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Archives pour 4 janvier, 2011

Benny’s video – Michael Haneke – 1993

Benny's video - Michael Haneke - 1993 dans Michael Haneke Bennys-Video_acces_reel_medie-2-17213-300x193 Le filmeur.   

   8.0   Dans la période pré Funny games, Michael Haneke réalisait trois films radicaux, froids, on pourrait même dire chirurgicaux, disséquant l’acte, le mouvement, enfermant ses personnages dans le cadre ou en les éloignant, souvent hors-champ. De ces trois films, Benny’s video est probablement son plus accessible, le moins radical, celui qui évacue le plus son climat et laisse espérer autre chose, qui briserait cette spirale glaciale. Espérer seulement. Cet espoir c’est tout aussi bien dans cette rencontre qu’on est proche de l’obtenir, cette relation amoureuse naissante, ou bien dans cette évasion égyptienne, ou bien encore dans la surprenante issue du film. Sauf qu’Haneke brise tout espoir, pire il en fait des esquisses mais ne les fait jamais se développer.

     La rencontre de Benny avec la jeune fille est continuellement guidée par le quotidien du jeune garçon, son enfermement, cet aveuglement par l’image, cette fascination pour la violence, cette limite entre réalité et fiction. Le voyage en Egypte n’est pas montré comme un lieu de travail sur soi, de prise de conscience, mais simplement comme l’éloignement à la réalité, lui faire prendre des vacances pendant que l’on maquille et fait disparaître les preuves de ce drame impardonnable. Benny y emmène d’ailleurs sa caméra durant ce voyage, c’est son seul lien d’affection avec le monde. La scène finale est l’illustration parfaite, paroxystique, de cette dérive. La trahison n’est pas l’effet d’une prise de conscience soudaine, elle semble intervenir comme le meurtre était intervenu : « comme ça, pour voir ce que ça fait » pour reprendre les mots de Benny qui répondait à son père.

     Benny n’a pas conscience de ses actes, il agit selon ces pulsions qui le guide dans son appréhension du monde, l’œil guidé par l’image, l’œil qui aime à voir le normalement invisible. C’est cette attirance là qui est le moteur de son rapport à l’image. Lorsqu’il rencontre la jeune fille, il y a très peu d’échange oral, pourtant Benny lui parlera assez rapidement de la violence dans les films, le faux qui paraît vrai, au moyen d’artifices primaires, alors que l’on ne voit pas de différence. Pour comprendre un peu Benny il faut se situer ici, dans sa manière de s’entretenir avec la violence à l’écran – qu’il charge continuellement de films, émissions télévisées ou vidéo de surveillance. Benny fait corps avec ses propres images. Lorsqu’il regarde une vidéo qu’il a filmée où l’on y voit ses parents et des fermiers y abattre un cochon, Benny se plait à voir la scène, la reculer et la passer au ralenti, pour en étirer l’image, aussi pour en étirer les sons.

     Benny n’a de véritable lien avec personne. Au vidéo club, où il va régulièrement, échange une cassette contre une autre – Haneke montre ces échanges, ces mains, ces objets, moins les gens eux-mêmes les réduisant à leur simple mouvement physique, dénué de réflexion – il se passe quelques scènes de films d’action au casque, pour y plonger corps et âmes – très souvent dans Benny’s video, la télé en question prend tout l’écran, se confondant en un tout unique. A l’école, il se contente d’organiser le jeu de l’avion, parce qu’il a vu ses parents le faire sur une vidéo qu’il se passe aussi régulièrement. Chaque enfant, qu’il soit en cours ou en pleine chorale, se passe des billets pour pouvoir y participer. On ne sait pas vraiment quel est le principe de ce jeu mais il donne l’aspect d’un truc inquiétant. A la maison, donc avec ses parents, Benny n’a pas de rapports affectueux non plus. C’est un peu l’origine de ce mal être. Un enfermement (les volets sont systématiquement fermés, le père le remarquera d’ailleurs, mais ne fera que le remarquer) et une solitude permanentes. Peu de lumière, pas d’échange.

