7.0 C’est l’Antonioni du pauvre. C’est une quête d’identité, une quête concrète mélangée à une quête spirituelle. Un cinéaste revient sur sa terre natale pour y présenter son dernier film, mais il a une obsession qu’il ne peut se défaire, il souhaiterait retrouver de vieilles bobines du début du siècle, considérées comme perdues, qui constitueraient la genèse cinématographique grecque, un film documentaire des frères Manakis. Il effectue un voyage particulièrement éprouvant dans les vestiges de l’histoire, de sa propre histoire, ses souvenirs, traversant des lieux incroyables, rencontrant des gens qui le guident, avançant à tâtons, sachant ce qu’il cherche mais pas comment, de Belgrade à Sarajevo.
Le regard d’Ulysse est un film embrumé, comme si notre vision était obstruée avec celle du personnage, il manque sans doute un mystère plus intense, mais il y a déjà cette gravité qui plane sans cesse, renforcée dès l’instant que le personnage met les pieds à Sarajevo. C’est son abnégation qui me passionne, cette faculté qu’il a d’avancer, naïvement, découvrant un peu du monde, modestement. Et puis il y a comme des miracles. Faire le voyage clandestinement aux côtés d’une statue de Lénine morcelée sur un immense bateau. Faire la rencontre d’une femme sur les rives du Danube. Puis celle d’un homme, qui doit être celui qui détient ces fameuses bobines, le tout sous les bombes, dans un paysage du présent, dévasté par la guerre. Un homme joué par Erland Josephson, qui jouait quelques années plus tôt dans le dernier film de Andreï Tarkovski, à nouveau dans un rôle sacrificiel. Il y a une idée incroyable dans ce film, c’est la quête. Un total abandon. Comme un corps qui ne serait plus guidé par une réflexion mais par une pulsion nouvelle, qu’auparavant il ignorait. Harvey Keitel apparaît alors comme une sorte d’élu. C’est de cela dont il s’agit de toute façon. Dans cette rencontre finale, ce passage de relais, se soldant par une mort, comme si elle avait toujours été en suspens, qu’elle attendait un nouvel hôte. Le film tient son tempo, près de trois heures et des plans très longs, des personnages qui marchent lentement, caressés eux aussi par la mise en scène. Il manque sans doute une émotion, quelque chose de saisissant, une fascination démente qui rappellerait intégralement Antonioni. Il n’y a peut-être pas suffisamment de prise de risque. Mais en l’état, c’est déjà un film qui me plait beaucoup.
Je ne pense pas avoir compris grand chose. Un peu comme avec L’éternité et un jour d’ailleurs. Le cinéma d’Angelopoulos est ampoulé par ses propres références antiques multiples. C’est bien, mais sous cette décharge symbolique il y a parfois, au-delà de l’ennui, une forme de cassure entre le magnifique rendu formel, le matériau écrit et l’émotion. De la pose. Dans L’éternité et un jour j’ai un blocage énorme à ce niveau. Avec Le regard d’Ulysse, je ne cherche pas à détecter toute la symbolique, j’aime le film en tant que voyage, il me suffit.