6.0 Au départ ça fait peur. C’est déjà difficile de se coltiner une fois de plus Cécile de France, mais alors de se l’imaginer en flic, il faut alors beaucoup de temps et d’indulgence. Même traitement pour Fred Testot que l’on adore en trublion de canal façon Tata Suzanne ou Super Connard mais qu’il n’est pas évident d’apprivoiser en nouvelle recrue de la gendarmerie, un peu froid, un peu violent. Je rassure, je les trouve par la suite tous deux excellents. C’est simplement que ces deux données associées au fait que Nicolas Boukhrief choisit d’entrer dans le vif du sujet au bout de cinq minutes, à savoir une intervention nocturne qui tourne mal, je commençais à être de plus en plus sceptique, surtout lorsque l’on sort du chef d’œuvre de Xavier Beauvois, Le petit lieutenant, qui a su faire tout le contraire, s’approprier le temps, tout comme s’approprier les personnages. C’est évident, il manque quelque chose à ces Gardiens de l’ordre. Une personnalité. Un vrai travail en profondeur. On ne les connaît pas suffisamment. Ils nous sont offerts sur un plateau, jetés dans la gueule du loup, piégés par la pression hiérarchique, bientôt obligés d’infiltrer par leur soin des groupes de dealers de plus en plus menaçant, pour remontrer à la source de ce drame initial et faire éclater la vérité afin de ne pas tomber dans l’oubli. Mais Boukhrief réussi ce qu’il avait déjà réussi avec Le convoyeur, tenir un rythme soutenu et proposer de l’action plus que du psychologique. Il lui manque sans doute sur la fin un peu de folie, ce qui rendait son premier long métrage surprenant, avec son côté barré, apocalyptique, qui se terminait en eau de boudin. Là, il s’est moins lâché. Mais ce qu’il a réussi c’est à faire tenir son histoire, invraisemblable ou pas, je ne cherche pas à tout calculer, ce qui m’intéresse c’est que je trouve ce film passionnant d’un bout à l’autre, je ne décroche jamais. Sans compter que c’est encore une fois hyper tendu, en permanence. Mais ce n’est pas du Marchal, ce n’est pas glauque, on ne se repose pas sur les situations dramatiques avec musique à la clé, non ce qui intéresse Boukhrief c’est l’action et son déroulement. Il y a un truc fascinant dans ce film c’est le peu d’explication et c’est très bien. Parfois on voit notre duo avancer dans leur plan mais on ne comprend pas vraiment où ils veulent en venir. Il y a aussi de nombreuses scènes inutiles, sans conséquences alors qu’elles installent tout de même un trouble, l’exemple avec cette secrétaire patibulaire un peu trop curieuse. C’est rare de voir ce genre d’attention dans ce type de film où tout ce que l’on voit doit nécessairement avoir un sens, ça me plait beaucoup à moi. C’est un film imparfait, qui aurait presque gagné à être épuré, mais c’est un film en constante évolution, avec une photo soignée, ça dépote et ça me suffit amplement.
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Archives pour février 2011
Gardiens de l’ordre – Nicolas Boukhrief – 2010
Publié 5 février 2011 dans Nicolas Boukhrief 0 Commentaires6.5 Les années qui défilent, les souvenirs qui appellent la mélancolie, le présent que l’on n’a pas vu venir ce sont un peu les obsessions du cinéaste anglais. On se souvient de cette femme dans Secrets et mensonges qui faisait face à un enfant qu’elle n’avait, par le passé, pas voulu reconnaître. Au centre d’Another year il y a un couple heureux, complémentaire et des personnages blessés par la vie qui gravitent autour d’eux, leur font par de leurs échecs, leurs déprimes même s’ils ont aussi tous une vitalité inégalée très souvent enfouie.
Le film ne paraît pas d’emblée avoir les bonnes idées, prendre les bonnes initiatives, comme si Mike Leigh voulait appuyer sur quelque chose en particulier, parler de la vitesse du temps plus que de faire exister les rapports entre les personnages. C’est à la fois le choix d’un découpage en saisons, comme c’est aussi le choix des métiers qu’exerce le couple. L’un qui construit des autoroutes, l’autre qui aide des patients à tirer profit du présent. Aussi, l’idée que le couple se prénomme Tom et Gerri semble encore être une facétie un peu mauvaise, pourtant l’utilisation de ces deux prénoms n’a pas d’impact sur le récit. Le seul moment où on leur fera remarquer c’est pendant la seule rencontre qu’ils font durant tout du film, la petite amie de leur fils, qui ne manquera pas de leur faire remarquer (ce que chacun ferait) avec le sourire, et eux de lui répondre qu’ils ont été obligés de s’y faire. Rien de plus. Cette scène permet alors au film et à l’appellation Tom et Gerri, que l’on entend continuellement, de s’affranchir de son étiquette.
