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Archives pour février 2011

Où est la maison de mon ami ? (Khaneh-ye doost kojast?) – Abbas Kiarostami – 1990

Où Est La Maison De Mon AmiDevoirs du soir.  

   10.0   Le réalisme du film ne se situe par forcément dans le déroulement de l’histoire, sorte de calvaire initiatique salutaire d’un enfant en école primaire, mais dans l’unité de lieu offert systématiquement par le cinéaste iranien. Une salle de classe ouvre et clôt le film. Entre ces deux séquences, un après-midi et une soirée en compagnie de Ahmad. L’extérieur de sa maison, puis ses va-et-vient incessants entre son village et celui vers lequel il doit trouver son ami afin de lui rapporter son cahier de devoirs, qu’il a embarqué par mégarde. C’est que Mohamad Reza, Ahmad et leurs camarades ont un professeur à cheval sur la discipline. S’ils doivent rester silencieux pendant toute la durée du cours, ils doivent aussi avoir fait leurs devoirs de la veille, que le professeur vérifie chaque jour en y apposant une note, mais surtout ils doivent faire ce devoir dans leur cahier, pas sur une feuille volante. Ce matin-là, Mohamad a dû une nouvelle fois rendre ce devoir sur une feuille puisqu’un élève lui avait embarqué son cahier. Aucune excuse ne lui est accordée, son devoir est déchiré – c’est déjà la troisième fois, lui répète le professeur – et Mohamad s’effondre en larmes, sous les yeux compatissant de son voisin de table Ahmad. Tout est déjà vécu à hauteur d’enfant, leur incompréhension, leur tristesse. L’adulte restera durant tout le film comme celui qui ne comprend ni ne cherche à comprendre l’enfant, d’une manière générale. Cette première séquence, qui rappelle quelque peu une scène de La maison des bois de Maurice Pialat, est très touchante, justement car l’on sait, en tant que spectateur que tous ont quelque part raison, Kiarostami ne fait pas non plus de ce professeur un monstre. Il est sévère mais semble juste. Ne pas stigmatiser le rôle de l’adulte, qui intervient malgré tout comme le grand méchant, puisqu’il fait pleurer le pauvre Mohamad, Kiarostami l’a très bien réussi. Mais ce qu’il réussit de mieux c’est l’impact qu’à cet événement et la menace qui s’ensuit – le renvoi de l’école à la prochaine erreur de l’élève – sur les comportements de ces élèves. Car un enfant prend ce genre de considérations au premier degré, et on n’imagine pas le cauchemar intérieur qu’a dû vivre Mohamad jusqu’au lendemain…

     La suite du film est entièrement centrée sur le petit Ahmad. On le voit rentrer chez lui, s’apprêter à faire ses devoirs avant que sa mère ne lui demande tout un tas de tâches quotidiennes l’empêchant de travailler. Quand il sort enfin les affaires de son sac, pressé par son ami qui lui montre clairement qu’il peut aller jouer parce qu’il a fini ses devoirs – ce que la mère d’Ahmad ne manquera pas de lui faire remarquer – le garçon découvre qu’il a embarqué, en plus de son propre cahier, celui de son voisin de classe, à savoir le petit Mohamad Reza, qui souffre de cet ultimatum lancé par le professeur quelques heures plus tôt. Ahmad est complètement perdu, il ne sait comment faire. D’autant que lorsqu’il en parle à sa mère, elle est d’abord indifférente avant de lui faire comprendre que l’endroit où habite son camarade, est beaucoup trop loin, que le mieux c’est de lui rendre son cahier demain. En attendant, il ferait mieux d’aller chercher une baguette. Ce n’est pas encore cette fois-ci que Ahmad fera ses devoirs donc. Mais dans l’obligation d’aller acheter du pain, il va saisir l’occasion d’aller à Poshteh, emmenant le cahier de son camarade sous son aile. Et le voilà en train de courir de toutes ses forces, quittant son village Koker, sous les yeux de son grand-père dubitatif, sillonnant un chemin désert en forme de Z, des champs, une forêt, puis le voilà arrivé dans un village mais on lui dit que Poshteh est un poil plus loin. Puis à Poshteh on lui dit alors que le village comporte plusieurs quartiers. Ahmad court toujours, demande son chemin, questionne les habitants sur l’éventuelle connaissance d’un Mohamad Reza Nematsadeh. En vain.

     Kiarostami multiplie alors les péripéties tout en conservant son unité de lieu. Koker ou Poshteh. On sent que Ahmad tourne en rond. Mais il progresse. Il sait alors que la maison de son camarade a une porte bleue et se trouve juste à côté d’une fontaine. Mais il n’y est pas. Un cousin lui dit alors qu’il est peut-être à Koker. Ahmad refait le chemin en sens inverse. En vain, une nouvelle fois. A Koker, en pleine discussion avec son grand-père qui lui fait la morale, Ahmad surprend une conversation à côté et croit entendre que l’homme sur sa mule s’appelle Nematsadeh. Quand il part pour Posheth, Ahmad décide de le suivre. Troisième fois qu’il traverse ce chemin en Z, ces champs, ces forêts. Mais arrivé à Poshteh, Ahmad découvre qu’il y a sans doute plusieurs Nematsadeh. Désespéré, il ère dans les ruelles, chemins, la nuit commence à tomber. C’est une rencontre avec un vieil homme qui aurait pu tout changer, mais c’est cette fois-ci la peur, la nuit poussent le jeune Ahmad à renter au gallot chez lui, effectuer rapidement ses devoirs avant d’aller se coucher.

