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Archives pour 4 avril, 2011

La bande des quatre – Jacques Rivette – 1989

La bande des quatre - Jacques Rivette - 1989 dans * 100 bande-des-quatre-1988-04-g

Désordre.    

   10.0   Il y a dans ce titre l’idée d’un ordre dans lequel s’immisce un désordre. La bande correspond au désordonné d’une communauté, symbolisé ici par ces scènes de théâtre où le groupe se disloque, s’éparpille, quelqu’un joue quand un autre regarde, les rôles changent, s’inversent, il y a moins de fesses que le nombre de sièges libres. Mais il y a aussi cette maison de banlieue parisienne, collocation de quatre jeunes femmes, en pleine modification puisque l’une d’entre elles, quand le film commence, cède la place à une autre. Collocation comme afflux de corps, croisements, on se parle, on s’évite, on se connaît par cœur ou le contraire, une bande, un désordre rangé. Le chiffre quatre du titre représente à lui seul une certaine ténacité, quelque chose d’ordonné, de déjà tissé, d’intouchable. Quatre. Pas une de plus, pas une de moins.

     De ce changement – le départ de Cécile, l’arrivée de Lucia – naît un sentiment nouveau, moins la gêne d’une page qui se tourne – le groupe semble aussi à l’aise après qu’avant – qu’un mystère inattendu. Un mystère sous forme de secrets à percer, qui ne concerne pas la petite nouvelle – ce qu’il est coutume de voir au cinéma, l’immersion d’un corps étranger, dans les films de genre essentiellement – mais bien celle qui laisse sa place. Un désordre nouveau tente de se frayer un chemin. Un désordre qui va perturber le bon fonctionnement de la maison. Il est provoqué par l’arrivée d’un homme dans la vie de ces femmes. On pourrait tout aussi bien dire qu’il est provoqué par l’homme, d’une manière générale, puisqu’il y en aura deux, un qui multipliera ses présences, inquiétant, indiscernable, un autre que l’on ne verra jamais, pas directement en tout cas.

     Cet homme mystérieux rencontre les femmes de la maison, une par une, sous une appellation différente à chaque fois. On n’en saura pas plus qu’elles, excepté qu’il est louche, puisqu’on l’entend passer un coup de fil où il y évoque son intrusion dans la maison comme un Graal tant convoité. Qui est-il ? Flic ou voyou, on ne sait pas vraiment. Il est tout. Il est rien – il est un statut, un métier, un ordre, il n’est pas quelqu’un. Quand il rencontrera Anna et qu’elle lui demandera si elle est sensée le connaître, il lui répondra que tout le monde le connaît, ou personne. Il est conscient de ce qu’il est. Mais le mystère subsiste. Il déambule avec une sérénité sympathique et une fausse nonchalance agaçante éveillant peu à peu le doute des femmes face à cette rencontre singulière. Dès l’instant qu’elles effectueront un rapprochement, découvrant la supercherie de ce même inconnu aux multiples appellations – ‘il est plutôt beau, les yeux bleus, un grand nez, une gueule quoi !’ comme elles le décrivent à plusieurs reprises – le film va alors embrayer ailleurs, empruntant un chemin encore plus sinueux, comme souvent chez Rivette.

     Le mystère intervient alors autour d’une recherche. Des faux papiers. Une œuvre d’art. Puis un simple petit objet. Toutes les pistes sont brouillées. C’est une clé qui apparaîtra d’une cheminée. Apparue, littéralement. Et l’univers sonore crée l’étrangeté, comme si une force fantastique s’immisçait dans le quotidien. Lucia, la nouvelle, invoque les esprits et découvre le trésor tant convoité. Entre temps Claude filera Cécile, l’amie de scène et ancienne colocataire, qui laisse entrevoir une grande tristesse ces derniers temps, présente mais complètement absente, que ce soit dans les cours de théâtre comme dans les entrevues au bistrot du coin. Cécile se jettera dans les bras d’un homme sous les yeux de Claude qui l’avait suivie, puis elle disparaîtra. On ne sait si le mystère s’éclaircit ou s’il est agrémenté d’une donnée supplémentaire. Car il y a aussi ces cours en filigrane, qui occupent une place importante dans le film, avec ces jeunes femmes qui avouent de moins en moins comprendre les indications offertes par leur professeur, lucide et intransigeante, qui semble elle aussi saisie par autre chose, parfois un peu ailleurs, elle paraît cacher elle aussi un lourd secret.