Il y a donc quatre parties, pas vraiment égales dans la durée, qui représentent les quatre saisons, du printemps à l’hiver. Et dans ces quatre parties un nouveau personnage, ou plutôt un personnage lié à cette famille, que l’on ne connaissait pas, qui servira à la fois de pierre angulaire, de personnage cible et permettra encore d’y déceler certains nouveaux aspects des personnalités que l’on découvre, puis plus tard que l’on croyait bien connaître. Il est donc intéressant de voir combien le rôle de la collègue Mary, que l’on voit dès le printemps et qui reviendra régulièrement chaque saison, influe sur le couple, ou tout du moins sur ce qu’ils ont à offrir aux autres. Cette ouverture d’esprit qu’ils ont pour elle au début disparaît lentement à cause d’une déception et plus tard d’un imprévu. L’actrice qui joue Mary est tout simplement hallucinante. Elle peut tout aussi bien être le personnage de cinéma le plus fatigant vu cette année et la seconde d’après être celui qu’on veut serrer dans ses bras. Et c’est un peu ce qui se passe pour Tom et Gerri, couple le plus patient du monde, qui se révèle dans une dernière partie plus nerveux, hypocrites, hésitants. C’est en effet un couple d’une gentillesse extrême mais qui dévoile peut-être une certaine âpreté dans les actes, et même s’ils ne sont pas condamnables (généralement ils essaient de faire en sorte que tout aille pour le mieux) on ressent par moments comme de la gêne. Il y a quelques scènes, souvent longues, ce qui accentue cet effet de malaise, qui illustrent parfaitement cela à mon sens. Lorsque l’on voit Katie pour la première fois par exemple. Il est évident que Mary est gênée, triste et jalouse, que le monde lui est tombé dessus, et pourtant aucun ne fait l’effort de la comprendre, de l’aider, éviter qu’elle ne s’enfonce (pourtant ils ont tous compris) non au lieu de cela ils l’appellent Tata Mary. Qu’ils ne l’aient pas compris auparavant, ce lien fort pour le fils qui animait son cœur, d’accord, même si cela prouve une fois encore le problème existant dans leurs rapports, mais c’est le fait qu’ils comprennent à cet instant qui est gênant, la laissant seule dans l’arène, complètement estomaquée. Il y a une deuxième séquence c’est en hiver, lors de l’enterrement de la femme du frère de Tom, Ronnie. Elle semble être un effet miroir de la première, pourtant elle est très difficile à analyser étant donné que le personnage est agressif. Je parle du fils de Ronnie, arrivé tardivement à la cérémonie, qui ne comprend pas qu’on ne l’ait pas attendu. Personne n’agit pour le résonner. Enfin c’est assez difficile à dire, presque impossible, dans le sens où l’on ne connaît pas vraiment les rapports qu’entretenait le fils avec sa mère, et avec son père, mais c’est un garçon qui semble avoir besoin d’aide. Et en l’occurrence la gentillesse de Gerri et les provocations de Tom n’y feront rien. Il y avait peut-être une autre manière de le prendre. Peut-être aussi que le couple ressent une certaine inutilité qu’ils n’ont pas l’habitude d’affronter.