     Kiarostami choisit de nous cacher deux éléments importants dans son récit. Le premier au tout début du film. On apprend en même temps que le personnage qu’il a malencontreusement pris le cahier de son camarade. La seconde à la fin. On découvre en même temps que Mohamad, le lendemain donc, ses devoirs accomplis par son camarade la veille. La fin de ce film est bouleversante. Il y a toute une angoisse qui se crée lorsque l’on est à nouveau dans ce lieu dans lequel nous avions souffert autant que le personnage. Mais Ahmad n’est pas là. On se dit qu’il peut-être honteux, qu’il est lâche. Le professeur passe entre les rangs. Mohamad est inquiet, prêt à éclater une nouvelle fois en sanglots. Puis Ahmad arrive. Ce n’est pas un messie. C’est un camarade qui aura tout essayer. Dont les cernes peuvent trahir une soirée surréaliste. Il sort les deux cahiers de son sac. Il a fait les devoirs de son camarade. Le professeur passe et assigne un ‘très bien mon garçon’ sur le cahier de Mohamad. Il n’y avait pas besoin d’un plan supplémentaire. Il n’y en aura pas. C’est magnifique. Et nous aussi, on peut souffler !

Cold prey 2 (Fritt vilt 2) – Mats Stenberg – 2010

Cold prey 2 (Fritt vilt 2) - Mats Stenberg - 2010 dans Mats Stenberg G7cGaUYETfN_mJ7WkBHoZoczAVk   4.0   Rien de neuf dans la pénombre. Cette suite surfe timidement sur la relative réussite du premier, s’inspirant alors très clairement des suites offertes au premier Halloween. Tout est surligné à tel point qu’il faut se coltiner en parallèle les recherches de ce policier qui découvre l’identité et ce don si particulier du tueur au piolet. Comme Michael Myers, le monstre humain des neiges semble increvable, on apprendra par la suite qu’il était mort-né puis revenu à la vie au bout de quatre heures. Un monstre. C’est sans doute pourquoi les parents ont voulu s’en débarrasser (voir la fin du premier opus). Problème est qu’on a de l’avance sur tout le monde dans ce film. On sent chaque rebondissement venir. Et ceux que l’on n’attend pas sont improbables, généralement meublés par l’effet old school du sursaut impossible, utilisé ici jusqu’à plus soif. Pourtant, le film n’est pas un échec total. Il y a déjà la bonne idée de commencer cette suite là où s’est achevé la première. Et ça fonctionne à mon sens mieux que dans la suite de The descent. Mais il y a aussi l’idée d’avoir transformé un lieu, de l’avoir fait ressembler comme deux gouttes d’eau à l’ambiance du premier. C’était un hôtel. C’est un hôpital. Le genre ne s’est jamais aussi bien porté qu’en lieu clos. Tout est prétexte à flipper. Une porte qui s’ouvre. Une autre qui claque. L’extinction d’une lumière. Un bruit de pas dans un couloir. Mais là où Cold prey réussissait mieux son coup c’était dans l’économie de l’apparition. On angoissait parce que le tueur pouvait être partout. La majorité du temps on angoissait donc pour rien. Dans Cold prey 2, le tueur est partout. On n’angoisse donc presque plus. Et puis cette mauvaise idée d’avoir fait intervenir deux personnages inutiles, principalement l’enfant, pour qui étrangement tout se termine bien. Cette suite n’a plus vraiment d’imagination. Elle recycle. Elle recycle bien dans un sens mais la vitesse avec laquelle tout s’enchaîne fait perdre le fil tenant de l’angoisse. Pas mauvais donc mais pas bon non plus.

Deuxième sous-sol (P2) – Frank Khalfoun – 2008

Deuxième sous-sol (P2) - Frank Khalfoun - 2008 dans Frank Khalfoun rachel-nichols-300x198Sous toi, la ville.     

