Ruhr – James Benning – 2010

Ruhr - James Benning - 2010 dans * 2010 : Top 10 CM+Capture+2

Das experiment.    

   9.5   7 plans fixes. Deux parties. La première contenant les six premiers plans.

     Premier plan. Un tunnel, très peu de passage. Quelques voitures, un camion, un cycliste. Une source lumineuse sous la forme d’un éclair. Un virage dans le fond, ligne de fuite vers le centre comme c’est régulièrement le cas. Une impressionnante maîtrise sonore, en écho ou étouffée. Tout est gris, cloîtré, c’est inquiétant. Avant le passage des véhicules on croit entendre les bruits d’un métro, comme s’il était à côté, ou pire, des tremblements de terre. Tout se joue donc hors du plan. La menace est ailleurs, dès que le véhicule apparaît on se relâche.

     Deuxième plan. L’intérieur d’une usine. On y fabrique de longs cylindres métalliques. Ils sont couleurs orange dans le fond puis disparaissent dans le côté de gauche de l’écran, grâce à une machine qui effectue un va et vient incessant d’avant en arrière. Au premier plan les cylindres sont froids, ils voyagent de gauche à droite. Un véritable balai, d’apparence ennuyant, finalement très envoûtant. Et une fois encore une ambiance sonore incroyable.

     Troisième plan. Une forêt. La caméra est inclinée, en contre plongée, on se croirait dans un Malick. Aucun mouvement. Simplement des bruits lointains d’une autoroute, d’un périphérique, le bruit des moteurs incessants. Puis, de façon surprenante, le bruit d’un moteur pas comme les autres, qui résonne, et dont le vrombissement s’accroît couvrant tous les autres sons, un bruit énorme. Le passage d’un avion, au-dessus de nos têtes. On doit être près d’un aéroport. On y voit les réacteurs puis il disparaît. L’oiseau d’acier n’est plus là pourtant il laisse derrière lui un vent violent qui secoue les arbres, y fait tomber et tournoyer les feuilles, l’automne est plus marqué ici qu’ailleurs. Le schéma va se reproduire plusieurs fois. On ne s’est pas trompé, c’est bien l’avion qui en est la cause, pas un simple vent. Rien ne bouge autrement.

     Quatrième plan. Une mosquée. Nous sommes à l’intérieur, au milieu des fidèles. L’imam commence la prière. Chacun le suit, se lève, s’agenouille, se couche, fesses en l’air. Nous sommes à hauteur de taille, comme si nous étions l’œil d’un enfant. La prière se poursuit puis se termine. Les fidèles s’en vont petit à petit. Immense travail de perception.

     Cinquième plan. Un mur au milieu d’un champ. On dirait le monolithe de 2001. Il n’est plus noir, il est recouvert de graffitis. Un homme les efface, ce doit être son travail. Minutieusement, à l’aide d’une machine très bruyante, lentement, les dessins redeviennent noirs. Un moment il s’absente, remplit sa machine d’un produit blanc et farineux. Il continue.

     Sixième plan. Un quartier résidentiel désert. Très peu de passage. Quelqu’un semble jouer du piano, ou alors c’est un disque on ne sait pas vraiment, on distingue on n’entend pas clairement. Au loin une route, ligne de fuite vers le centre encore et toujours. Un passage fréquent que nous n’entendons pas. Tout est calme. Un homme sort de chez lui et vérifie quelque chose dans le coffre de sa voiture. Une femme promène son chien. Rien de plus. Tout paraît mort, inhabité. Même la flore semble être fausse ou morte. Quelques arbres devant les maisons, alignés. Quelques buissons dont on ne sait pas ce qu’ils viennent faire là. Fin de la première partie.

     Seconde partie. Un plan unique. Il va durer une heure. Le haut d’une cheminée d’usine, immense, sombre, qui crache une fumée discrète. Le soleil sur la droite mais hors champ semble se coucher. Il éclaire cette tour sombre mais bientôt disparaît. Pendant ce temps, la cheminée se met par moments à cracher d’épaisses volutes de fumée, en son haut mais aussi de ses côtés, à l’annonce d’une sirène. Le nuage de pollution occupe alors tout l’écran. Puis tout reprend forme. Les fins nuages dans le ciel se mettent eux aussi à disparaître. Le ciel qui était bleu devient gris. Le gris d’une fin de journée. On entend comme de sourdes explosions. Ou parfois le passage d’un tracteur. On est sur un chantier mais lequel ? C’est le plan le plus long mais aussi le plus fascinant. Le jour était éclatant, bientôt la nuit aura pris place. La cheminée était marron, presque orangée, on y décelait les étages, bientôt elle sera très sombre, presque noire, sans distinction dans ses détails. L’épaisse fumée laissait par moments apparaître quelques reflets dorés, elle devient ensuite opaque puis entièrement grise, presque noire. Fin du film.

     On sait que tout est filmé dans le district de la Ruhr. Immense travail sonore. Impressionnant. Rarement un film avec un espace si réduit n’aura éveillé en moi une imagination aussi étendue, une inquiétude latente, une fascination aussi hypnotique. Ce sont des lieux, des moments que l’on ne filme pas. Tout n’est qu’apparition, répétition, disparition. Certains des plans de la première partie font écho à d’autres. Mais ils ont tous un truc qui les différencie. Le plan de la seconde partie semble être un condensé de la première, c’est assez magnifique.

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