Dans la partie consacrée à l’été, c’est un ami de longue date qui fait irruption quelques jours dans la maison du couple. En parlant d’irruption, il y a des moments délicieux, très drôles où l’on voit ces deux personnages, Mary et Ken, les speedés de la vie, qui entrent chez Gerri et Tom et demandent d’emblée à utiliser leurs toilettes à l’étage. On sent qu’il y a une proximité, que le couple a toujours été près d’eux, qu’ils ont souvent dû jouer les rôles de grands frères, de confidents. Pas pour rien que les 90% du film se déroulent à l’intérieur de leur maison, ou dans le jardin. Ken est lui aussi un homme blessé qui semble se réfugier dans la bouffe bien grasse et l’alcool. Mary dira plus tard à Gerri que Ken aurait pu avoir de l’allure. C’est de Mary que Ken est amoureux. Mais c’est de Joe que Mary est amoureuse. A force de fréquenter le couple et ceux qui gravitent autour, les déceptions, les coups durs, naissent à l’intérieur même du groupe. Même Joe, avant sa rencontre avec Katie (qui semble être le seul bel horizon du film avec celui plus en retrait de cette autre collègue nouvelle maman) paraît perdu dans une spirale qu’il ne maîtrise pas et commence sérieusement à se poser des questions par rapport à son âge. On pourrait se dire que Mike Leigh s’est limité au simple fait du célibat, chaque personnage déprimée, se voyant assailli par la solitude, que ce soit les célibataires endurcis Mary, Ken et dans les deux premières parties Joe, ou tout simplement le veuf Ronnie. Il est chaque fois question d’absence, d’un manque. Pourtant cette situation, Leigh la retourne dès la première scène de son film – si bien que l’on n’y pense plus après – en s’intéressant à cette dame, une patiente de Gerri, qui réalise que sa vie entière est un échec, auprès ou non de son mari. Scène très belle, un personnage superbe, que l’on ne reverra pas. Elle occupe deux longues scènes au début du film puis disparaît. Elle pose deux bases. Celle du travail de Gerri. On verra un moment ce que fait Tom un peu plus tard. Mais aussi celle de ces intarissables blessures qui surviennent avec le temps.
Another year produit un effet étrange. Il donne l’impression que ces personnages paumés, blessés, atrophiés, trouvent du réconfort auprès de ce couple bienfaiteur. Pourtant il y a chaque fois comme un contre-champ qui permet d’y voir presque le contraire, comme s’ils n’arrivaient pas s’affranchir de l’idée du bonheur, de l’entente harmonieuse que leur offrent, consciemment Tom et Gerri, comme un modèle. La dernière scène est à ce titre l’un des moments forts de l’année. Elle est à l’image du film, dans sa construction. Un groupe, une discussion banale. Deux êtres en retrait. Une femme qui se met en sourdine. Puis se noie dans l’alcool. C’est pour moi un film très généreux, mais d’une grande tristesse. L’impression de voir des êtres heureux qui tentent de réconforter, sans trop s’impliquer (pour éviter que leur propre équilibre bascule) des êtres malheureux, sans doute pour toujours.
L’autre monde.
4.0 Finalement le parti pris de ne filmer que l’orang-outan est ce que Philibert a fait de mieux. Mais elle restera en fin de projection qu’un vieux singe dans une cage. On en apprend sur elle autant qu’on en apprendrait si l’on visitait le jardin des plantes. C’était peut-être un court expérimental qu’il aurait mieux fallu faire. Sans aucun commentaire. Simplement un animal. Un mouvement. Un face à face. Les dernières minutes sont très belles au passage. Le plan est plus large. Personne ne parle. On commence à apprivoiser la durée, comment nénette fonctionne. Mais c’est fini.
Laisse-moi entrer (Let me in) – Matt Reeves – 2010
Publié 3 février 2011 dans Matt Reeves 0 Commentaires3.5 Nettement moins travaillé, moins beau, moins prenant que la version suédoise, Let me in n’a pas grand intérêt. Morse avait ses défauts mais il y avait de belles choses, une ambiance un peu poisseuse que la version américaine n’arrive pas à reproduire. A trop vouloir montrer (effets spéciaux, plans impossibles) le film se perd dans un remake sans intérêt d’un original poseur au mal aise néanmoins permanent. Pourtant cette suite reproduit absolument tout le reste, mais à l’Américaine. J’aime toujours autant l’histoire mais elle n’est pas le fruit d’un travail personnel comme l’était Cloverfield. On est bien loin de cette claque reçue en 2008 qui justement était un peu tout le contraire de ce film inutile. Reste que le cinéaste s’en sort bien, on ne voit pas le temps passé, on a simplement tout oublié dès l’instant que l’on sort de la salle.
Mammuth – Benoit Délépine & Gustave Kervern – 2010
Publié 3 février 2011 dans Benoît Délépine & Gustave Kervern 0 CommentairesIl a fait de la moto.
3.0 Moins bien, surtout moins drôle que Louise Michel. Non pas que ce dernier révolutionne quoi que ce soit mais il avait une dynamique . Le pitch était sans doute plus fort aussi. Dans Mammuth on a le droit à de sympathiques perles mais on ne passe jamais le cap de la simple scène/sketch. La scène du resto est ce qui représente le mieux cela, avec l’homme qui pleure, sa fille à l’autre bout du fil. Il y a aussi une dimension tragique, avec ces apparitions d’Adjani. Je trouve l’idée assez naze au début puis finalement intéressante. Car c’est le seul truc qui nous rattache à un quelconque passé, qui permet de faire exister le film et non le sketch. A part ça Yolande Moreau est géniale. Mais franchement c’est pas terrible.
