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Archives pour 2 février, 2011

Memory Lane – Mikhaël Hers – 2010

03_memorylaneSpleen et idéal.

   10.0   En évitant les poncifs nostalgiques et mélancoliques inhérents aux films du genre, Memory Lane observe le chemin parcouru, scrute les détails qui ont fait le passé, interroge le présent et semble être doté d’un futur entièrement flou. Memory Lane, ce sont les souvenirs dans les souvenirs. Une douce voix off laisse entendre en début de film qu’il s’agit d’un été, il y a trois mois, un été inouï, hors du temps, où une bande d’amis s’étaient retrouvés. Elle reviendra par petites touches discrètes par moment, parcimonieuse, jamais dans l’appui, elle ira se confondre dans l’image et son ambiance.

     Un petit groupe d’amis se retrouvent alors en banlieue parisienne, dans les Hauts-de-Seine, lieu qui les a vu grandir, certains y habitent toujours, d’autres sont en province, certains tâtonnent encore quand d’autres ont fait des enfants, et deux sœurs sont aussi revenues pour voir leur père qui se bat contre une tumeur, une affaire de mois. La voix-off c’est Vincent. Il loge provisoirement chez sa mère, gardienne de son ancien collège. Tout le film semble être habité par cette idée de retour, comme lorsque l’on ressent chaque événement, par la force d’un lieu, comme s’il était d’hier.

     Le film dépeint très bien ces sentiments qui nous tiraillent lorsqu’on regarde ce qu’il y a derrière nous, quand on se rend compte qu’un passé si proche est déjà si loin. Là où Hers est très fort c’est qu’au-delà de la charge que peut contenir chaque séquence, dans sa puissance mémorielle et symbolique, il porte un regard à la fois doux et rempli de finesse, parfois même aussi très drôle. La scène de la salle de classe en est une belle illustration. Vincent qui se rappelle avoir eu tel professeur d’allemand, qui louchait, et lui assis à cette place ci sur la droite, ne savait pas que le professeur s’adressait à lui à cause de son strabisme. Les personnages sont parfois moqueurs dans Memory Lane. Comme s’ils cherchaient à se protéger. D’une soirée qu’ils n’apprivoisent pas, de lointains camarades de classe qu’ils n’ont pas vu grandir. On se moque d’un style de musique, d’un look ou d’une manière de prof. Il y a tellement de changement sous leurs yeux, qu’ils refusent que tout se mette à changer. Ils cherchent à revivre cette même jeunesse, exactement comme elle l’était, intacte. En témoigne cette très belle scène où on les voit ados traverser un parc, franchir une barrière, atterrir sur un grand parvis engazonné et taper dans un ballon. Scène identique qu’ils vont reproduire pendant leur retrouvaille.

     Memory Lane est aussi traversé de quelques séquences individuelles, indépendantes, très fortes. Un repas entre une  mère et son fils, mère jouée par Marie Rivière, dans un rôle proche de celui qu’elle jouait dans Le rayon vert de Rohmer, mais vingt-cinq ans plus tard, la confusion en moins, la sagesse en plus, l’isolement toujours. C’est très touchant de la retrouver dans ce film là. Une balade entre une fille et son père malade, dans un parc, en se remémorant le passé, jusque sur ce banc où elle lui dit qu’elle l’aime. Une fusion entre deux corps, qui jusque là se frôlaient, s’attendrissaient (la scène des mains est à ce titre incroyable) et vont s’entrechoquer silencieusement, dans une séquence sensuelle et charnelle, complètement détachée. Les errances d’un garçon qui semble arriver à saturation, scène qui trouvera une apothéose déchirante plus tard, dans une discussion miraculeuse. Parfois ce n’est pas grand chose : Une femme qui marche avec sa fille et éclate d’un coup en sanglot, une discussion anodine dans une cour de récré, une autre dans un restaurant où une femme questionne ses filles sur les vertus de la marijuana.

     Dans Memory Lane la narration est distordue. Certaines séquences réapparaissent une seconde fois ou se reproduisent similairement sous un autre temps. D’autres se détachent par l’envoûtement des lieux désertés, tel ce long travelling sur les berges de la seine et ces plans automnaux d’une forêt dépeuplée. Pendant une scène festive, ou plus tard pendant une partie de football improvisée, Hers use du ralenti, comme pour intégrer la séquence dans un détachement onirique intouchable, pour appuyer sur un moment qui occupe la mémoire beaucoup plus qu’un autre, scènes en écho à certaines du dernier film de Xavier Dolan, Les amours imaginaires.

