Devenir gris.
7.0 C’est incroyable qu’en partant d’un postulat simple de film d’épouvante – parce qu’au départ on pense qu’il est seulement ça – Hélène Angel ait si bien réussi à faire évoluer son film, les personnages de son film et le climat qui y règne. On dirait presque du Polanski. Mais la cinéaste prend le risque d’opérer un virage brutal vers la moitié de son film, et surtout ne s’arrête pas en si bon chemin. Car la fin est ahurissante.
Claire et Benoît arrivent à la campagne pour vendre la maison dans laquelle le frère de Claire s’est récemment suicidé. On apprend qu’il s’agit de leur maison d’enfance. En pleine forêt. Ses souvenirs les plus anciens, les plus forts, essentiellement ceux liés à son frère, sont là, désormais continuellement sous ses yeux, autour d’elle. Une porte si émouvante qui mène à une chambre commune. Un carton sur lequel est écrit le nom de son frère. Et probablement d’autres trucs, plus invisibles. Tandis que Benoît, trop occupé par son business perso, des affaires de bourses, immobilières, on ne sait pas vraiment, s’absente à plusieurs reprises de cette maison, jusqu’à y laisser sa femme y passer des nuits entièrement seule, avec des évènements, des bruits, des cauchemars de plus en plus étranges. Sa lâcheté n’a d’égal que son pouvoir à occulter la vérité, ou du moins sa non-attention envers Claire, dont l’angoisse grandit de jour en jour. Ainsi, quand il découvre un trou dans la cave qui mène au jardin, il est probablement inquiet, mais ne panique pas, et surtout n’en parle pas. Il le bouche, puis il fuit à nouveau. Sauf que Claire le découvrira aussi, mais par le jardin. Tout s’accélère alors. Je préfère ne pas trop en dire, mais Propriété interdite devient un autre film. Le revirement est flagrant au niveau du couple d’ailleurs. C’était elle qui inquiétait, dans sa façon de se comporter avec ce frère mort, parce qu’aussi on la suivait jusque dans ses cauchemars, d’emblée elle paraît déséquilibrée. Un peu comme leur couple cela dit, que l’on ne sent pas en symbiose, dès la première scène. Il ne s’émiette pas vraiment au fur et à mesure de l’avancée du film, il donne l’impression d’être déjà à moitié en miette dès l’arrivée en voiture. Ils ne sont presque jamais ensemble. Il passe par devant, elle par derrière. Il ouvre un volet, elle n’est pas loin de le prendre dans la figure. Il veut se débarrasser de tout, pas elle. Elle est boulimique il ne semble pas le savoir. Jusque dans les cadrages on observe cette distance, Hélène Angel enfermant le visage de son personnage féminin un moment donné dans la fenêtre d’une vieille bâche déchirée, éloignant sans cesse Benoît avec un portable continuellement greffé à l’oreille. C’est en fait lui qui devient par la suite celui que l’on craint. C’est lui qui a une attitude étrange dans la chambre lorsque l’on entend Fade to grey de Visage (chanson probablement associée à l’enfance de Claire), c’est lui qui se met à faire sursauter Claire, tandis qu’au début c’était bien entendu le contraire. Nous étions au début du côté du couple, leurs peurs, sans doute le seul lien commun qui leur restait. Lien détruit lorsque l’une découvre la vérité et pas l’autre. A cet instant nous entrons dans le réel avec elle, tandis qu’il reste toujours de l’autre côté, les doutes, les angoisses. Ce glissement est remarquable. Il est remarquable aussi parce qu’il ne s’assoit pas sur ce qu’il devient, il se termine dans un carnage absolu, dans un état de folie inattendu.
Dans la deuxième partie donc, si le film perd en angoisse pure, on peut même aller jusqu’à dire qu’il perd son statut de film d’épouvante, il est moins Shining, il est moins Répulsion, et bien il gagne en originalité, en mystère, en retournement des choses, en intelligence, il devient politique, violent. Ce n’est plus la même angoisse. C’est devenu Chabrolien, celui de La cérémonie. Ce n’est plus l’intrusion du corps étranger qui est menaçant mais le couple en lui-même, ces personnages fragiles qui perdent leurs moyens, au bord de l’implosion quand leurs idéologies s’affrontent. Mais il y a surtout beaucoup de folie. Les personnages ne maîtrisent plus rien. Propriété interdite devient vraiment fou. Fou et intelligent. Déstabilisant. Passionnant.
C’est aussi le mélange des genres qui donne au film toute sa singularité. Cette classe avec laquelle Hélène Angel cherche à faire un film qui fait peur, l’entraîne vers des rivages politiques, et arrive à y glisser des petites touches très drôles, inattendues dans ce type de film. Le mari qui décroche son téléphone lorsqu’il rampe dans le trou étroit. Les bottes surprenantes de la jeune femme lorsqu’elle fait le ménage. Les motifs improbables de la moquette à l’étage. L’amas de sacs poubelles. Et plein de petites choses éparpillées dans le même style, très subtiles et franchement presque désopilantes.
Quant à Hélène Angel, qui était là après la projection pour débattre autour de son film, c’est quelqu’un de passionnant et de passionnée. Elle a avoué être ravie que son film divise tant. Elle est en très fière aussi. Elle n’a donné aucun élément sur son prochain film, lequel est encore au stade de l’écriture. Et elle a annoncé la bonne nouvelle que son film sortirait en dvd en juin, en même temps que son tout premier film Peau d’homme cœur de bête. J’ai hâte !
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