Memory Lane – Mikhaël Hers – 2010
Publié 2 février 2011 dans * 100, * 2010 : Top 10, * 730 et Mikhaël Hers 2 CommentairesSpleen et idéal.
10.0 En évitant les poncifs nostalgiques et mélancoliques inhérents aux films du genre, Memory Lane observe le chemin parcouru, scrute les détails qui ont fait le passé, interroge le présent et semble être doté d’un futur entièrement flou. Memory Lane, ce sont les souvenirs dans les souvenirs. Une douce voix off laisse entendre en début de film qu’il s’agit d’un été, il y a trois mois, un été inouï, hors du temps, où une bande d’amis s’étaient retrouvés. Elle reviendra par petites touches discrètes par moment, parcimonieuse, jamais dans l’appui, elle ira se confondre dans l’image et son ambiance.
Un petit groupe d’amis se retrouvent alors en banlieue parisienne, dans les Hauts-de-Seine, lieu qui les a vu grandir, certains y habitent toujours, d’autres sont en province, certains tâtonnent encore quand d’autres ont fait des enfants, et deux sœurs sont aussi revenues pour voir leur père qui se bat contre une tumeur, une affaire de mois. La voix-off c’est Vincent. Il loge provisoirement chez sa mère, gardienne de son ancien collège. Tout le film semble être habité par cette idée de retour, comme lorsque l’on ressent chaque événement, par la force d’un lieu, comme s’il était d’hier.
Le film dépeint très bien ces sentiments qui nous tiraillent lorsqu’on regarde ce qu’il y a derrière nous, quand on se rend compte qu’un passé si proche est déjà si loin. Là où Hers est très fort c’est qu’au-delà de la charge que peut contenir chaque séquence, dans sa puissance mémorielle et symbolique, il porte un regard à la fois doux et rempli de finesse, parfois même aussi très drôle. La scène de la salle de classe en est une belle illustration. Vincent qui se rappelle avoir eu tel professeur d’allemand, qui louchait, et lui assis à cette place ci sur la droite, ne savait pas que le professeur s’adressait à lui à cause de son strabisme. Les personnages sont parfois moqueurs dans Memory Lane. Comme s’ils cherchaient à se protéger. D’une soirée qu’ils n’apprivoisent pas, de lointains camarades de classe qu’ils n’ont pas vu grandir. On se moque d’un style de musique, d’un look ou d’une manière de prof. Il y a tellement de changement sous leurs yeux, qu’ils refusent que tout se mette à changer. Ils cherchent à revivre cette même jeunesse, exactement comme elle l’était, intacte. En témoigne cette très belle scène où on les voit ados traverser un parc, franchir une barrière, atterrir sur un grand parvis engazonné et taper dans un ballon. Scène identique qu’ils vont reproduire pendant leur retrouvaille.
Memory Lane est aussi traversé de quelques séquences individuelles, indépendantes, très fortes. Un repas entre une mère et son fils, mère jouée par Marie Rivière, dans un rôle proche de celui qu’elle jouait dans Le rayon vert de Rohmer, mais vingt-cinq ans plus tard, la confusion en moins, la sagesse en plus, l’isolement toujours. C’est très touchant de la retrouver dans ce film là. Une balade entre une fille et son père malade, dans un parc, en se remémorant le passé, jusque sur ce banc où elle lui dit qu’elle l’aime. Une fusion entre deux corps, qui jusque là se frôlaient, s’attendrissaient (la scène des mains est à ce titre incroyable) et vont s’entrechoquer silencieusement, dans une séquence sensuelle et charnelle, complètement détachée. Les errances d’un garçon qui semble arriver à saturation, scène qui trouvera une apothéose déchirante plus tard, dans une discussion miraculeuse. Parfois ce n’est pas grand chose : Une femme qui marche avec sa fille et éclate d’un coup en sanglot, une discussion anodine dans une cour de récré, une autre dans un restaurant où une femme questionne ses filles sur les vertus de la marijuana.