     Et tout est affaire de secrets dans La bande des quatre. Lourds secrets, secrets futiles. On apprendra par exemple le temps d’une séquence d’apparence anodine – pour l’évolution du récit – que le vrai prénom d’Anna est Laura. Que ce prénom de substitution elle l’emprunte à cette sœur disparue il y a quelques années, on se doute que cela remonte avant son entrée dans la collocation car son amie n’est pas au courant. Ça ne fait pas avancer le film, c’est une scène sans suite, mais c’est dans l’esprit du film. Les secrets sont aussi des confidences, comme cette messe basse dans le jardin, petite allusion à l’arrivée prochaine d’un enfant, dont on peut penser que les autres amies n’en savent rien. Le film fourmille de petites choses comme cela, il prend le temps de s’intéresser à ses personnages, aux situations si bien que l’on sort de là en ayant l’impression d’avoir déjà croisé ces femmes, de connaître beaucoup d’elles, des problèmes conjugaux d’Anna aux interrogations sur sa sexualité de Claude etc.

     Constamment construit dans un double espace vital, le film oscille par de brefs mouvements automobiles ou ferroviaires, généralement nocturnes, simplement en guise de transition, entre cette maison ordonnée où naîtra le désordre et cette pièce de théâtre désordonnée où il faudra pour chacune des protagonistes y trouver un tempo selon un ordre précis. Et donc, nous avons aussi le droit à des instants extraordinaires de groupes, via les répétitions ou les moments de vie en communauté. Des femmes qui se donnent à corps perdus dans cette passion commune, qui débusque en elle une intensité incroyable, une émotion qu’elles ne retrouvent sans doute nulle part, ces instants qui on le devine leur permettent de tenir. Rivette ne montre d’ailleurs rien d’autre de leur vie. Ni leur travail, à aucun moment, ni leur relations (familiales, amicales, amoureuses) en dehors de la communauté. Dans cette maison rien de plus que ces femmes qui se croisent, discutent au petit déjeuner, dans le jardin ou en pleine nuit parce que les rats du grenier empêchent l’une d’elles de dormir. C’est à la fois drôle, posé, très calme, jamais étouffant.

Le canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) – Michael Cimino – 1974

Le canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) - Michael Cimino - 1974 dans Michael Cimino thund

Thunderbolt & Lightfoot.    

   8.0   Le titre français est à la fois une terrible ineptie (destiné à mettre en avant la présence de Clint Eastwood, alors seul vraie star du film) autant qu’il est révélateur de l’évolution du récit. Lightfoot a disparu de ce titre, comme s’il était déjà mort. En français, le titre annonce la scène finale. C’est pourtant l’homme canardeur qui était poursuivi dans les premières minutes du film, alors harnaché en pasteur, essuyant les tirs d’un tueur barbu tout droit sorti de chez Léone, pendant qu’il prêchait en pleine église. Il était sauvé par Lightfoot, complètement par hasard, que l’on venait de voir voler une cadillac. Dès cet instant on ressent cette crise d’identité qui nourrit chaque film de Cimino. Un homme improvisé pasteur qui ne l’est pas, s’accroche à une bagnole à s’en démettre l’épaule avant de se la remettre en place un peu plus tard par l’intermédiaire d’un arbre et d’une ceinture. L’autre homme est un hors-la-loi qui semble voyager au gré des vols divers, avançant sans but précis, sinon celui de la liberté et de la survie. L’un s’appelle Lightfoot, surnom qui ne sera jamais expliqué. Ses futurs acolytes l’appelleront même « Kid » plus tard. L’autre est surnommé le canardeur, et on l’apprendra dès l’instant que les deux hommes se parleront un peu d’eux, lorsque Lightfoot découvre qu’il voyage aux côtés d’un magicien des coffres. C’est un homme un peu désabusé, mais pas désagréable, vêtu d’une chemise bleue hyper sexy, sans doute quelque peu attiré, même si plus prudent que son compagnon, par les soubresauts d’une nouvelle jeunesse qui lui tend les bras en la présence de ce garçon, insouciant, en perpétuelle recherche d’une captation totale de liberté, symbolisée ne serait-ce que par ce surnom à consonance indienne qu’il traîne avec lui. C’est la fraternisation de deux voleurs, deux générations aux attentes différentes, sorte de road-movie à l’arrache, incarnation de l’anarchisme cool. Elles sont partiellement évoquées mais on parlera aussi des deux guerres, essentiellement par Thunderbolt, vétéran de Corée. Il y a dans cette collision de générations une forme d’envie prononcé par la jeunesse à son insu. Espoir, nostalgie et frustrations sont suscitées chez les anciens. C’est d’ailleurs de Lightfoot que vient l’idée de refaire exactement le même casse que les anciens avaient tenté dans le temps. Idée folle mais idée bonne. Ils se moquent tous de lui avant de suivre son idée sans hésiter.