     4.5   C’est toujours agaçant de voir combien une situation de peur extrême – à savoir les parkings souterrains d’un immeuble – est si mal exploitée dans un film. Force est de constater que le cinéaste s’est endormi sur ses lauriers pensant que l’angoisse dans ce lieu clos, qu’il soit filmé d’une manière ou d’une autre, fonctionnerait inévitablement. Frank Khalfoun ne filme rien de ce parking, ou très mal. Il va dors et déjà à l’encontre de ces survivals classiques en dévoilant le visage du tueur psychopathe rapidement. En même temps, pourquoi pas ? Mais il n’en tire rien non plus. Il ne fait exister ni les lieux ni les personnages. On se fiche autant de cette sympathique nana, cadre d’une grosse boite, qui s’apprête à fêter Noël en famille, que de ce gardien un peu dérangé bien décidé à passer la soirée aux côtés de la belle blonde, qu’il affuble d’une jolie robe blanche, après l’avoir assommée, dévoilant donc pendant tout le reste du film un décolleté plongeant. Contra rempli, on est content nous aussi. Dès l’instant qu’elle monte dans sa voiture la jeune femme découvre que celle-ci ne démarre plus. Ensuite, elle souhaite prendre un taxi, mais les issues des souterrains sont fermées. Elle s’adresse alors au gardien, type seul d’apparence sympathique – on sent venir le coup à des kilomètres – qui lui ouvre gentiment les portes de l’ascenseur. A l’étage, taxi appelée, reposée, elle s’apprête à sortir, mais les issues sont là aussi bloquées. Elle descend à nouveau pour demander de l’aide à son serviteur. Elle ne sortira plus de ce parking. La bonne nouvelle c’est que le film ne multiplie pas les instants de bravoure et péripéties en tout genre peu probables. Mais il y en a tout de même quelques-unes unes. Dont une assez inattendue, mais qui ne débouche sur rien. Le gardien est juste cinglé, un cinglé sympathique, peut-être même amoureux, lui qui voit cette femme chaque jour dans les couloirs et ascenseurs à travers ses vidéos de surveillance. Dans sa partie survie le film s’améliore un peu. On n’échappe pas aux poncifs comme la débilité du méchant, la transfiguration animale de la victime, une mise à mort impressionnante, une intervention de la police inutile et une fin sous forme de happy end sans imagination. Finalement, les meilleurs instants ce sont ceux où nous sommes en compagnie de la jeune femme, condamnée à se cacher sous les bagnoles, derrière des piliers, mains liées par des menottes, poursuivie par cet homme, accompagné d’un Rottweiler et d’une lampe torche. Rien à signaler. On ne s’ennuie pas, mais ce n’est pas non plus l’épreuve physique tant espérée. Le film en sous-sol reste donc à faire.

The children – Tom Shankland – 2009

children   5.0   Avec plus d’inventivité, de radicalisme, moins d’effets de style inutiles et un travail d’écriture plus poussé ce film aurait été une merveille. L’espace d’un moment je retrouvais cet état si malaisant ressenti devant Le village des damnés de Carpenter. Les enfants c’est la grande idée des films de genre. Ce sont les symboles de l’innocence alors quand il est question d’en faire des êtres cruels, diaboliques, il y a quelque chose de très gênant à l’écran, d’imperceptible. L’expérience peut très vite être traumatisante, c’est le cas d’un Eden lake par exemple, même si l’esquisse est moins poussée puisqu’il s’agit d’adolescents. C’est aussi le cas avec les débiles mais flippants films de la saga Chucky. Poupées tueuses que l’on associe directement au corps de l’enfant, immobiles quand on les regarde, psychopathes par derrière – On verra que le procédé est similaire ici. C’est donc le cas dans le film de John Carpenter, où une force surnaturelle vient occuper les petites têtes blondes d’un village. Un virus, une contamination, une intervention surnaturelle, c’est aussi ce qui se passe dans The children. Effet de surprise amoindri dès l’instant que l’on sait, et cela au bout de deux minutes, qu’il y a quelque chose d’étrange autour de ces enfants. C’est d’abord le plus petit qui est touché, par on ne sait quoi, une force autre, qui le fait tousser, vomir une sorte de glaire jaunâtre, perdre progressivement de son teint pour carrément très vite répéter des gestes très étranges. La contamination procèdera petit à petit. Ils seront tous touchés. Tous les enfants. Comme si le virus inconnu avait en premier lieu choisi de s’installer dans ces petits corps, justement peut-être parce qu’ils sont les plus sensibles. Que rien ne soit dit durant le film ne me dérange pas, au contraire cela permet de vivre le drame de l’intérieur, dans le mystère le plus total. Problème est que cette ambiance mystérieuse et glaçante ne fonctionne pas très bien. En cause, l’interprétation, d’une part. Autant les enfants, surtout lorsqu’ils fixent un truc, ne bougent plus, construisent leur machination diabolique, sont assez flippants. Autant les parents adoptent un jeu limité, probablement parce qu’ils ne sont pas très bien filmés. Montage saccadé, déluge de couleurs (sûrement pour contrer le blanc de la neige qui a recouvert le paysage) et vitesse des enchaînements sont nombre des lacunes du film. Donc, l’installation ne fonctionne pas. Je ne sais pas s’il s’agit d’une famille, s’il s’agit d’amis, si c’est la maison de l’un d’eux ou simplement une maison de campagne. Je n’arrive pas non plus à attribuer les enfants aux parents. Tout est trop rapide, comme s’il fallait bâcler pou s’intéresser en priorité au futur carnage, qui paradoxalement, se fait attendre. Malgré tout, voilà, dès que les premiers signes dangereux s’intensifient, le film ne quittera alors plus jamais cette dynamique. C’est dans un premier temps un repas complètement avorté où des yeux d’enfants n’ont jamais été aussi menaçants. Scène très réussie. C’est plus tard un piège tendu à un adulte, embroché dans un outil de jardin, qui précipite l’inquiétude et le carnage général. Enfin, qui aurait dû précipiter. C’est le second gros souci de The children. Comment les personnages adultes ne peuvent-ils pas voir que leurs enfants sont devenus des tueurs sanguinaires, ou tout du moins qu’ils sont habités par une pulsion démoniaque ? Je veux bien croire à un aveuglement, c’est vrai il s’agit d’enfants, comment peut-on craindre un enfant… Mais cet aveuglement est général, ça ne marche pas. Enfin si mais beaucoup trop tard. Et puis ce père de famille qui accuse sa femme avant de se prendre à sa belle-fille, là c’est un peu du foutage de gueule quand même. De toute façon l’acteur qui joue ce personnage est mauvais, complètement. Le film tente aussi par instants de dire des choses sur l’entente hypocrite entre les deux couples, c’est intéressant, mais finalement peu travaillé. De la même manière, tout ce qui se dit sur l’avortement, par-ci par-là, est d’un goût douteux, mais tout autant vite oublié. Je n’aime pas non plus les espèces de flashs récurrents dans les yeux des enfants, je trouve ça kitch au possible, et tentant d’installer un trouble qui n’a pas lieu d’être. Je préfère voir les enfants de l’extérieur, c’est bien plus angoissant, comme vers la fin, lorsque deux d’entre eux montent les escaliers, de façon étrange, habités, presque désarticulés. J’aime les plans redondants sur le poste de radio, qui probablement en raison de la neige, continue de chercher une station en vain. Et encore une fois, malgré des tonnes de défauts, la tension du film est tout de même très soutenue, alors je suis sans doute trop indulgent, mais dès l’instant qu’il y a un effet sur la durée, aussi léger soit-il (une fois terminé, il est vite oublié) je suis comblé. Pas un must du genre mais à voir, pour la férocité avec laquelle les crimes, d’un côté comme de l’autre, sont commis, et pour ces regards si déstabilisants des gosses, sauf si vous en avez chez vous, auquel cas vous ne les verrez plus pareil… Encore un film de genre correct qui nous vient d’Angleterre.

