10.0 Le réalisme du film ne se situe par forcément dans le déroulement de l’histoire, sorte de calvaire initiatique salutaire d’un enfant en école primaire, mais dans l’unité de lieu offert systématiquement par le cinéaste iranien. Une salle de classe ouvre et clôt le film. Entre ces deux séquences, un après-midi et une soirée en compagnie de Ahmad. L’extérieur de sa maison, puis ses va-et-vient incessants entre son village et celui vers lequel il doit trouver son ami afin de lui rapporter son cahier de devoirs, qu’il a embarqué par mégarde. C’est que Mohamad Reza, Ahmad et leurs camarades ont un professeur à cheval sur la discipline. S’ils doivent rester silencieux pendant toute la durée du cours, ils doivent aussi avoir fait leurs devoirs de la veille, que le professeur vérifie chaque jour en y apposant une note, mais surtout ils doivent faire ce devoir dans leur cahier, pas sur une feuille volante. Ce matin-là, Mohamad a dû une nouvelle fois rendre ce devoir sur une feuille puisqu’un élève lui avait embarqué son cahier. Aucune excuse ne lui est accordée, son devoir est déchiré – c’est déjà la troisième fois, lui répète le professeur – et Mohamad s’effondre en larmes, sous les yeux compatissant de son voisin de table Ahmad. Tout est déjà vécu à hauteur d’enfant, leur incompréhension, leur tristesse. L’adulte restera durant tout le film comme celui qui ne comprend ni ne cherche à comprendre l’enfant, d’une manière générale. Cette première séquence, qui rappelle quelque peu une scène de La maison des bois de Maurice Pialat, est très touchante, justement car l’on sait, en tant que spectateur que tous ont quelque part raison, Kiarostami ne fait pas non plus de ce professeur un monstre. Il est sévère mais semble juste. Ne pas stigmatiser le rôle de l’adulte, qui intervient malgré tout comme le grand méchant, puisqu’il fait pleurer le pauvre Mohamad, Kiarostami l’a très bien réussi. Mais ce qu’il réussit de mieux c’est l’impact qu’à cet événement et la menace qui s’ensuit – le renvoi de l’école à la prochaine erreur de l’élève – sur les comportements de ces élèves. Car un enfant prend ce genre de considérations au premier degré, et on n’imagine pas le cauchemar intérieur qu’a dû vivre Mohamad jusqu’au lendemain…
La suite du film est entièrement centrée sur le petit Ahmad. On le voit rentrer chez lui, s’apprêter à faire ses devoirs avant que sa mère ne lui demande tout un tas de tâches quotidiennes l’empêchant de travailler. Quand il sort enfin les affaires de son sac, pressé par son ami qui lui montre clairement qu’il peut aller jouer parce qu’il a fini ses devoirs – ce que la mère d’Ahmad ne manquera pas de lui faire remarquer – le garçon découvre qu’il a embarqué, en plus de son propre cahier, celui de son voisin de classe, à savoir le petit Mohamad Reza, qui souffre de cet ultimatum lancé par le professeur quelques heures plus tôt. Ahmad est complètement perdu, il ne sait comment faire. D’autant que lorsqu’il en parle à sa mère, elle est d’abord indifférente avant de lui faire comprendre que l’endroit où habite son camarade, est beaucoup trop loin, que le mieux c’est de lui rendre son cahier demain. En attendant, il ferait mieux d’aller chercher une baguette. Ce n’est pas encore cette fois-ci que Ahmad fera ses devoirs donc. Mais dans l’obligation d’aller acheter du pain, il va saisir l’occasion d’aller à Poshteh, emmenant le cahier de son camarade sous son aile. Et le voilà en train de courir de toutes ses forces, quittant son village Koker, sous les yeux de son grand-père dubitatif, sillonnant un chemin désert en forme de Z, des champs, une forêt, puis le voilà arrivé dans un village mais on lui dit que Poshteh est un poil plus loin. Puis à Poshteh on lui dit alors que le village comporte plusieurs quartiers. Ahmad court toujours, demande son chemin, questionne les habitants sur l’éventuelle connaissance d’un Mohamad Reza Nematsadeh. En vain.
Kiarostami multiplie alors les péripéties tout en conservant son unité de lieu. Koker ou Poshteh. On sent que Ahmad tourne en rond. Mais il progresse. Il sait alors que la maison de son camarade a une porte bleue et se trouve juste à côté d’une fontaine. Mais il n’y est pas. Un cousin lui dit alors qu’il est peut-être à Koker. Ahmad refait le chemin en sens inverse. En vain, une nouvelle fois. A Koker, en pleine discussion avec son grand-père qui lui fait la morale, Ahmad surprend une conversation à côté et croit entendre que l’homme sur sa mule s’appelle Nematsadeh. Quand il part pour Posheth, Ahmad décide de le suivre. Troisième fois qu’il traverse ce chemin en Z, ces champs, ces forêts. Mais arrivé à Poshteh, Ahmad découvre qu’il y a sans doute plusieurs Nematsadeh. Désespéré, il ère dans les ruelles, chemins, la nuit commence à tomber. C’est une rencontre avec un vieil homme qui aurait pu tout changer, mais c’est cette fois-ci la peur, la nuit poussent le jeune Ahmad à renter au gallot chez lui, effectuer rapidement ses devoirs avant d’aller se coucher.
Kiarostami choisit de nous cacher deux éléments importants dans son récit. Le premier au tout début du film. On apprend en même temps que le personnage qu’il a malencontreusement pris le cahier de son camarade. La seconde à la fin. On découvre en même temps que Mohamad, le lendemain donc, ses devoirs accomplis par son camarade la veille. La fin de ce film est bouleversante. Il y a toute une angoisse qui se crée lorsque l’on est à nouveau dans ce lieu dans lequel nous avions souffert autant que le personnage. Mais Ahmad n’est pas là. On se dit qu’il peut-être honteux, qu’il est lâche. Le professeur passe entre les rangs. Mohamad est inquiet, prêt à éclater une nouvelle fois en sanglots. Puis Ahmad arrive. Ce n’est pas un messie. C’est un camarade qui aura tout essayer. Dont les cernes peuvent trahir une soirée surréaliste. Il sort les deux cahiers de son sac. Il a fait les devoirs de son camarade. Le professeur passe et assigne un ‘très bien mon garçon’ sur le cahier de Mohamad. Il n’y avait pas besoin d’un plan supplémentaire. Il n’y en aura pas. C’est magnifique. Et nous aussi, on peut souffler !