Tell me you love me.
9.0 A partir d’un récit très banal, puisqu’il s’agit de l’éternel couple en crise, d’un adultère proche de l’aveu, Radu Muntean construit des situations quotidiennes, on pourrait dire universelles, en dopant sa très belle écriture d’une attention toute particulière donnée aux gestes, regards, sourires, silences. A l’écoulement du temps en fait. Le cinéaste ne surcharge pas son récit en montrant des tas de choses, des tas de gens, il se concentre uniquement sur certaines situations, un cercle très fermé de personnages, et apporte sa richesse par de longs plans-séquences souvent fixes ou presque fixes. Résultat incroyable. Il évite absolument tout ce qui peut se faire de pire. Pas d’acharnement, simplement une passion dévorante d’un côté, un couple trop dans ses souliers de l’autre. Sans pour autant délaisser les interrogations de la jeune amante sur ses sentiments, vis à vis son âge ou ses parents, ni même l’entente dirons-nous cordiale au sein du couple en passe de se détruire. Un moment donné ils sont tous deux dans une salle de bain, il est nu, debout, elle lui coupe un peu les cheveux à la tondeuse. Tout est doux, peut-être trop mécanique, mais doux, on n’est pas dans l’intimité d’un couple en pleurs. Quand elle aura fini, elle sort de la pièce après lui avoir effleurer son sexe de sa main, comme si une fantaisie d’antan ressurgissait mais ne faisait que passer. A l’opposé exact de la première scène du film où l’on découvre Paul avec Raluca, sa maîtresse donc, dans un lit, une scène d’intimité très forte, lumineuse, drôle, pleine de fraîcheur. Du coup le cinéaste obtient quelque chose de très beau en contournant les stéréotypes, il n’accable pas. Même l’enfant – car il y a pourtant présence d’un enfant – n’est pas moteur d’émotion, au contraire, plutôt relégué au second plan, comme si les adultes réfléchissaient encore en marge, en y pensant bien entendu, mais sans que ça porte directement atteinte à leurs fondements de pensée. Il n’y a qu’à la toute fin du film où l’enfant prend une place très forte, dans une mélancolie discrète, il fait office de lien. C’est Noël et pendant que les enfants chantent dans une pièce (probablement un rituel en Roumanie) les parents en profitent pour déposer les cadeaux autour du sapin. Le couple est déjà séparé mais la famille n’est pas encore au courant. Adriana, la mère, sort un cadeau de son sac à main et le passe à son mari, derrière son dos, comme s’ils avaient toujours fait ça auparavant. Une dernière complicité. Enfin probablement leur dernière. Le film se termine ainsi. C’est en optant pour l’étirement des plans et le déplacement de ses personnages dans ses plans que le cinéaste trouve un équilibre. Il n’hésite pas à les faire sortir du champ afin que plus tard nous les retrouvions, on appréhende donc l’espace avec ce que l’on connaît et ce que l’on imagine. C’est la même chose dans l’enchaînement des séquences : On voit beaucoup Raluca dans la première partie du film, autant que la femme trompée. Plus du tout après. Radu Muntean se concentre sur les rapports à deux. Rapport fort et secret d’une part. Rapport froid puis explosif ensuite. On est presque chez Bergman. Comme on pourrait dire que l’on est chez Cassavetes. Il y a une précision similaire. Un besoin d’accorder du temps aux sensations de s’élever. Il y a une scène que je trouve difficile, vraiment difficile, c’est la scène où les deux femmes se rencontrent, l’une sachant mais surprise, l’autre pas du tout. C’est une scène malaisante probablement parce que nous avons un temps d’avance et surtout, le plan figé étouffe. Ce n’est pas le seul, mais c’est le seul qui me met si mal à l’aise. Il y a la scène de l’annonce, très forte, toujours basé sur le même principe que le film suit, à savoir un lieu, une situation, un plan (ou presque). En l’occurrence deux. La jeune femme encaisse puis déverse des reproches violents. J’aime beaucoup l’idée qu’elle ne contrôle plus grand chose, qu’elle lâche du refoulé. De la même manière j’aime beaucoup le fait que cet affrontement ne soit pas trop facilement stoppé. Chaque scène dure mais elle semble dosée, on ne s’ennuie pas un seul instant, le cinéaste offre une vitalité (par les choses les plus infimes encore une fois, invisibles même très souvent) à ce qui pourrait tout aussi bien être lourd et ronflant. Et tous les acteurs l’épaulent à merveille, ils sont merveilleux. Ce film m’a bouleversé. Il y a une telle charge dans chaque plan, mais ce n’est jamais magouille émotionnelle, que de la mise en scène. Et puis en même temps ça m’évoque pas mal de souvenir pas forcément agréable, sauf qu’ici je ne suis plus l’enfant, un temps soit peu protégé (la seule inquiétude de la jeune fille en l’occurrence c’est de savoir si elle portera ou non l’appareil dentaire rose) mais le spectateur, je vis cette passion et cette crise, ce bouleversement, cette dernière complicité, entièrement avec eux. Le dernier plan et le générique qui a suivi, je ne bougeais plus, tétanisé, vidé.
06/03/2018 :
Film roumain qui avait fini dans mon top 10 en 2010 aux côtés d’un autre film roumain, Policier adjectif. Les deux plus beaux de cette mouvance à mes yeux, vague qui s’est par ailleurs effondrée aussi vite qu’elle est apparu il y a maintenant dix ans. Je tenais à revoir ce film pour voir s’il tenait encore la route et n’était pas qu’un copié-collé bergmano-cassavetesien. Et ça tient toujours. C’est même une sorte de seconde claque en réponse à la première, déjà forte, mais toujours un peu fragile car le film vient de sortir, tout ça. Le revoir huit ans plus tard et se rendre compte qu’il est toujours aussi puissant, sinon davantage, c’est fort. Et puis ce fut comme une redécouverte puisque si je me souvenais vraiment bien de deux/trois blocs, l’ensemble s’était un peu volatilisé .Bref, c’est une merveille. Je me demande si la scène finale des cadeaux n’entre pas dans mon top des plus belles scènes de fin de l’histoire du cinéma. Bref, il reste dans mon top 10 de 2010. Haut la main.
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