     Finalement je le vois davantage comme un film onirique et charnel plutôt que naturaliste. Il est décousu, saisit des instants à la volée, en ce sens il me ferait presque penser au cinéma de Claire Denis. Après il est impensable de ne pas citer Rohmer, Hers le citant comme un cinéaste très influent, tout particulièrement L’ami de mon amie, et même s’il se veut moins ludique, s’il se repose moins sur de longues séquences dialoguées, une géographie filmée dans la durée, il y a tout de même une attention forte accordée aux lieux, en l’occurrence une piscine municipale, un parc, une cour d’école, une médiathèque, autant de rapprochements évidents avec le cinéma Rohmérien.

     Il y a deux choses qui participent à la réussite du film. L’interprétation c’est évident, tous les acteurs sont remarquables, Thibault Vinçon d’abord, que l’on avait déjà adoré dans Les amitiés maléfiques il y a 5 ans. Et bien entendu le parti pris du naturalisme. Pas celui de l’autre excellent film français naturaliste sorti cette année, La vie au ranch, mais un naturalisme doux/amer, une attention portée à tout ce qui fait et meuble le silence. Car Memory Lane est habité d’une extrême tendresse, d’un silence hypnotique. Le cinéaste s’intéresse aux petits riens, et donc à une multitude de choses. Les plus infimes gestes, les regards dans le vide (ces regards où il se passe tant de choses), quelques larmes, quelques mots. Mais ce n’est pas un film de parole. C’est d’ailleurs un film qui parle peu et en est conscient. Vincent dira dans une de ces voix-off alors qu’il s’adresse à Raphaël qu’il regrette de ne pas avoir suffisamment parlé avec lui. C’est vrai qu’il y a un groupe sous nos yeux, qui partage des choses de façon incroyable, mais étrangement très peu de mots, probablement qu’ils sont trop occupés par ce qu’ils voient, ce qu’ils vivent, revivent, probablement que ça ne sort plus de façon insouciante comme avant.

     Il y a autre chose que je trouve être une idée lumineuse dans le film, c’est le choix de ne jamais montrer le groupe dans son entier. Finalement c’est vrai, un groupe d’amis ne se voit (presque) jamais tous ensemble. Du coup ça lui offre un mystère supplémentaire. Car c’est un film très flou, qui dit très peu sur les motivations. La région, la ville, ces lieux connus sont devenus un vaste terrain de retrouvaille et de souvenir qu’il est impossible de pouvoir en parler, voilà pourquoi le film de Hers est si suspendu, si silencieux. Tout est fait avec finesse et sensualité. Il y a une telle douceur pré-automnale qui s’en dégage c’est magnifique. Et même si l’on peut regretter les quelques notes musicales qui tentent d’accentuer le spleen, ça n’atténue en rien la puissance et la douceur de ces instants bouleversants.

     Comme le dit Luc Moullet, je pense que Mikhaël Hers est le grand cinéaste français de demain. S’il arrive à s’affranchir de la puissance émotionnelle de ce premier film, ça va sans doute être quelque chose. Mikhaël Hers donne l’impression de filmer le groupe durant un été, sans donner de suite logique sur certains évènements. On en saura rien de l’après cet été. Il a filmé un quotidien pendant un temps, les petites et grandes choses qui s’y passent mais on n’apprendra rien de plus de cette dépression existentielle qui touche Raphaël par exemple, ni même des suites de cette histoire d’amour, et rien non plus concernant l’issue de cette maladie. Ce serait un autre film. Comme dans La femme de l’aviateur, Rohmer ne nous disait rien une fois que le jeune garçon avait posté cette lettre si importante, ou comme dans Us go home, Claire Denis ne disait rien de ce qui se passerait après cette nuit si singulière et importante sur ces trois personnages qui se cherchent.

     Et de cette bulle générale dans laquelle nous demande d’entrer le cinéaste, viennent des scènes inquiétantes de l’extérieur qui pourrait perturber cette bulle, mais n’attire simplement que regards, ce vieil homme qui boite dans la rue, des skinheads qui courent après un bus, un voleur dans un magasin. La bulle est plus forte. Vincent dit en début de film « ça fait déjà trois mois depuis la fin de ce drôle d’été ». Un été si particulier qui s’apparenterait à la fin d’un cycle. Tout a ressurgit puissance dix. Puis l’été est passé.

