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Archives pour 24 mars, 2011

Le décalogue (Dekalog) – Krzysztof Kieslowski – 1990

Le décalogue (Dekalog) - Krzysztof Kieslowski - 1990 dans Krzysztof Kieslowski Dekalog-d

     8.0   Dix films d’une heure, reposant un par un sur les dix commandements de la bible, que Kieslowski s’en va détourner afin de les replacer dans leur contexte et la société actuelle. Comme souvent avec le cinéaste polonais l’expérience est pour le moins austère, soignée, mais noyée sous un flot de symbolisme et de métaphores n’offrant pas à ses récits et à ses personnages l’incarnation véritable dans ce dédale émotionnel tant convoité. Néanmoins (et comme ce fut le cas aussi pour sa trilogie des couleurs, dans une moindre mesure) le cinéaste crée son monde, attise l’attente de la suite (ce ne sont en l’occurrence pas des suites), en tout cas il lie les récits entre eux, les fait se chevaucher, tous sont différents, aucun n’influe sur l’autre, mais des similitudes apparaissent, traversant les esprits et le temps. C’est ce qu’il y a de passionnant dans Le décalogue du cinéaste polonais. Pour illustrer cette réussite, un personnage, qui revient dans presque chacun de ces petits films, un personnage sans influence, mais un personnage qui observe, qui semble comprendre ou tenter de comprendre, il est un peu le spectateur, un peu le cinéaste. C’est un regard. Le regard de la compassion. Le regard qui détecte les meurtrissures. C’est très beau, dans son intégralité essentiellement, pas si l’on en regarde une parcelle ici ou là. C’est simplement trop écrit. Pour autant, certains de ces films commandements, voire certains de ces morceaux de films sont intrigants et assez forts en soi. Grande déception que Kieslowski se soit entouré pour chacun de ces moyens métrages d’un chef opérateur différent, certains de ses récits auraient mérité mieux.

Un seul dieu tu adoreras.

     Se reposer sur des données pragmatiques, religieuses, spirituelles, scientifiques. Le premier cycle de ce décalogue pose ces questions-là. Un père mathématicien semble avoir enseigné à son fils la vertu des calculs, des chiffres à tel point que ce garçon s’en sert pour tout, il s’amuse à résoudre des problèmes à l’aide d’une base de données comme un autre jouerait à sa console ou aux cartes. Le jour où le garçon décide de faire du patin sur l’épaisse couche de glace qui recouvre le lac de sa résidence, son père, toujours accompagné par ses calculs fous, lui indique les consignes, lui montre qu’il n’y a aucun danger, dès l’instant qu’il ne s’approche pas d’une partie de la rive. Une femme prie. Un homme semble s’en remettre aux esprits. Et un garçon se noie dans le lac. Le père, anéanti, qui n’y croit d’abord pas, s’en va détruire l’autel de l’église en construction dans son quartier, dans laquelle son ex-femme voulait y emmener son fils. Les symboles sont dans chaque plan, mais ce récit, contrairement à certains autres, prend vie, passe au-dessus de la portée symbolique. C’est l’anéantissement du culte. Cet homme qui restait prostré au bord de ce lac tel un ange, disparaît lui aussi. Peut-être a t-il voulu sauver le garçon. Dieu est peut-être partout. Ou alors il est nulle part. J’aime beaucoup ce premier film. Je le trouve à la fois extrêmement prévisible et intelligent, inéluctable et déchirant.

Tu ne commettras point de parjure.

     C’est une trouble histoire de mensonge. Un homme est gravement malade, entre la vie et la mort. Sa femme, abandonnée dans l’attente et la solitude, s’aperçoit qu’elle est enceinte. Mais c’est celui d’un autre. Qu’elle aime aussi. Choisir la vie d’un être et mentir ? C’est de cela dont il est très vite question. Si cet homme meurt, la jeune femme gardera l’enfant. S’il s’en sort, la jeune femme avortera. Il n’est même plus question de parjure, mais de choix injustes. A la fin du film, une abeille sortira d’un verre, escaladant tant bien que mal une cuillère qui lui est offerte comme seule issue. L’homme sera hors de danger. L’enfant vivra. Entre temps la jeune femme aura consulté un médecin à qui elle aura expliqué son problème. C’est lui qui lui mentira. Quand il apprendra que l’homme est sur la voie de la guérison il lui dira qu’il ne s’en sortira pas. Pour ne pas qu’elle avorte. Parjure! Mensonge qui engendre automatiquement un autre mensonge, celui de la jeune femme à son mari, dont elle lui cachera qu’il n’est pas le père. Il y a mensonge, un mensonge horrible. Mais il y a vie, avant tout. Un sommet du décalogue.

Tu respecteras le jour du seigneur.

