Terra incognita.
9.0 C’est difficile de parler d’un film qui s’affranchit lui-même des mots, j’ai l’impression que ce que je vais dire sera inutile, mais allons-y.
Je crois que c’est un film sur la confrontation des mondes. Une rencontre improbable. Il y a une femme à l’écran, enfin pas d’emblée, mais assez rapidement après quelques plans de paysages industriels. Elle regarde par le hublot d’un hélicoptère. Puis elle met les pieds sur une nouvelle terre. Terre divine. La nature montre sa puissance, elle englobe, encadre, elle est sonore, couvre tout. Un homme traverse les rivières et les forêts de pins sur des rennes. La jeune femme rencontre quelqu’un dans un véhicule à chenille qui prend sans doute l’initiative de la conduire quelque part. On ne sait pas vraiment, personne ne se parle. Et ce sera comme ça tout le film, on ne peut qu’émettre des hypothèses, se questionner sur les motivations de ces déplacements humains dans cet immense espace.
Il n’y a pas d’artifices chez Bartas, on peut même se dire que l’unique artifice pourrait être sa caméra, ou alors son idée de base, qui lui sert de lancement. Il y a quelque chose d’absurde dans ce voyage. On se demande pourquoi cette jeune femme est arrivée là, dans cette région, dans ce paysage qui ne semble pas lui être familier. C’est le seul artifice : le déplacement d’un corps dans un lieu dont on se demande ce qu’il vient faire là.
Few of us n’explique rien. On ne sait rien du passé, c’est un voyage entièrement au présent, débarrassé d’un absolu raisonnable. C’est le spectateur et lui seul qui accepte cette mouvance, qui doit sentir les éléments, se faire sa propre histoire, appréhender le plan à sa manière. Choisir de ressentir ce que l’image peut lui offrir. Il n’y a ni vérité absolue ni manipulation, tout est là, devant nos yeux.
La région est montagneuse et brille déjà par sa beauté, son étrangeté, son aspect inquiétant. On apprend à connaître un peuple, qui vit là, détaché de tout, enfin on s’en doute. La journée, le village est désert. Le soir c’est festif, on sort l’accordéon et on se met à danser, boire et fumer. De ce climat joyeux, si suspendu, s’apprête à en sortir une violence âpre, inattendue. La jeune femme est attaquée. Elle tue. Puis elle se met à fuir, courir de toutes ses forces entre monts, arbres et rivières. La neige aura recouvert les champs et les herbes, seuls les cours d’eau y résistent. Quelques personnes sont à ses trousses, armes en main. Un jeune homme, dont les traits du visage laissent apparaître qu’il est d’origine étrangère, comme elle, se met à la suivre, lui aussi, mais afin de la protéger.
Sharunas Bartas a construit ce voyage de la sorte que l’on soit inquiet des faits, des enjeux, de ces fuites sans fin, et non tranquillement guidés par la rapidité technique, des artifices et des plans. Une fois encore, tout est là, devant nos yeux. Quand un homme sur son cheval semble partir à la recherche de la jeune femme et tourne en rond dans le village, le plan restera fixe. C’est le mouvement dans le plan ou hors du plan qui guide nos sentiments, plus les plans eux-mêmes. La présence humaine, en ou hors champ, participe à cette anxiété qui nous étreint. Il y a une vraie tension dans cette dernière partie de film. Mais c’est une tension apaisée. Une tension que le spectateur peut choisir de ressentir ou non. Rien n’est sûr. Bartas dit lui-même qu’il a construit un passé à cette histoire mais qu’il ne l’a pas écrit, ni filmé donc il ne le racontera jamais. Chacun choisit de voir ce qu’il a envie de voir.