuer un comparatif entre ces deux films, justement car ils ne se ressemblent pas beaucoup.

    9.0   En gros je trouve l’opus de Carpenter très épuré, presque abstrait, dans le sens où rien ne nous est donné sur Myers à part qu’il est diabolique, qu’il a tué sa sœur à l’âge de neuf ans, qu’il s’est évadé de prison quinze ans plus tard, qu’il s’apprête à faire un carnage à Heddonfield, sa ville d’enfance. Il semble n’y avoir aucune barrière entre lui et sa violence, au point de ne jamais la remettre en question et ce jusqu’aux derniers plans du film. Myers n’est pas un homme répète le docteur Loomis, c’est l’incarnation du mal. Et à ce petit jeu mystérieux, Carpenter distille une angoisse fascinante, jouant de la caméra subjective, de ces plans récurrents où la tête de Myers nous est cachée, d’une musique oppressante et redondante, de la respiration de Myers en continu et d’une ambiance morte. Car Heddonfield, pendant Halloween, n’est que ville fantôme. Certains enfants, certains lycéens, mais ils ne sont pas nombreux, jonchent les trottoirs résidentiels, et rentrent chez eux après l’école. Pendant que certains seconds gardent certains premiers, d’autres s’éclatent sexuellement. Il n’y a de place à Heddonfield que pour le baby-sitting et la baise. Et l’angoisse permamente que l’on se refuse d’avoir, à l’image de Jamie Lee Curtis rassurant les enfants de la non-existence d’un croque-mitaine, alors qu’elle n’est pas plus rassurée elle-même. Pendant que certains enfilent des masques pour faire peur aux autres, d’autres enfilent le masque qui leur permet de surmonter leur peur, mais il y en a un qui l’enfile pour tuer, c’est Michael Myers. Dans le film de Carpenter, il ne semble être attiré par rien d’autre que ça : tuer. Déshumaniser le meurtrier, lui donnant l’aspect de monstre, de façon à pérenniser l’angoisse, inculquer au spectateur qu’il a affaire à un méchant hors norme, sans sentiment, qu’il ne peut guère compter sur un revirement de situation humain. Il va jusqu’à le rendre invincible.

halloween9 dans Rob Zombie

     6.0   On est évidemment dans une toute autre optique chez Rob Zombie, puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que de rendre Myers humain aux yeux du spectateur pendant qu’il ne l’est toujours pas pour le docteur Loomis. Dès le début du film le ton est donné. Chez Carpenter nous étions Michael enfant (caméra subjective) pendant cinq minutes, avec sa respiration comme rythme, poursuivant sa sœur dans les couloirs de la maison, avant de la massacrer au couteau. Chez Zombie on atterrit dans un cercle familial en crise, où Michael se cache déjà derrière des masques, pour masquer son apparence fragile que son père par alliance ne fait qu’agrémenter, entre violences et humiliations à répétition, pendant que sa sœur l’appuie, que sa mère reste impuissante et que la petite dernière, tout bébé, ne peut encore donner son avis. Et à l’école c’est le même problème, Michael étant la risée de ses copains de classe qui n’hésitent pas à lui en faire baver sévère. Mais Michael  nourrit secrètement une passion pour la mort et la destruction, tenace, qui s’apprête à exploser. Viendra le jour du fameux meurtre d’Halloween, comme chez Carpenter, même si elle est plus massive chez Zombie, Michael se débarrassant en quelques minutes de l’ami de sa mère, de sa sœur et de l’ami de sa sœur. Sur les marches, avec la petite dans les bras, Michael est sûrement plus heureux ainsi. Il est alors enfermé quinze ans (durant lesquels sa mère se tire une balle dans la tête) puis s’évade, sauf que Zombie montre un peu de la prison et un peu de l’évasion, pendant que Carpenter jouait de l’ellipse. Et le gros changement dans ce nouvel opus c’est le motif de retour de Michael Myers : sa petite sœur. Il vient la chercher. Mais évidemment comme on va lui barrer quelque peu la route, il ne va pas non plus être ultra pacifiste. Zombie, à ce petit jeu là, joue sur le gore plutôt que sur l’angoisse et son étirement. Du coup, par moments, ça fait un peu boucherie, renforçant l’idée qu’on se faisait de Michael Myers : un tueur fou et sans scrupules. Avant qu’il ne devienne ce personnage qui ne souhaite qu’une chose, revoir sa sœur, alors que la concernant c’est comme si elle ne l’avait jamais vu, toute trace de cette ancienne vie a été rayée. Quand Carpenter avait crée une sorte de tueur sans âme, comme si pour Halloween, il revenait d’entre les morts, Zombie en fait quelqu’un de blessé, quelqu’un de très humain, il donne vie à Michael Myers, et le gros de la réussite est là.