Frozen – Adam Green – 2011

Frozen - Adam Green - 2011 dans Adam Green frozen2306

Passe-montagne.

     7.5   Le spectateur est masochiste. Il se plait à jubiler autant qu’à souffrir. Devant un film d’horreur ou dérivés, c’est ce qu’il recherche, souffrir, rechercher ses limites, un certain dépassement de soi. Celui qui éprouverait la sensation opposée, à savoir l’attirance du bourreau, serait déjà passé de l’autre côté. Le seul plaisir du film de genre, à l’échelle animale, physique c’est celui de souffrir. Comme dans une montagne russe ! On aime envisager cette limite. Pour en revenir au cinéma, deux schémas générationnels s’impose, que je trouve assez passionnants. Le film d’horreur entièrement jubilatoire, basé sur le gore, le sursaut, l’étranger physique en fin de compte. C’est le film d’avant. Aujourd’hui, on a droit à toute une vague de films qui s’affranchissent de ces oripeaux, cherchant davantage le réel, les situations réelles, les négligences, la durée, la souffrance dans la durée, le futile, la peur de mourir installée dans un espace qui permet de la voir venir. C’est le nouveau plaisir du spectateur. Souffrir avec ses personnages. Le rire (la jubilation) n’est pas loin d’avoir disparu. L’identification ultime. Le masochisme pur.

