Le passager.
8.0 Dans son court métrage Le jour de la première de Close up, Nanni Moretti dit du film de Kiarostami qu’il est un film sur le pouvoir du cinéma. On pourrait même dire que c’est un film de cinéphile paradoxalement pour non cinéphile. Ce n’est pas le plus mystérieux des films du cinéaste iranien, ce n’est pas non plus son plus beau en terme de mise en scène, d’image, de profondeur de champ, de gestion des silences. C’est au contraire un film qui parle énormément, et qui tentant de reproduire l’authenticité d’un fait fonctionne selon des plans de documentaires, pas forcément hyper travaillés formellement. C’est pourquoi j’ai eu un mal fou à entrer dans le film, sans doute une bonne demi-heure a t-il fallu pour que je me passionne pour l’histoire atypique de cet homme.
Ali Sabzian va se faire passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille, un peu par hasard, parce qu’on l’a pris pour lui et qu’il n’a pas nier d’emblée, mais aussi parce qu’il est entré dans un rôle, qu’il a joué ce personnage jusqu’à évoquer sa volonté de tourner un film avec les enfants de cette famille. C’est évidemment très malhonnête, il le reconnaîtra lors du procès, que Kiarostami reconstruit à merveille, mais ça n’avait pas pour but de l’être, ni d’être un escroc, encore moins un cambrioleur, ce qu’on l’a accusé, après qu’il ait fait des repérages dans toutes les pièces, parce que dit-il, un cinéaste se doit de faire cela avant de tourner dans les pièces d’une maison. Je précise qu’il s’agit d’une histoire vraie, et Kiarostami semble la raconter sans ornements, au sens où Bresson l’entendait quand il réalisa Un condamné à mort s’est échappé.
Le film est doté d’une découpe étonnante : Il commence en voiture par l’arrestation hors-champ de ce faux Makhmalbaf. Il nous montre ensuite par instants sa rencontre avec la famille, entrecoupée de scènes de procès. Puis il se termine sur l’arrestation vécue du côté de cet homme. Il y a comme un jeu de miroir, qui ferait appel à une certaine idée de la connaissance ou non d’un sujet. En effet, les premières séquences, malgré le fait qu’elles soient intéressantes du point de vue de l’intrigue simple (On s’apprête à arrêter un homme qui occupe l’identité d’une célébrité, c’est vrai que c’est étonnant, mais il n’y a aucune proximité avec la personne) ne sont donc pas forcément passionnantes, d’où mon léger rejet dans un premier temps. C’est en déconstruisant son récit que l’effet de miroir fonctionne puisqu’il nous permet de voir en Ali Sabzian sa véritable identité, ses motivations, son amour pour l’art. Close Up devient de plus en plus fort au fil des minutes avant de déboucher sur une scène finale absolument miraculeuse, où Sabzian rencontre le vrai Makhmalbaf. C’est comme si l’on était repassé du côté flic/journaliste (le micro, le son intempestif sur la moto, le plan lointain devant la maison) mais que nous n’éprouvions plus du tout ce que l’on éprouvait en tout début de film. Sabzian n’a jamais rien fait de mal, il a utilisé une identité pour revendiquer son amour du cinéma et le transmettre (voir la citation de Tolstoï) et c’est bien entendu tout à son honneur, et c’est ce que le vrai Makhmalbaf semble vouloir lui dire dans ce final magnifique.
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