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Archives pour 4 novembre, 2010

Biutiful – Alejandro Gonzalez Iñarritu – 2010

Biutiful - Alejandro Gonzalez Iñarritu - 2010 dans Alejandro Gonzalez Inarritu Biutiful2

Ugly.    

   1.5   Je me suis rendu compte de quelque chose durant la projection : Le cinéma d’Inarritu, lorsqu’il n’a plus Arriaga à ses côtés ni son monteur fou, n’a plus grand intérêt. J’ai beaucoup aimé 21 grammes, et je pense que je l’aimerai toujours aujourd’hui. Dans ce montage déstructuré tout me plaisait, les émotions se décuplaient et même si je le voyais davantage comme un exercice de style cette histoire d’accident et ses répercussions sur trois personnages me prenait vraiment aux tripes. Amores perros, précédemment, était un film brillant mais antipathique. Babel était déjà sur la corde raide. Biutiful est un film absolument insupportable. Déjà par son titre. Puis par sa croyance suffisante en son cinéma, comme si le cinéaste se sentait maintenant intouchable, qu’il pouvait se saisir de n’importe quel mélo, le transformer à tout va, lui insuffler des éléments nouveaux (un petit côté fantastique, mais qui finalement ne l’est pas, avec Inarritu il faut que tout paraisse vrai) et même y injecter des acteurs. 21 grammes était déjà un film d’acteurs, le cinéaste croyait en leurs interactions, il avait raison. Conscient de son talent, Inarritu s’est dit qu’il n’avait plus besoin de tout ça, que Javier Bardem, l’acteur du moment, allait suffire. Acteur américain, mais espagnol. Et hop, Inarritu, comme pour se détacher de tous ces gros benêts amerloques tourne désormais en Espagne, après avoir tourné aux quatre coins du monde avec Babel. Son film n’est que boursouflures. Comme le dernier Vinterberg. Sauf que ce dernier touchait un peu, il y avait comme une sobriété Loachienne dedans. Et pour en arriver à parler de sobriété Loachienne c’est dire à quel point ce Biutiful est hautement insupportable. Je voulais sortir plusieurs fois, mais j’étais curieux, aussi parce que je n’ai jamais rien eu contre le cinéaste mexicain. Mais là, cette prétention, cette suffisance m’ont sauté aux yeux, et dès le début du film. A l’époque de Babel je me souviens encore d’une salle très peu remplie, un cinéma qui n’avait pas encore trouvé son public. Je suis rentré cette fois-ci dans une salle archi comble, pour voir un mélo insignifiant de presque 2h30. Inarritu a donc touché son public, mission accomplie, il en fera encore dix des films comme celui-ci. Reste une certaine maîtrise de mise en scène, notamment lors d’une scène en boite de nuit ou encore quelques envolées vers le ciel de Barcelone mais globalement ce cinéma là n’est plus pour moi. Ce cinéma envahit par des notes de musiques (toujours la même depuis Amores perros) qui sonnent comme des coups de boutoirs. Ce cinéma qui ne laisse aucune lumière y transparaître. Ce cinéma qui se plaît à voir souffrir et pleurer ses personnages. Nombreux sont ceux qui parlent dans la presse de l’abandon du cinéma puzzle pour Inarritu. Mais finalement il fuit encore la linéarité et comme pour s’auto parodier, son début et sa fin sont les mêmes, prises sous un angle différent. Inarritu n’aura donc jamais la décence de faire simple.

Beau travail – Claire Denis – 2000

Beau travail - Claire Denis - 2000 dans * 100 beau-travail

Le petit soldat.    

   10.0   Chez lui, à Marseille, un homme se souvient du temps passé en tant qu’adjudant dans la légion étrangère à Djibouti, de ce quotidien si bien huilé, ordonné avant qu’un élément vienne perturber la machine.