     C’est le soir de Noël. Un homme sort d’une voiture habillé en père Noël. Il met sur son dos un sac qui prend l’apparence d’une hôte. Il sonne chez quelqu’un, une voix d’enfant lui demande de monter à travers l’interphone. A l’entrée de l’immeuble il croise un homme d’une quarantaine d’année. Dans la pénombre on entrevoit tout de même ce visage qui nous est familier, c’est celui du papa cartésien du premier décalogue. La caméra se déplace alors sur le côté pour laisser apparaître l’entrée du père Noël dans l’appartement en question, comme si nous étions en vue subjective de cet homme, que l’on imagine penser à son fils disparu. On apprend plus tard que le père Noël n’est autre que le père des enfants à qui il est venu rendre visite. Il y a comme un climat de liesse déjà empoisonné pour le spectateur par la vision de cet homme qui regarde à la fenêtre. Plus tard, l’homme père-noël passera tout le reste du film avec une femme, son ex-femme, qui ne se remet pas de leur séparation. Kieslowski atteint quelque chose de mystique, presque Cronenbergien entre les deux personnages. Noël n’a de joli, de respectueux que son apparence, l’idée qu’on s’en fait, ce qu’on raconte aux enfants, le mot simplement, Noël, évoque une certaine rupture. Le film est sombre, d’emblée. Il le restera.

Tu honoreras ton père et ta mère.

     Il n’y a plus de mère. Et on a des doutes sur le père. Cette pauvre jeune femme ne sait plus qui honorer, elle ne se connaît même plus elle-même, ni ses origines ni son histoire. Au centre, une lettre de la mère avant son départ, jamais ouverte. Un homme qui n’a jamais réussi à l’ouvrir de peur d’y découvrir une vérité impensable, une vérité qui le tuerait. Et donc cette fille qui découvre cette lettre mais hésite à l’ouvrir pour les mêmes raisons. C’est âpre, violent sans l’être, ce climat entre ce père et cette fille. Cette douleur autour de la possibilité d’un mensonge. C’est comme si l’on se situait vingt ans après le décalogue 2, celui de la parjure. Finalement il n’y aura pas d’ouverture de lettre. Elle sera brûlée. On honore pas les volontés du défunt, on honore le fait qu’elle restera à tout jamais celle qui a été mère et qui a vécu avec le (bon) père. C’est l’honneur qui lui est fait.

Tu ne tueras point.

     Il y a quelque chose qui choque d’entrée, c’est la couleur de l’image, ce filtre jaunâtre. Quelle mauvaise idée ! Jusqu’ici l’ambiance changeait suivant le récit, suivant le commandement, mais jamais vraiment par l’image, comme s’il pouvait y avoir une suite à ce que l’on voyait, s’attendant presque à croiser des récits ou des personnages des autres récits (comme c’était le cas dans la fin de Trois couleurs : Rouge). Ce n’est pas très important, mais ça enlève quelque chose, ça détache ce cinquième décalogue, et surtout c’est assez moche. C’est aussi le premier décalogue aussi frontal, brutal. On y parle de tuer dans le titre, on s’y attendait. Mais pas de cette façon là. C’est aussi un film qui va vite, un assemblage plus classique, un parallèle entre deux époques, l’avant et l’après le crime. Un an sépare les deux époques. Il y a le meurtre d’un homme, fait par un jeune garçon qui n’avait que ça à se raccrocher, en pleine dépossession de ses choix. Il y a cet avocat qui le défend et tente surtout de le faire éviter la condamnation à mort. Ce n’est pas le tuer du jeune garçon qui est important ici, que Kieslowski veut soulever. C’est le tuer de la justice, celui qui est tant prémédité, celui qui est censé guérir des maux, s’accompagne d’un prêtre mais ne fait qu’aller à l’encontre de ce commandement dans ses simples mots. Ce n’est pas le meilleur des films de ce décalogue, mais c’est peut-être le plus incisif, là où l’incision est la plus visible tout du moins.

Tu ne seras pas luxurieux.

     C’est sans conteste le plus beau des morceaux du décalogue. Celui qui s’affranchit aisément du symbolisme pesant du cinéma de Kieslowski. C’est le plus subtil, le plus épuré, le plus original dans sa démarche. Plus que de luxure, il parle de personnes seules. Une femme qui abandonne chaque soir son corps à de multiples hommes, histoires sans lendemain. Une femme sans doute aussi fragile à l’intérieur que cette bouteille de lait, qu’on lui livre chaque matin, qui se casse à de nombreuses reprises durant le film. Un garçon, à peine vingt ans, qui l’observe chaque soir après son travail, à travers une longue-vue. Il pourrait être simple voyeur, probablement ce qu’il était au début, quand il lui avoue plus tard s’être masturbé en la voyant nue au lit avec ces hommes. Ce pourrait être qu’un simple jeu qui virerait à l’enquête, façon Fenêtre sur cour, on y pense beaucoup au début, tant que rien ne nous est dit. Mais c’est plus que cela. Ce garçon si introvertie, si seul, est amoureux de cette femme. Un amour si fort, si insoutenable, qu’il ne peut l’approcher pour lui en parler. Il va tout de même provoquer ce destin, allant jusqu’à lui envoyer des avis de mandat – il est postier – pour que la jeune femme se pointe à son bureau de poste. Quand elle sera au courant et de la supercherie et de ce voyeurisme dont elle est la victime depuis plus d’un an, c’est la réaction d’une personne seule face à une autre que Kieslowski met en place brillamment. C’est d’une grande sensibilité, c’est aussi très violent et c’est bouleversant. Un amour sera né d’un péché…

Tu ne voleras pas.