     Voilà bien longtemps que je n’avais pas passé un moment aussi éprouvant physiquement devant un film de genre. Il faut sans doute remonter à Eden Lake. Deux ans. Je n’ai pas trouvé mieux. Et pourtant il n’y a aucune ressemblance entre les deux films, preuve que le genre a encore de belles heures devant lui. Frozen m’a rappelé deux autres films, mais j’en parlerai plus tard. Je voulais avant tout un peu parler de son déroulement, dire à quel point il est brillamment écrit, à quel point tout fonctionne à la perfection. Car meubler un film avec (presque) uniquement trois personnages, c’était pari risqué, surtout lorsque l’essentiel du décor est un télésiège en montagne. A première vue, on entre dans un film assez classique, une bande d’amis qui tente d’éviter le prix fort pour les remontées mécaniques en envoyant la jeune femme payer directement le type qui s’occupe d’une remontée, lui faire un semblant de gringue mensonger et s’en tirer avec trois tickets pour la journée. On peut se dire d’emblée, comme tous ces films qui commencent sur une insolence, un détournement des règles, que les personnages vont payer de leur vie cette petite marginalité fantaisiste. C’était le cas de la bande de potes dans Cold prey, le slasher norvégien, qui payaient leur choix de faire du hors-piste. Ce parti pris peut très rapidement offrir quelque chose de moraliste malheureusement. D’autant que lors de leur dernier passage, j’en reviens à Frozen, les jeunes forcent la fermeture du télésiège, pas méchamment, juste pour la déconne. Mais en fin de compte, le film s’éloigne tellement de ça par la suite que ce n’est jamais gênant. D’autant que cette situation que l’on attend tous, à savoir un télésiège arrêté, trois amis dessus en passe d’y être pour la nuit, n’est pas tant provoqué par cette petite bravade que par une négligence hyper probable. C’est sans doute ce qu’il y a de plus ardu dans Frozen, la négligence n’est pas rattrapable. Le type du télésiège laisse momentanément sa place à un collègue le temps de s’entretenir avec son patron pour un problème d’horaire, n’oubliant pas de lui dire que trois personnes doivent descendre. Plus tard, le type voit trois personnes descendre, il pense qu’ils sont les derniers, passe un coup de fil à son collègue probablement à l’autre bout du télésiège, qui dit être bon lui aussi, voyant débarquer le siège balai, avec ce fameux drapeau rouge accroché signalant qu’il n’y a plus personne derrière. Drapeau rouge que l’on a vu mettre, quelques minutes avant que nos trois amis embarquent quasi clandestinement. On ne peut pas faire plus probable. Il n’y a pour ainsi dire aucun espoir, si ce n’est celui de s’en sortir par ses propres moyens.

     Cette négligence cruelle et cette longue nuit qui s’ensuit rappellent évidemment un film : Open water. Film que j’avais aussi beaucoup aimé à sa sortie. Film qui valait essentiellement pour sa partie survie, éprouvante, où un couple de plongeurs, oublié par leur bateau, affrontait le large, d’abord tiraillé par les besoins primaires, bientôt attaqués par méduses et requins. Frozen est construit de la même manière. Affronter le froid et tout le reste. Puis affronter une meute de loups. Je trouve Frozen deux fois plus réussi. Ce n’est pas seulement dans l’efficacité du déroulement, c’est aussi dans l’écriture des dialogues entre ces trois personnages, que l’on apprend véritablement à connaître sur ce télésiège, suspendus une dizaine de mètres au-dessus du vide, entre neiges et sapins. Pour la nuit. Plus d’une heure du film se déroule là-dessus. C’est insoutenable. Il faut voir avec quelle maîtrise le cinéaste utilise le temps, la durée. Au début c’est presque du temps réel. Puis il y a quelques ellipses. Le temps réel revient dès l’instant qu’une décision importante est sur le point d’être prise. C’est le fait qu’elle soit sur le point d’être prise qui est important. Rien ne va trop vite dans Frozen. Tout est magnifiquement dosé. Tout ce que l’on voit. Sans parler des marques du temps. Gerçures, engelures, crampes, teint. Tout change progressivement. Ce froid d’abord absent, ou presque, puis menaçant, avec ces stalactites de glaces sous les sièges, puis la fonde le lendemain à l’arrivée du soleil. Les coups de soleil apparaissent, les gerçures s’amplifient. Je tiens à préciser que s’il n’y a toujours personne pour les secourir le lendemain c’est qu’ils ont choisi une petite station de ski old school (remontées vieillottes, domaine limité) ouverte le week-end, dont ils assuraient la fermeture dimanche au soir, avant qu’elle ne rouvre le vendredi soir suivant. Autant dire une éternité.

     Il y a une attention toute particulière accordée à la machine. Au mécanisme. Les premiers plans du film sont d’ailleurs ceux d’un câble de ce télésiège, d’une roue, d’un siège, d’un pylône. Un mécanisme pas très discret. Que l’on entendra bientôt plus. Faire balancer un siège, soulever la barre de sécurité, c’est le stade de l’amusement, on est tous passé par là, il n’y a rien d’autre à faire sur un télésiège, qui plus est lorsqu’il est arrêté. Nos trois amis passeront aussi par cette étape. Sauf que plus tard il ne s’agira plus de s’amuser à lever la barre, il s’agira de la lever pour envisager de sauter. Il ne s’agira plus de balancer la nacelle mais de l’escalader afin d’envisager une descente par les câbles. Je ne préfère même pas évoquer les loups. Ce film est la plus éprouvante expérience cinématographique d’agonie lente rencontrée depuis Gerry. Le froid a remplacé la chaleur, il transforme les corps, les comportements. L’espace dévore à petit feu. J’en suis sorti exténué, complètement anéanti. Chef d’œuvre !

Cold Prey (Fritt Vilt) – Roar Uthaug – 2010

Cold Prey (Fritt Vilt) - Roar Uthaug - 2010 dans Roar Uthaug Coldprey3Hors-pistes.     

