Collision.
5.5 On a connu Clint Eastwood nettement plus inspiré, plus intense, profond, émouvant aussi. Mais quoi qu’on en dise, il y a quelque chose de beau dans ce mineur – mais un peu à contre-courant de sa filmographie récente – Au-delà. Disons qu’il y a eu le Clint des grands jours dans les années 90 avec ce qui resteront comme ses deux chefs-d’œuvre, Un monde parfait et Sur la route de Madison. Puis il y a eu deux moments forts dans les années 2000, bien qu’un peu en dessous, avec Mystic river et Million dollar baby. Clint fait souvent des films très écrits, peu subtils qui me laissent parfois de côté, L’échange en est l’exemple parfait. Ou alors il veut parler de l’Histoire et ça ne fonctionne pas bien, le diptyque sur Iwo Jima ou encore le très faible Invictus sur Mandela. Je préfère quand il fait des come-back touchants comme ce fut le cas avec Gran Torino, Clint avait un peu rechausser les crampons de la bonne époque en somme. C’était un beau film. Mais voilà, je me rendais compte chaque fois d’une baisse de motivation me concernant à aller voir les films du bon vieux Eastwood. Parce que tout est propre, maîtrisé. Et même s’il surprenait dans les choix variés de ses films, il n’y en a finalement qu’un seul qui me plait chez lui, lorsqu’il y met de lui, vraiment, pas comme dans ses fictions impersonnelles comme L’échange ou Créance de sang. Clint divise à nouveau avec Au-delà et bien que j’y allais à reculons, c’est rien de le dire, au vu de la bande-annonce, et bien je suis plutôt agréablement surpris dans l’ensemble. C’est un film honnête. Avec Gran Torino c’était l’adieu du vieux maître, ce film aurait pu faire figure de petit dernier dans sa filmographie. On était ravi, la boucle était bouclée. Pas même un an plus tard sortait le suivant. Et encore un an plus tard sort ce film-là, qui regroupe assez bien les thématiques du cinéaste, mais qui n’avait jusque là pas autant parler de la mort. Il s’interroge, c’est très touchant. Toujours ces traumatismes de l’enfance en filigrane, cette fois ci à des niveaux différents pour chacun des personnages. Ce n’est jamais larmoyant, c’est classique, c’est du Clint Eastwood, et c’est en fin de compte plutôt beau. A l’aide d’un montage alterné, il propose de suivre trois personnages principaux qui n’ont a priori rien en commun, si ce n’est d’être confronté à la mort, plus que les autres. Une femme qui échappe de peu au tsunami en Indonésie. Un jeune garçon qui perd son frère jumeau lors d’un accident. Un homme, médium, qui peut entrevoir l’au-delà et saisir des mots, des gestes de l’au-delà concernant une personne à qui il a touché les mains. Comme ça on dirait du Inarritu. Mais en fait pas vraiment. Ce n’est pas l’histoire qui est au second plan pour en faire ressortir les fulgurances du montage et les prouesses offertes par les pièces du puzzle, mais c’est bien l’histoire, comme toujours, qui intéresse avant tout Clint Eastwood. Ou plutôt, ce qui découle de cette histoire, comme si le cinéaste faisait son film à mesure que ses personnages progressaient, à mesure que cette femme tente de retrouver cet état entre-aperçu durant quelques secondes où elle a eu des visions d’autre chose, à mesure que ce garçon avance aux côtés de son frère disparu espérant un jour encore pouvoir lui parler à nouveau, à mesure que cet homme tente de reconstruire sa vie se privant volontairement de ce don qu’il considère comme une malédiction. Le problème du film c’est qu’il est très inégal, ce qui ne l’empêche pas d’être dans l’ensemble passionnant, et puis doté de plus deux heures que l’on ne voit pas passer. La partie qui concerne George Lonegan (Matt Damon) est un véritable plaisir. L’installation et le très beau rôle de l’acteur qui joue son frère. La rencontre avec cette jeune femme lors des cours de cuisine, que le cinéaste pousse jusque chez George où s’ensuit une longue discussion autour de ce don embarrassant, entre discrétion d’un côté, curiosité de l’autre, c’est peut-être ce que Clint a fait de plus beau, en terme d’écriture de dialogue, de durée de scène depuis bien longtemps. Parce que ça se passe dans un salon, une cuisine et pourtant c’est superbe. Sans compter que passé cet épisode, qui se terminera mal, et dont on se doute d’ailleurs que c’est un épisode parmi tant d’autres dans la vie du médium, condamné à la solitude, coincé par un truc auquel il ne peut échapper, et bien la jeune femme disparaît, on ne la revoit plus. Clint détruit la beauté de cette rencontre en une pauvre seconde. Concernant la partie française, que je trouve correct dans l’ensemble, c’est malheureusement cousu de fil blanc. On s’attend à presque tout. La réussite tient là dans la beauté des personnages encore une fois. Et j’aime le passage en Suisse, il ne fait qu’affirmer les convictions du cinéaste, clairement athée, qui chie sur toutes les religions durant tout le film. La partie londonienne est en revanche pas loin de m’exaspérer, tant je trouve l’histoire d’un banal presque sans intérêt, et surtout le jeu du petit bonhomme complètement vide. Ça ne me touche pas pour un sou. J’aime la fin en revanche. Pas ce morceau de film où Clint nous fait passer quelques secondes dans la tête de George qui se voit embrasser la jeune française dans un futur très proche, que c’est mauvais ça, mais la fin dans son ensemble, la rencontre des trois personnages, la séance avec le garçon et le tout dernier plan. Après il y a plein de petites choses qui me gênent ci et là, déjà je ne vois pas l’intérêt de montrer quarante fois une espèce d’au-delà tout pourri, alors qu’ensuite on entend Marie (Cécile de France) dire qu’elle s’y est sentie en apesanteur, qu’elle a tout vu à 360°, franchement j’aurai bien aimé voir ce qu’elle a vu, nous on voit une image dégueu blanche et noire limite flippante. Concernant les dialogues qui suivent les visions, qui auraient pu être d’un ennui profond, ils sont au contraire passionnants, qu’il s’agisse du mystère autour de June (première séance avec un ami du frère), de la révélation trash et bouleversante autour du passé de Mélanie, ou encore l’émotion qui découle de la discussion entre Jason et Marcus dont George est l’intermédiaire. Il y a quelque chose d’Un monde parfait qui passe entre le médium et le garçon, un rôle subtil de substitution père/fils. En tout cas j’aime ce que cherche Clint Eastwood, ce qu’il tente de dire sur ses obsessions, ses angoisses, parce qu’il a l’air de les vivre avec une plénitude, une sérénité, peut-être même une curiosité que je trouve extrêmement touchante. Voilà, ça ne me marquera pas outre-mesure, car encore une fois le film m’a très peu touché à l’intérieur, c’est plus la démarche elle-même qui me touche, mais dans l’ensemble je suis agréablement surpris.