Le quattro volte – Michelangelo Frammartino – 2010

Le quattro volte - Michelangelo Frammartino - 2010 dans Michelangelo Frammartino le-quattro-volte

Le cercle.

     7.5   C’est un film sans hiérarchie, un film sur le passage, ou plutôt un film de déplacement puisqu’il n’est pas question de relais, simplement d’une harmonie des éléments dans une même nature. C’est dans un premier temps l’homme, un vieux berger, qui vit ses dernières heures, que l’on accompagne du lever au coucher, dans son déplacement quotidien dans les ruelles de Calabre, seul lorsqu’il va chercher une solution magique (à base de poussière d’église) chez la bonne du curé en échange d’un peu de lait, ou bien dans les vallons boisés accompagné de son chien et de ses chèvres. C’est une scène fabuleuse qui va précipiter un glissement. Un plan qui revient souvent depuis le début du film où on y voit à la fois le troupeau dans son enclos, la maison du vieil homme et les rues du village qui s’engouffrent en hauteur, et une route dont on ne sait rien, qui semble descendre derrière nous, peut-être au cœur des arbres, un ravin, une rivière. Cette fois le plan va durer beaucoup plus longtemps. Et de manière assez magique, très drôle aussi, il y a comme une chorégraphie qui va naître et s’embellir. Une voiture d’où en sort des romains, vêtus de leurs parures d’époque comme s’ils s’étaient trompés de vingt siècles. Plus tard une sorte de défilé cérémonial qui apparaît avant que l’on y voit la célébration de la procession du christ portant sa croix. Par un savant travelling panoramique, on y découvre d’une part le groupe en marche vers une hauteur indéterminée où sont disposés les croix de bois comme sur Golgotha. Le travelling, en se répétant nous fait à la fois découvrir une scène burlesque de la voiture qui s’en va se crasher (après que le chien ait retiré une cale) dans l’enclos laissant les chèvres investir le village, pendant que de l’autre côté la procession atteint son but. L’un des plus beaux plan-séquences de l’année, qui avant d’être impressionnant est à la fois drôle et inventif. Le glissement intervient dès cette pirouette. L’homme se meurt, place aux animaux. Les chèvres envahissent le village, les rues, les maisons, comme précédemment les escargots avaient réussi à s’extirper de cette marmite mal fermée. Puis plus tard, un chevreau naît. On le suit presque pas à pas, en tout cas dans sa tentative de pas. C’est très beau. Puis les animaux regardent les montagnes, on voit alors des plans de montagnes. Une chèvre lève les yeux vers le ciel, on y voit un plan du ciel. L’animal est devenu personnage central. Et quand notre chevreau va se perdre dans l’immensité de la forêt c’est sous un haut sapin qu’il trouvera refuge. Nouveau glissement. Le sapin éclipse le reste. Les saisons défilent, il accueille la neige, puis les rayons du soleil. Un grand vent se met à souffler, il est venu le temps de sa coupe. Il devient alors l’objet d’un rituel, la fête de la Pita L’homme est toujours présent mais relégué au second plan, il n’est qu’initiateur de quelque chose, comme l’était le chien quelques temps auparavant. L’arbre est hissé, presque nu, vers le ciel. On le grimpe puis on le laisse s’écrouler. Il est coupé en morceau. Et s’apprête à devenir charbon de bois. Nouveau glissement opéré puisque Frammartino filme alors le destin d’une charbonnière. Tout est comme un cercle, mais pas au sens de la répétition, plutôt comme osmose générale, au sens il n’y a qu’un esprit invisible comme guide. Quatre règnes : l’humain, l’animal, le végétal, le minéral. Plus qu’un film divisé en parties, c’est un film glissé, où un règne ressort par moment plus qu’un autre, mais où tous est lié, où tout a une unité, une dignité commune. Rien ne vit indépendamment. Ce film est un poème. Sans aucun dialogue. Et c’est pourtant un film d’une grande simplicité, très facile à suivre. D’avoir opéré le déplacement dans cet ordre là n’est probablement pas étranger à ce sentiment. C’est aussi un beau travail sonore, des toussotements du vieil homme aux cris des bêtes, du vent qui caresse les arbres aux sons des charbonnières (présents assez régulièrement durant tout le film), jusqu’aux claquements de cette cheminée vide qui s’arrêtent lorsque la mince fumée finale en sort.


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