Dans Memory Lane la narration est distordue. Certaines séquences réapparaissent une seconde fois ou se reproduisent similairement sous un autre temps. D’autres se détachent par l’envoûtement des lieux désertés, tel ce long travelling sur les berges de la seine et ces plans automnaux d’une forêt dépeuplée. Pendant une scène festive, ou plus tard pendant une partie de football improvisée, Hers use du ralenti, comme pour intégrer la séquence dans un détachement onirique intouchable, pour appuyer sur un moment qui occupe la mémoire beaucoup plus qu’un autre, scènes en écho à certaines du dernier film de Xavier Dolan, Les amours imaginaires.
Finalement je le vois davantage comme un film onirique et charnel plutôt que naturaliste. Il est décousu, saisit des instants à la volée, en ce sens il me ferait presque penser au cinéma de Claire Denis. Après il est impensable de ne pas citer Rohmer, Hers le citant comme un cinéaste très influent, tout particulièrement L’ami de mon amie, et même s’il se veut moins ludique, s’il se repose moins sur de longues séquences dialoguées, une géographie filmée dans la durée, il y a tout de même une attention forte accordée aux lieux, en l’occurrence une piscine municipale, un parc, une cour d’école, une médiathèque, autant de rapprochements évidents avec le cinéma Rohmérien.
Il y a deux choses qui participent à la réussite du film. L’interprétation c’est évident, tous les acteurs sont remarquables, Thibault Vinçon d’abord, que l’on avait déjà adoré dans Les amitiés maléfiques il y a 5 ans. Et bien entendu le parti pris du naturalisme. Pas celui de l’autre excellent film français naturaliste sorti cette année, La vie au ranch, mais un naturalisme doux/amer, une attention portée à tout ce qui fait et meuble le silence. Car Memory Lane est habité d’une extrême tendresse, d’un silence hypnotique. Le cinéaste s’intéresse aux petits riens, et donc à une multitude de choses. Les plus infimes gestes, les regards dans le vide (ces regards où il se passe tant de choses), quelques larmes, quelques mots. Mais ce n’est pas un film de parole. C’est d’ailleurs un film qui parle peu et en est conscient. Vincent dira dans une de ces voix-off alors qu’il s’adresse à Raphaël qu’il regrette de ne pas avoir suffisamment parlé avec lui. C’est vrai qu’il y a un groupe sous nos yeux, qui partage des choses de façon incroyable, mais étrangement très peu de mots, probablement qu’ils sont trop occupés par ce qu’ils voient, ce qu’ils vivent, revivent, probablement que ça ne sort plus de façon insouciante comme avant.
Il y a autre chose que je trouve être une idée lumineuse dans le film, c’est le choix de ne jamais montrer le groupe dans son entier. Finalement c’est vrai, un groupe d’amis ne se voit (presque) jamais tous ensemble. Du coup ça lui offre un mystère supplémentaire. Car c’est un film très flou, qui dit très peu sur les motivations. La région, la ville, ces lieux connus sont devenus un vaste terrain de retrouvaille et de souvenir qu’il est impossible de pouvoir en parler, voilà pourquoi le film de Hers est si suspendu, si silencieux. Tout est fait avec finesse et sensualité. Il y a une telle douceur pré-automnale qui s’en dégage c’est magnifique. Et même si l’on peut regretter les quelques notes musicales qui tentent d’accentuer le spleen, ça n’atténue en rien la puissance et la douceur de ces instants bouleversants.
Comme le dit Luc Moullet, je pense que Mikhaël Hers est le grand cinéaste français de demain. S’il arrive à s’affranchir de la puissance émotionnelle de ce premier film, ça va sans doute être quelque chose. Mikhaël Hers donne l’impression de filmer le groupe durant un été, sans donner de suite logique sur certains évènements. On en saura rien de l’après cet été. Il a filmé un quotidien pendant un temps, les petites et grandes choses qui s’y passent mais on n’apprendra rien de plus de cette dépression existentielle qui touche Raphaël par exemple, ni même des suites de cette histoire d’amour, et rien non plus concernant l’issue de cette maladie. Ce serait un autre film. Comme dans La femme de l’aviateur, Rohmer ne nous disait rien une fois que le jeune garçon avait posté cette lettre si importante, ou comme dans Us go home, Claire Denis ne disait rien de ce qui se passerait après cette nuit si singulière et importante sur ces trois personnages qui se cherchent.
Et de cette bulle générale dans laquelle nous demande d’entrer le cinéaste, viennent des scènes inquiétantes de l’extérieur qui pourrait perturber cette bulle, mais n’attire simplement que regards, ce vieil homme qui boite dans la rue, des skinheads qui courent après un bus, un voleur dans un magasin. La bulle est plus forte. Vincent dit en début de film « ça fait déjà trois mois depuis la fin de ce drôle d’été ». Un été si particulier qui s’apparenterait à la fin d’un cycle. Tout a ressurgit puissance dix. Puis l’été est passé.