   5.5   Slasher classique de bonne facture. Si le début n’est pas très intéressant, à savoir tenter de faire exister un groupe, mission en l’occurrence bâclée, la suite des événements, donc l’action, se révèle bien supérieure à son introduction. Car au début, rien ne semble judicieux. Il faut aller vite. Il faut que le montage soit hyper syncopé – affreux générique. Les personnages ont tous trois pauvres mots à dire. Il y a deux couples, un qui se roule des galoches, un couple tout récent alors, et un autre plus distant, à l’avant de la voiture, façon papa et maman. Mouais. Et un dernier gars, cinquième roue du carrosse, accessoirement aussi petit rigolo de la bande, qui n’a pas fini d’être un boulet. En effet, en plus de porter la chandelle, il se retrouve à la traîne lors de l’escalade du massif – il faut rappeler que le groupe a choisi de s’éloigner des pistes, afin d’éviter la foule mais aussi pour faire de l’extrême – avant d’être le personnage pivot du film puisque c’est lui qui essuie une violente chute et se casse une jambe. A cause de lui, le groupe est condamné à passer une nuit dans cette espèce de refuge/hôtel perdu dans la montagne, parce qu’il n’y a plus de réseau. Solution de facilité. Mais très mauvais choix, on s’en doute, c’est gros comme le nez au milieu de la figure. Le film restera d’ailleurs très prévisible jusqu’au bout, ne laissant que très peu d’envergure mystérieuse après une première séquence sous forme de flash-back laissant imaginer l’identité de notre futur tueur au piolet. Malgré tout, la tension s’intensifie. Et les couloirs de cet hôtel lugubre vont être d’un bon secours à la qualité du film qui aurait sans cela pu en pâtir. Le cinéaste norvégien passe alors à ce qu’il fait de mieux, l’aspect survival de son film. Chaque snowboarder va y passer un par un, jusqu’à un final efficace mais décevant. Je suis toujours surpris par les motivations du tueur, essentiellement lorsque rien ne nous est dit. Le tueur ici c’est un peu Jason de Vendredi 13. Il n’y aura rien d’autre que ce traumatisme trouble de l’enfance, vraiment révélé à la toute fin du film comme un bon twist, mais pas folichon non plus, ni même vraiment utile finalement. Le tueur a une facilité à se débarrasser de la plupart de ses victimes mais il en laisse deux en vie. C’est assez surprenant. Le premier il l’assomme seulement. La seconde on ne sait pas trop. Toujours est-il qu’avant de la jeter dans la crevasse il aurait quand même pu vérifier si elle était bien morte. Il y a de grandes facilités scénaristiques dans Cold prey mais ça fonctionne relativement bien, parce que le rythme est soutenu, c’est quasiment du non-stop, et surtout encore une fois, parce que le réalisateur a su filmer le lieu, ses pièces, ses recoins, ses bruits. C’est classique, très modèle américain, pas du luxe, parfois un peu limité au niveau de l’écriture mais ça se regarde bien, ça fou quand même bien les jetons d’ailleurs. Bonne surprise donc.

Les émotifs anonymes – Jean-Pierre Améris – 2010

Les émotifs anonymes - Jean-Pierre Améris - 2010 dans Jean-Pierre Améris

Cœur fondant.    

   6.5   Par toute une série de coïncidences délicieuses et improbables, Angélique (émotive) et Jean-René (émotif), vont être amenés à travailler ensemble, apprendre à se connaître, tomber amoureux l’un de l’autre. Mais comme le dit si bien Angélique « On est tous les deux émotifs on court à la catastrophe » pourtant le film met du temps à atteindre cette situation, à savoir le fait que tous deux savent qu’ils sont tous deux émotifs. Vraiment émotifs. S’il ne peut avoir de relations avec les femmes parce que dit-il, elles le terrorisent, il n’est pas non plus le plus à l’aise des hommes au travail, tenant une chocolaterie au bord de la faillite, ne sachant comment renouveler ses gammes de produits, ne sachant comment mobiliser sa petite troupe qui fabrique inlassablement le même mauvais chocolat de plus en plus invendable. Quand Angélique arrive pour l’entretien qui lui permettrait d’entrer, croit-elle, comme chocolatière, alors qu’il s’agit carrément d’un poste commercial, nos deux émotifs sont tous deux dans un état infernal, proche du coma. L’ermite qui travaillait dans la chocolaterie Mercier, et fabriquait secrètement, dit-on, la marchandise du vieil homme, décédé récemment, n’est autre que la jeune femme, spécialiste du chocolat depuis toujours mais qui n’a jamais pu démontrer véritablement ses talents, fuyant chaque examen et même la reconnaissance tant recherchée de la fabrication Mercier, tant elle a peur qu’on la regarde. Quand le dernier client de la chocolaterie manifestera lui aussi son mécontentement, Angélique n’aura d’autre choix que de prendre les choses en main pour la sauver. Même si le film est fait de nombreuses surprises, petits instants de bonheur jusqu’à la fin, il faut se rendre à l’évidence, il est assez simple de deviner la suite des évènements, étant données les situations de chacun. Mais c’est dans les relations personnelles, intimes que le cinéaste trouve une sensibilité, un bel équilibre. Dans sa manière de travailler les quiproquos, les postures, les dialogues, les situations gênantes. J’ai énormément pensé au cinéma de Emmanuel Mouret. Il m’a fait le même genre d’effet. Un vrai délice. Une comédie intelligente. J’ai aussi un peu pensé au cinéma de Demy, pas nécessairement parce qu’il arrive aux personnages de chanter, généralement pour fuir un mal aise, pour rechercher une sérénité qui les laisse tant de fois tomber, mais simplement dans le déroulement, la légèreté, la grâce avec laquelle Améris parle de ses personnages et sa façon de les aimer. C’est fin, beau comme tout, extrêmement bien joué – Poelvoorde est incroyable – et ça sent le chocolat dans chaque plan, et puis quelque part ça évoque l’émotif qu’il y a en chacun de nous – en gros ça me parle énormément – Améris le traitant délicieusement sans tomber dans une emphase insupportable.