     Tout ça (naissance d’une amitié, chasse à l’homme) serait beaucoup trop simpliste et pas assez référencé au genre western, Cimino y ajoutant une petite troupe de tueurs aux trousses de ce faux pasteur depuis la première séquence du film. C’est dans l’évolution de cette course que le film surprend. Cette manière qu’il a d’aisément passer d’une situation à une autre, de la naissance d’une amitié méfiante puis dévouée, qui échappe aux tueurs (dont on ne sait d’où ils sortent au départ) avant d’embrayer vers une combinaison improbable, où chacun y trouverait sa part dans un nouveau braquage minutieusement organisé. Cimino, avec toute sa puissance habituelle, ce cynisme maîtrisé, parle de l’Amérique, de ces héros solitaires, nés beaucoup trop tard. On voit très peu de la civilisation dans ce film, ou alors par petites touches absurdes et humoristiques, des personnages cinglés sortis de nulle part : Un fou du volant qui se shoote au gaz d’échappement, une motarde quasi nue qui n’hésite pas à dégainer un marteau si un chauffeur l’emmerde, une femme riche nue à sa fenêtre qui fait baver les ouvriers, un petit garçon qui connaît le trajet des marchands de glaces par cœur, un gardien pervers et névrosé, une secrétaire aguicheuse, un couple en Cadillac avec toute une garde-robe. Mais c’est aussi la folie de ces deux hommes qui est géniale, qui n’ont plus rien à se raccrocher sinon le simple plaisir du voyage. Cimino a surtout réussi un film extrêmement drôle, essentiellement dans les rapports entre chacun des types, cette espèce d’humour nonchalant, grotesque, en partie dû à notre duo de malfrats secondaire ridicule, Leary et Goody. Et Cimino continue de filmer les grands espaces, et la fuite ou l’enracinement de ses personnages à l’intérieur de ces grands espaces. Ces voyages inutiles. L’homme sans identité. L’homme qui traverse le temps puis disparaît. L’individu qui n’est plus dans l’histoire. La toute fin du film est à ce titre magnifique. Un butin est constamment évoqué durant le film (la raison de cette chasse à l’homme d’ailleurs), il serait caché depuis des années derrière un tableau dans une petite école du Montana. Entre temps, les recherches à son propos n’ont cessé mais l’école n’est plus où elle devait être. A l’instant où les deux hommes s’arrêtent, après que leur nouveau coup aura foiré, ils tombent sur cette école. Déplacée ici, pour l’histoire. Le butin n’aura pas bougé. Des touristes, alors en visite du lieu désormais patrimoine, s’excuseront auprès de nos deux compères, d’avoir pris des photos et déguerpiront aussi sec. Pendant ce temps et la redécouverte du trésor tant convoité, Lightfoot aura soudainement de grosses absences, une fatigue terrassante, une douleur dans le bras, des engourdissements, douleurs probablement dues à ce violent coup encaissé précédemment par Leary, qui depuis a été dévoré par les chiens. Les deux hommes chargent la voiture de lingots et s’en vont, nulle part, mais partent, sillonnent à nouveau la route. Lightfoot mourra un peu plus tard, heureux, comblé, la suite de l’histoire s’écrira sans lui. Il y a un mot qui revient sans cesse dans la bouche des protagonistes c’est le mot Progress, sur le mode de l’humour généralement, mais cela montre bien qu’ils sont rattrapés par ce progrès, qu’ils ne maîtrisent pas cette époque. Qu’ils soient (The deer hunter) ou non (Thunderbolt & Lightfoot) dans une idée logique de suivi d’un schéma de loi, d’engagement pour la patrie, les personnages des films de Cimino ne sont rien, au final, que les simples vecteurs d’une machine cassée. Et quand tout se termine bien, la mort se charge elle-même et naturellement, de couper court au rêve. Le passé tant recherché, la figure du western comme fantôme emblématique planant sur tout le film, n’est pas rattrapable. Figure de l’enfance aussi. L’individu ne peut pas traverser les époques et comme un symbole c’est le plus jeune des deux qui s’en va le premier.


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