Le quattro volte – Michelangelo Frammartino – 2010
Publié 2 février 2011 dans Michelangelo Frammartino 0 CommentairesLe cercle.
7.5 C’est un film sans hiérarchie, un film sur le passage, ou plutôt un film de déplacement puisqu’il n’est pas question de relais, simplement d’une harmonie des éléments dans une même nature. C’est dans un premier temps l’homme, un vieux berger, qui vit ses dernières heures, que l’on accompagne du lever au coucher, dans son déplacement quotidien dans les ruelles de Calabre, seul lorsqu’il va chercher une solution magique (à base de poussière d’église) chez la bonne du curé en échange d’un peu de lait, ou bien dans les vallons boisés accompagné de son chien et de ses chèvres. C’est une scène fabuleuse qui va précipiter un glissement. Un plan qui revient souvent depuis le début du film où on y voit à la fois le troupeau dans son enclos, la maison du vieil homme et les rues du village qui s’engouffrent en hauteur, et une route dont on ne sait rien, qui semble descendre derrière nous, peut-être au cœur des arbres, un ravin, une rivière. Cette fois le plan va durer beaucoup plus longtemps. Et de manière assez magique, très drôle aussi, il y a comme une chorégraphie qui va naître et s’embellir. Une voiture d’où en sort des romains, vêtus de leurs parures d’époque comme s’ils s’étaient trompés de vingt siècles. Plus tard une sorte de défilé cérémonial qui apparaît avant que l’on y voit la célébration de la procession du christ portant sa croix. Par un savant travelling panoramique, on y découvre d’une part le groupe en marche vers une hauteur indéterminée où sont disposés les croix de bois comme sur Golgotha. Le travelling, en se répétant nous fait à la fois découvrir une scène burlesque de la voiture qui s’en va se crasher (après que le chien ait retiré une cale) dans l’enclos laissant les chèvres investir le village, pendant que de l’autre côté la procession atteint son but. L’un des plus beaux plan-séquences de l’année, qui avant d’être impressionnant est à la fois drôle et inventif. Le glissement intervient dès cette pirouette. L’homme se meurt, place aux animaux. Les chèvres envahissent le village, les rues, les maisons, comme précédemment les escargots avaient réussi à s’extirper de cette marmite mal fermée. Puis plus tard, un chevreau naît. On le suit presque pas à pas, en tout cas dans sa tentative de pas. C’est très beau. Puis les animaux regardent les montagnes, on voit alors des plans de montagnes. Une chèvre lève les yeux vers le ciel, on y voit un plan du ciel. L’animal est devenu personnage central. Et quand notre chevreau va se perdre dans l’immensité de la forêt c’est sous un haut sapin qu’il trouvera refuge. Nouveau glissement. Le sapin éclipse le reste. Les saisons défilent, il accueille la neige, puis les rayons du soleil. Un grand vent se met à souffler, il est venu le temps de sa coupe. Il devient alors l’objet d’un rituel, la fête de la Pita L’homme est toujours présent mais relégué au second plan, il n’est qu’initiateur de quelque chose, comme l’était le chien quelques temps auparavant. L’arbre est hissé, presque nu, vers le ciel. On le grimpe puis on le laisse s’écrouler. Il est coupé en morceau. Et s’apprête à devenir charbon de bois. Nouveau glissement opéré puisque Frammartino filme alors le destin d’une charbonnière. Tout est comme un cercle, mais pas au sens de la répétition, plutôt comme osmose générale, au sens il n’y a qu’un esprit invisible comme guide. Quatre règnes : l’humain, l’animal, le végétal, le minéral. Plus qu’un film divisé en parties, c’est un film glissé, où un règne ressort par moment plus qu’un autre, mais où tous est lié, où tout a une unité, une dignité commune. Rien ne vit indépendamment. Ce film est un poème. Sans aucun dialogue. Et c’est pourtant un film d’une grande simplicité, très facile à suivre. D’avoir opéré le déplacement dans cet ordre là n’est probablement pas étranger à ce sentiment. C’est aussi un beau travail sonore, des toussotements du vieil homme aux cris des bêtes, du vent qui caresse les arbres aux sons des charbonnières (présents assez régulièrement durant tout le film), jusqu’aux claquements de cette cheminée vide qui s’arrêtent lorsque la mince fumée finale en sort.