Dikkenek – Olivier Van Hoofstadt – 2006

Dikkenek   1.0   En plus d’être un très mauvais film, c’est rarement drôle. Encore un film qui tente d’appuyer chacun de ses sketch-séquences dans un semblant d’histoire absolument sans intérêt. Passons là-dessus, si le film était désopilant ce serait toujours ça de gagner. Même pas. Il y a bien quelques moments qui font sourire, essentiellement lorsque François Damiens est dans le plan. Il en fait des caisses mais il le fait bien. Les autres en font aussi des tonnes mais mal. Foresti la première. Quant aux autres rôles féminins, Mélanie Laurent fait du Mélanie Laurent, de toute façon elle est toujours la même, dans une comédie belge comme chez Lioret, Audiard ou Tarantino. Mais elle est jolie alors ça passe. Pareil pour Cotillard, mimi tout plein là-dedans, mais c’est tout. En définitive ça ne va jamais au-delà du gag lourd et vulgaire, on s’ennuie relativement vite, c’est assez laid et surtout sans aucune épaisseur. Bref, je n’aime pas du tout.

La BM du seigneur – Jean-Charles Hue – 2011

La BM du seigneur - Jean-Charles Hue - 2011 dans Jean-Charles Hue

Terrain vague.   

   5.0   Le problème ne vient pas du sujet ni de l’interprétation. Cette idée de présentation d’un monde, sa faculté de s’auto détruire en permanence, ses liens tenaces, le respect entre chacun, la place de la femme, la glorification du combat tout cela est très bien écrit, d’autant que le cinéaste opère un glissement à un moment dans le film lui conférant une aura fantastique, spirituelle pas négligeable. Un envoyé du ciel, un ange. Et ce personnage attendrissant – un peu facile que ça tombe sur lui – que l’on suit depuis le départ, qui est probablement le grand voleur de BM de la bande ce qui ne l’empêche pas de tenter de préserver l’entente au sein de la famille. Ce sont les grandes questions qu’ils se posent une fois qu’il a vu cet ange, qui sont intéressantes. Le film laisse un personnage, auparavant si sûr de lui, si intelligent dans l’impasse la plus totale, comme si tout s’était écroulé autour de lui. Il doit garder un chien blanc. Et quelque chose au fond de lui le tiraille, il sent qu’il doit saisir la possibilité de changer – il est aussi évoquée une vieille maladie qui aurait failli le tuer par le passé. Bref, tout ça pour dire que Jean-Charles Hue a les moyens de faire exister un groupe, qui vit en marge des coutumes occidentales, dans un quotidien continuellement violent, la recherche perpétuelle d’une liberté qu’ils ne peuvent véritablement s’offrir – comme c’est le cas de ce jeune homme avec la BM dans la première séquence du film. Tout pourrait marcher, surtout que le film, dans son idée de glissement sort de ces voyages/utopies gitans Kusturica/Gatlif approved. Mais voilà, plus rien ne marche parce que sa mise en scène est tout bonnement atroce. Quand il ne fait pas de gros plans sur des visages, des corps transpirants, des pneus sur le bitume, le cinéaste tente des petits placements fantaisistes à travers un verre, derrière un grillage, entre les buissons, le reflet d’une flaque – et j’en passe – procédés tellement utilisés qu’ils en deviennent à premier abord lassants avant d’en être exaspérants. Hue cherche sans doute une émotion dans le plan, plutôt le placement, il cherche la poésie dans les éléments, il le fait seulement mal. Je ne vois aucun intérêt de filmer de cette façon là, sinon de se plaire à faire de la pose tout en se fichant royalement de son sujet. Le film n’était pas loin d’être insupportable. Dommage encore une fois car il y a bien de grandes qualités autres, malheureusement donc, complètement sous-exploitées.

Propriété interdite – Hélène Angel – 2011

proprieteDevenir gris.

     7.0   C’est incroyable qu’en partant d’un postulat simple de film d’épouvante – parce qu’au départ on pense qu’il est seulement ça – Hélène Angel ait si bien réussi à faire évoluer son film, les personnages de son film et le climat qui y règne. On dirait presque du Polanski. Mais la cinéaste prend le risque d’opérer un virage brutal vers la moitié de son film, et surtout ne s’arrête pas en si bon chemin. Car la fin est ahurissante.