     C’est un peloton de la légion perdu en plein désert africain, comme abandonné. Une vingtaine de jeunes recrues partage leur temps entre l’entraînement sportif, les simulations de combat, la lessive, le repassage, la cuisine, la garde et quelques sorties dans les bars de la ville. La routine, dira l’adjudant. Mais nous voyons tout cela comme porté par un envoûtement permanent, le film commence sur une très belle séquence dansante, puis se poursuit par les ballets de corps de légionnaires dans le climat aride et ce sable qui voltige en permanence rendant l’expérience limite cosmique. C’est comme un doux voyage, alors que ce pourrait être extrêmement violent.

     La preuve durant certaines scènes d’entraînement où la cinéaste filment les corps dans les obstacles, qui sautent, rampent, s’agrippent, mais nous ne voyons rien de ces parcours, les plans sont fixes, chaque légionnaire passe alors sous nos yeux, on dirait vraiment un ballet de gymnastes. Les dialogues sont déjà très rares, dans ce genre de séquence aérienne ils n’existent plus, tout passe par l’expression corporelle. Dans une scène similaire on découvre le camp encerclé par le sable à perte de vue, depuis un bateau qui traverserait le fleuve, pendant que chaque homme s’adonne à l’une de leurs responsabilités quotidiennes.

     Il y a aussi la voix de l’adjudant Galoup dans Beau travail, parcimonieuse, si discrète, sous forme de voix-off. Elle accompagne certaines images, parfois elle ne concerne pas ce que l’on voit. Cette voix ce sont comme des pensées, réfléchies, une recherche dans la mémoire, avec beaucoup de recul sur ce passé. L’ex-adjudant semble dire qu’il vivait durant cette période de sa vie, qu’il a perdu ce goût là aujourd’hui. La légion c’était sa vie, ce qui faisait son personnage. C’était un jeu aussi. Un perpétuel concours d’admiration réciproque avec son commandant, un respect mutuel éternel avec sa légion. C’est l’histoire d’un homme perdu, qui a donné toute sa vie à une situation qui lui a échappé, à un schéma de vie qu’il vivait comme s’il rêvait. Sur la forme, étant donné que l’on est véhiculé par les souvenirs d’un homme, il y a parfois des discontinuités, des déstructurations, comme des éléments racontés comme ils viennent, à la volée. Du coup, dès la première séquence de danse, on peut sentir un premier affrontement du regard entre l’adjudant et son légionnaire.

     Car c’est aussi une affaire de jalousie. C’est une nouvelle recrue, Gilles Sentain, qui devient la cause de sa perte. Cette admiration générale centrée sur ce garçon, légionnaire parfait, héroïque à ses heures, toujours disponible. Galoup souffrira beaucoup de cette nouvelle grande présence qui lui fait de l’ombre, principalement auprès du commandant, dont il ne voit là qu’infidélité. Il y a quelque chose d’Apocalypse now là-dedans. Rappelons que le film de Coppola n’est qu’illusion et désillusion sur la fascination d’un homme pour un autre, d’un homme pour une figure emblématique. Le rôle du colonel Kurtz pourrait alors avoir échoué au commandant dans Beau travail, jusque dans leur aspect physique, tellement proche. Et puis il y a un travail similaire sur l’apprivoisement des corps dans un lieu singulier (le long d’un fleuve pour l’un, le désert pour l’autre) et source de folies, de sentiments à leur paroxysme renforcés par l’étrangeté des lieux.

     Dans cette façon de travailler les corps, de les rendre si magnétiques (à l’image de cette séquence musicale où les recrues doivent effectuer une accolade intense musculairement) il y a comme une poussée maximale de l’admiration de l’autre qui amènerait ici à des pulsions homosexuelles refoulées, et symboliserait ce triangle Commandant/Adjudant/Légionnaire comme un amour impossible. Je crois qu’il n’est pas exclu d’y avoir songé, tant les sentiments sont justement décuplés par l’isolation du lieu et par l’entière proximité jour et nuit entre chacun de ces hommes, abandonné dans une immensité dans leur état primitif. Claire Denis filme l’éclosion d’un amour et tout ce que cela engendre, dans la plus pudique de sa représentation.


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