     Le rapport à l’image est beaucoup plus important que le rapport direct. L’image c’est ce qui nous est montré en premier dans ce film. On découvre les parents de Benny sur ses propres vidéos. Ils sont déjà absents. Son seul point d’attache à son entourage extérieure c’est l’image, par cette vidéo surveillance, nul besoin donc d’avoir les volets ouverts. Lorsque Benny sera en position d’avouer son crime, il ne le fera pas par les mots, trop incompatibles avec la relation qu’il entretient avec ses parents. Elle se fera là encore par l’image. Il leur montrera comment il a tué la jeune fille. D’ailleurs ce meurtre en question, d’une puissance hors norme, est intégralement tourné en un unique plan séquence, mais il est hors-champs. Il est même hors champ dans l’image, puisque ce que nous propose de voir Haneke, c’est de le vivre à travers la caméra de Benny, les mêmes images que découvriront plus tard les parents.

     Benny n’est que le produit de ses vieux, la conscience en moins. Ce n’est pas pour autant qu’il est pardonnable, mais il est en l’occurrence pardonné. Par une mère qui se réfugie dans l’incompréhension et les larmes. Par un père qui préfère se réfugier dans le mensonge, pour ne pas anéantir la vie de son fils, ni la sienne. Sauf qu’il n’est pas en phase avec son fils. Il n’est jamais question de vérité ou de mensonge, concernant Benny. Il a tué mais il ne sais pas pourquoi, il voulait voir ce que ça faisait. Pendant le meurtre avec ce pistolet d’abattage, la fille est dans un premier temps terriblement blessé, Benny ne s’inquiète pas pour sa souffrance, il veut simplement qu’elle se taise. Il est sans conscience, sans cœur. Alors que ses parents n’ont que mauvaise conscience, mauvais cœur. Benny n’est pas le produit humain de ses parents, il est mutant. Il ne ressent rien. Il n’est même pas triste. Il n’a peur de rien – il le dira lui-même à son père. Il correspond à cette nouvelle génération d’enfants guidés par les images. Mais poussé à son paroxysme, vidé de toute sa substance humaine.

Corridor (Koridorius) – Sharunas Bartas – 1995

the-corridor-2L’amour est plus froid que la mort. 

   7.0   C’est peut-être le plus mystérieux des films de Bartas, au sens où l’on ne peut se raccrocher à une linéarité, ni même à un personnage central, son déplacement, son errance ou sa fuite. Il y a énormément de mouvement dans Corridor mais géographiquement il reste un film statique, cantonné dans un lieu unique, ce qui d’apparence ressemble à un grand immeuble délabré, dans lequel quelques habitants ont pris refuge pour affronter le froid mortel. Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre. Mais ce n’est pas vraiment important. La force de Corridor se trouve justement dans ces non-déplacements, ces errances statiques, cette éternelle attente. Quelques visages ci et là. Une fumée de cigarette qui réchauffe. Le regard pointé vers un horizon sans espoir, une ville industrielle qui fonctionne encore, mais on ne sait pour combien de temps. Corridor pourrait très bien se dérouler après l’apocalypse, il y a un désespoir de cet ordre, une tristesse dans chaque regard, chaque décor. Les éléments eux-mêmes sont menacés : une fine rivière complètement détachée de tout, de timides feux de camps, il n’y a pas non plus vraiment de place pour une clarté, un ciel rassurant. Seuls le vent et la neige l’emportent, dans la plus rude des violences. Ou alors c’est la boue comme dans cette scène où un jeune garçon est aux prises avec deux types plus forts que lui qui le poussent dans des flaques de boues sous des trombes d’eau. Ou encore, il faut une précision et une patience hors pair pour arriver à faire tenir quelques bougies. Corridor est un film sans parole, mais c’est un film très sonore. Au-delà des simples sonorités naturelles, une sorte de brouhaha incessant dans le fond, comme une pièce où l’on pourrait discuter – Bartas nous en prive – ou alors ce n’est que dehors, on ne sait pas vraiment non plus. C’est encore une fois le déplacement qui importe. Un homme qui traverse le couloir puis revient sur ses propres pas. Un garçon qui se met à courir et ouvre la porte en grand, de laquelle se dégage une lumière aveuglante, mais loin d’être rassurante. Et puis des rencontres, presque improbables. Ces deux enfants, qui s’observent et découvrent leur corps. Et un rassemblement, une danse, où enfin l’on rit, on boit. Moment de grâce éphémère, très vite rattrapé par l’insalubrité ambiante. Il n’y a pas de vérité préconçue, juste un regard. Porté là, sur une population en sursis. Corridor est un film ambiant, complètement désespéré et beau. Rares sont les cinéastes qui savent aussi bien filmer les visages que Sharunas Bartas, tout en n’oubliant pas de les intégrer dans un espace.