     Claire et Benoît arrivent à la campagne pour vendre la maison dans laquelle le frère de Claire s’est récemment suicidé. On apprend qu’il s’agit de leur maison d’enfance. En pleine forêt. Ses souvenirs les plus anciens, les plus forts, essentiellement ceux liés à son frère, sont là, désormais continuellement sous ses yeux, autour d’elle. Une porte si émouvante qui mène à une chambre commune. Un carton sur lequel est écrit le nom de son frère. Et probablement d’autres trucs, plus invisibles. Tandis que Benoît, trop occupé par son business perso, des affaires de bourses, immobilières, on ne sait pas vraiment, s’absente à plusieurs reprises de cette maison, jusqu’à y laisser sa femme y passer des nuits entièrement seule, avec des évènements, des bruits, des cauchemars de plus en plus étranges. Sa lâcheté n’a d’égal que son pouvoir à occulter la vérité, ou du moins sa non-attention envers Claire, dont l’angoisse grandit de jour en jour. Ainsi, quand il découvre un trou dans la cave qui mène au jardin, il est probablement inquiet, mais ne panique pas, et surtout n’en parle pas. Il le bouche, puis il fuit à nouveau. Sauf que Claire le découvrira aussi, mais par le jardin. Tout s’accélère alors. Je préfère ne pas trop en dire, mais Propriété interdite devient un autre film. Le revirement est flagrant au niveau du couple d’ailleurs. C’était elle qui inquiétait, dans sa façon de se comporter avec ce frère mort, parce qu’aussi on la suivait jusque dans ses cauchemars, d’emblée elle paraît déséquilibrée. Un peu comme leur couple cela dit, que l’on ne sent pas en symbiose, dès la première scène. Il ne s’émiette pas vraiment au fur et à mesure de l’avancée du film, il donne l’impression d’être déjà à moitié en miette dès l’arrivée en voiture. Ils ne sont presque jamais ensemble. Il passe par devant, elle par derrière. Il ouvre un volet, elle n’est pas loin de le prendre dans la figure. Il veut se débarrasser de tout, pas elle. Elle est boulimique il ne semble pas le savoir. Jusque dans les cadrages on observe cette distance, Hélène Angel enfermant le visage de son personnage féminin un moment donné dans la fenêtre d’une vieille bâche déchirée, éloignant sans cesse Benoît avec un portable continuellement greffé à l’oreille. C’est en fait lui qui devient par la suite celui que l’on craint. C’est lui qui a une attitude étrange dans la chambre lorsque l’on entend Fade to grey de Visage (chanson probablement associée à l’enfance de Claire), c’est lui qui se met à faire sursauter Claire, tandis qu’au début c’était bien entendu le contraire. Nous étions au début du côté du couple, leurs peurs, sans doute le seul lien commun qui leur restait. Lien détruit lorsque l’une découvre la vérité et pas l’autre. A cet instant nous entrons dans le réel avec elle, tandis qu’il reste toujours de l’autre côté, les doutes, les angoisses. Ce glissement est remarquable. Il est remarquable aussi parce qu’il ne s’assoit pas sur ce qu’il devient, il se termine dans un carnage absolu, dans un état de folie inattendu.

     Dans la deuxième partie donc, si le film perd en angoisse pure, on peut même aller jusqu’à dire qu’il perd son statut de film d’épouvante, il est moins Shining, il est moins Répulsion, et bien il gagne en originalité, en mystère, en retournement des choses, en intelligence, il devient politique, violent. Ce n’est plus la même angoisse. C’est devenu Chabrolien, celui de La cérémonie. Ce n’est plus l’intrusion du corps étranger qui est menaçant mais le couple en lui-même, ces personnages fragiles qui perdent leurs moyens, au bord de l’implosion quand leurs idéologies s’affrontent. Mais il y a surtout beaucoup de folie. Les personnages ne maîtrisent plus rien. Propriété interdite devient vraiment fou. Fou et intelligent. Déstabilisant. Passionnant.

     C’est aussi le mélange des genres qui donne au film toute sa singularité. Cette classe avec laquelle Hélène Angel cherche à faire un film qui fait peur, l’entraîne vers des rivages politiques, et arrive à y glisser des petites touches très drôles, inattendues dans ce type de film. Le mari qui décroche son téléphone lorsqu’il rampe dans le trou étroit. Les bottes surprenantes de la jeune femme lorsqu’elle fait le ménage. Les motifs improbables de la moquette à l’étage. L’amas de sacs poubelles. Et plein de petites choses éparpillées dans le même style, très subtiles et franchement presque désopilantes.

     Quant à Hélène Angel, qui était là après la projection pour débattre autour de son film, c’est quelqu’un de passionnant et de passionnée. Elle a avoué être ravie que son film divise tant. Elle est en très fière aussi. Elle n’a donné aucun élément sur son prochain film, lequel est encore au stade de l’écriture. Et elle a annoncé la bonne nouvelle que son film sortirait en dvd en juin, en même temps que son tout premier film Peau d’homme cœur de bête. J’ai hâte !

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