     Une double histoire de vol. Une femme, directrice d’un lycée, qui a élevé l’enfant de sa fille après qu’elle ait été enceinte d’un professeur de l’école. Un enfant qui a vécu loin de sa vraie mère, une femme qui ne veut pas rendre ce qui ne lui appartient pas. Premier vol. Puis une jeune femme qui enlève son propre enfant dans les mains de cette femme et s’échappe très loin. Sous ces apparences austères, en partie parce que les personnages sont hyper antipathiques, le film déploie une force émotionnelle assez forte. Qu’en est-il du vol ? Ici, il semble répondre à l’instinct, la protection et la possession. Et il pose largement cette question : Peut-on voler ce qui nous appartient ?

Tu ne mentiras pas.

     Dommage que la photo ne soit pas au service du récit, c’est probablement le plus poignant de tous. Au début, on navigue en plein mystère. Une femme assez âgée donne des cours d’éthique en faculté. Elle demande à ses élèves de raconter une histoire avec comme thème le mensonge salutaire ou incompréhensible, sur lequel on peut analyser les motivations des êtres. Une demoiselle raconte l’histoire exacte que l’on a reçue de plein fouet dans l’épisode 2 de ce décalogue, sur cette femme enceinte d’un autre homme que son mari, alors qu’elle se demande s’il doit avorter ou non, suivant que son mari, gravement malade s’en sorte ou non. Une femme entre dans sa salle, une américaine, elle n’a pas l’air d’être une étudiante, elle se présente comme étant la traductrice de séminaires de ce professeur, elle s’installe au premier rang. Son regard est sombre, pas loin d’être accusateur. Elle prend alors la parole et raconte elle aussi une histoire, à la troisième personne, qui bouleverse notre professeur. Plus tard, toutes deux entretiendront une discussion, on comprend qu’elles sont les protagonistes de l’histoire racontée. Une jeune fille juive qui cherchait une famille pour l’accueillir, la cacher, la sauver durant les rafles de la seconde guerre. Une femme qui refusa de lui ouvrir sa porte, préférant rester intègre envers la société plutôt que de sauver une âme qu’elle pensait condamnée. Kieslowski n’accuse personne. Cette rencontre a quelque chose de bouleversant, c’est ce qu’il en fait qui est magnifique. Une femme qui vit dans la culpabilité, une autre qui aimerait partager – et qui y parvient – ce douloureux souvenir. La peur semblait être le motif de ses motivations. Les deux femmes se rapprochent et s’entendent, comme mère et fille. Et on se dit qu’en l’occurrence, le mensonge valait bien tous les péchés du monde.

Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui.

     Celui-ci est on ne peut plus statique, il évolue assez peu. Et il parle finalement plus du mensonge qu’autre chose. Un homme apprend qu’il est impuissant. Son monde s’écroule. On comprend qu’il voulait faire des enfants. On comprend qu’il aime une femme comme c’est pas permis. Il est prêt à lui dire d’aller voir ailleurs si leur amour peut continuer d’être comblé. Dire les choses, ne rien cacher. C’est ce que semble vouloir dire Kieslowski. Ce n’est pas la tromperie qui est importante, c’est le fait de tromper et de mentir sur ses intentions. La femme de cet homme n’aura pas attendu, elle voit quelqu’un d’autre de plus jeune qu’elle depuis longtemps. Lorsqu’elle décide de mettre fin à cette liaison, son mari la surveille. C’est cela qui conduit cet homme à sa perte, à l’espionner puis l’observer dans les bras de cet inconnu, avant de tenter de se suicider. C’est beau et terrible à la fois.

Tu ne convoiteras pas les biens d’autrui

     Deux frères découvrent, après le décès de leur père, une armoire blindées renfermant toute une collection de timbres de grande valeur. D’abord attirés par l’argent que représente le trésor, ils sont peu à peu gagnés par la passion du collectionneur. C’est probablement le film du décalogue le moins inspiré. On ne retrouve pas vraiment le charme des autres films, cette grandeur dans la futilité, cette harmonie de la rencontre, ces subtilités dans l’ultra symbolisme. Mineur.

     En conclusion, j’aime beaucoup ce qu’offre le cinéaste polonais en près de neuf heures de film. Encore une fois il faut voir ce Décalogue dans son intégralité. Kieslowski travaille chaque partie différemment mais y intègre des éléments ou des personnages que l’on a pu croiser. Un lieu identique aussi. C’est sans doute trop écrit, trop métaphorique pour atteindre une émotion rare mais l’idée es bonne, le rendu vaut le détour. C’est finalement une assez belle expérience.


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