Potiche – François Ozon – 2010

Potiche - François Ozon - 2010 dans Francois Ozon 19534590Les jeux de société.    

   4.5   Adaptation d’une pièce de théâtre, comme l’était avant lui Huit femmes, Potiche n’est rien d’autre que du théâtre filmé. Au pire c’est insupportable et suffocant. Au mieux c’est agréable, on passe un bon moment, et même si le film cherche à dire des choses intéressantes, il ne les véhicule pas par la mise en scène, souvent absente. Heureusement, Potiche appartient à cette deuxième catégorie. Très peu au tout début du film tout de même, les premières minutes sont hideuses. Disons que d’entrée (avec cette femme qui fait son jogging, parle aux animaux, affronte un mari despote et naïvement fait tout ce qu’il lui dit de faire) la mécanique tant attendue est en marche, mode Ozon, gros sabots, pantouflard, cliché à la manière de « je ne peux pas voir tes clients, je ne dois pas faire la cuisine, mais où est ma place ? ». Pourtant c’est d’abord dans la reconstitution que le film interpelle bien avant de séduire. Tout est kitch, criard, gentiment rétro, hyper appuyé (dans le bon sens : anti-naturaliste) et le film semblerait aussi vieillot s’il avait été fait dans les années 70.

     Puis peu à peu quelque chose de savoureux, dans les rapports, la réplique commence à se créer. Lorsque le mari tente d’apaiser une grève qui le mène à être séquestré, dérailler puis faire un infarctus, c’est la femme potiche (qui fait ça si bien depuis plus de trente ans) qui est amenée à reprendre les rennes. Schéma basique et attendu encore une fois. Mais c’est grâce à sa palette de personnages que le film rebondit. Car Luchini est excellent mais ça ne suffirait pas. Il y a d’abord les interventions (comme au théâtre) de la fille, qui ramène ses problèmes de cœur dont on apprend aussi à connaître les penchants politiques, très proche de son père. Il y a l’arrivée du fiston, fils à papa d’apparence, rebelle dans les faits, qui ne veut ni parler de l’usine de son père, ni de politique (ou alors seulement la politique de l’art) mais de son aventure amoureuse (qui pourrait très bien être de l’inceste contre son gré, ça il faudra attendre pour le découvrir) et de ses choix professionnels incertains. Mais c’est en la présence de Depardieu, en député-maire communiste que le film s’envole un peu encore. Evidemment tout ça n’est que du théâtre. Mais les acteurs en l’occurrence sont excellents. On se prend au jeu même si ça fait un peu politique d’entreprise pour les nuls. On se prend au jeu même si c’est un film d’étiquettes. De toute façon ça l’était déjà sur l’affiche du film, chaque personnage portait une étiquette sur son front qui ne lui correspondait plus, comme si tout avait été bouleversé, redistribué. Et Ozon joue beaucoup de ça.

     Le problème de ce cinéaste c’est la question de la distanciation qu’il offre avec ses films. Quand il fait Huit femmes, Potiche et même Sitcom je ne vois là aucune prétention, juste la volonté d’éveiller des sujets de sociétés, un peu barrés, théâtraux mais volontairement dérisoires. Ses films plus sérieux ne fonctionnent jamais. A l’exception de 5×2 qui restera encore aujourd’hui un grand mystère pour moi. Potiche ne révolutinne pas, il ne cherche pas à le faire. On pouvait s’attendre à un film féministe un peu bateau mais même là Ozon s’intéresse à l’évolution de ce personnage dans sa prise de pouvoir et sa volonté de reprendre les rennes matriarcaux qu’elle a définitivement perdu dans son foyer (il y a une très belle scène où la femme se voit refuser l’éducation de ses petits enfants par sa fille parce qu’elle est trop laxiste). Madame Pujol, désormais élue député (sans étiquette – l’expression est marrante) s’en va chanter une hymne à la vie (on reste dans le kitch, Ozon assume) après avoir remercier ses votants et les avoir réduit à être ses propres enfants, qu’elle veut chérir et cajoler. C’est donc moins une prise de pouvoir féministe que la volonté de revivre (par la jeunesse – une femme au marché dira que la Pujol rajeunit) une situation de famille à l’échelle du monde (enfin d’abord d’une région) et c’est à mon sens ce que réussit de mieux le film.


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