     Je garde une nette préférence pour le film de John Carpenter parce que je préfère les films de mise en scène qui préservent leur mystère à ceux moins travaillés formellement qui s’attachent davantage à établir une psychologie de personnage. Mais en tant qu’étude psychologique justement, du mythe Michael Myers, on ne pouvait rêver meilleure adaptation libre que celle de Rob Zombie.

Close up (Nema-ye Nazdik) – Abbas Kiarostami – 1991

Close up (Nema-ye Nazdik) - Abbas Kiarostami - 1991 dans Abbas Kiarostami

Le passager.

   8.0   Dans son court métrage Le jour de la première de Close up, Nanni Moretti dit du film de Kiarostami qu’il est un film sur le pouvoir du cinéma. On pourrait même dire que c’est un film de cinéphile paradoxalement pour non cinéphile. Ce n’est pas le plus mystérieux des films du cinéaste iranien, ce n’est pas non plus son plus beau en terme de mise en scène, d’image, de profondeur de champ, de gestion des silences. C’est au contraire un film qui parle énormément, et qui tentant de reproduire l’authenticité d’un fait fonctionne selon des plans de documentaires, pas forcément hyper travaillés formellement. C’est pourquoi j’ai eu un mal fou à entrer dans le film, sans doute une bonne demi-heure a t-il fallu pour que je me passionne pour l’histoire atypique de cet homme.

     Ali Sabzian va se faire passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille, un peu par hasard, parce qu’on l’a pris pour lui et qu’il n’a pas nier d’emblée, mais aussi parce qu’il est entré dans un rôle, qu’il a joué ce personnage jusqu’à évoquer sa volonté de tourner un film avec les enfants de cette famille. C’est évidemment très malhonnête, il le reconnaîtra lors du procès, que Kiarostami reconstruit à merveille, mais ça n’avait pas pour but de l’être, ni d’être un escroc, encore moins un cambrioleur, ce qu’on l’a accusé, après qu’il ait fait des repérages dans toutes les pièces, parce que dit-il, un cinéaste se doit de faire cela avant de tourner dans les pièces d’une maison. Je précise qu’il s’agit d’une histoire vraie, et Kiarostami semble la raconter sans ornements, au sens où Bresson l’entendait quand il réalisa Un condamné à mort s’est échappé.

     Le film est doté d’une découpe étonnante : Il commence en voiture par l’arrestation hors-champ de ce faux Makhmalbaf. Il nous montre ensuite par instants sa rencontre avec la famille, entrecoupée de scènes de procès. Puis il se termine sur l’arrestation vécue du côté de cet homme. Il y a comme un jeu de miroir, qui ferait appel à une certaine idée de la connaissance ou non d’un sujet. En effet, les premières séquences, malgré le fait qu’elles soient intéressantes du point de vue de l’intrigue simple (On s’apprête à arrêter un homme qui occupe l’identité d’une célébrité, c’est vrai que c’est étonnant, mais il n’y a aucune proximité avec la personne) ne sont donc pas forcément passionnantes, d’où mon léger rejet dans un premier temps. C’est en déconstruisant son récit que l’effet de miroir fonctionne puisqu’il nous permet de voir en Ali Sabzian sa véritable identité, ses motivations, son amour pour l’art. Close Up devient de plus en plus fort au fil des minutes avant de déboucher sur une scène finale absolument miraculeuse, où Sabzian rencontre le vrai Makhmalbaf. C’est comme si l’on était repassé du côté flic/journaliste (le micro, le son intempestif sur la moto, le plan lointain devant la maison) mais que nous n’éprouvions plus du tout ce que l’on éprouvait en tout début de film. Sabzian n’a jamais rien fait de mal, il a utilisé une identité pour revendiquer son amour du cinéma et le transmettre (voir la citation de Tolstoï) et c’est bien entendu tout à son honneur, et c’est ce que le vrai Makhmalbaf semble vouloir lui dire dans ce final magnifique.


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