Le canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) – Michael Cimino – 1974

Le canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) - Michael Cimino - 1974 dans Michael Cimino thund

Thunderbolt & Lightfoot.    

   8.0   Le titre français est à la fois une terrible ineptie (destiné à mettre en avant la présence de Clint Eastwood, alors seul vraie star du film) autant qu’il est révélateur de l’évolution du récit. Lightfoot a disparu de ce titre, comme s’il était déjà mort. En français, le titre annonce la scène finale. C’est pourtant l’homme canardeur qui était poursuivi dans les premières minutes du film, alors harnaché en pasteur, essuyant les tirs d’un tueur barbu tout droit sorti de chez Léone, pendant qu’il prêchait en pleine église. Il était sauvé par Lightfoot, complètement par hasard, que l’on venait de voir voler une cadillac. Dès cet instant on ressent cette crise d’identité qui nourrit chaque film de Cimino. Un homme improvisé pasteur qui ne l’est pas, s’accroche à une bagnole à s’en démettre l’épaule avant de se la remettre en place un peu plus tard par l’intermédiaire d’un arbre et d’une ceinture. L’autre homme est un hors-la-loi qui semble voyager au gré des vols divers, avançant sans but précis, sinon celui de la liberté et de la survie. L’un s’appelle Lightfoot, surnom qui ne sera jamais expliqué. Ses futurs acolytes l’appelleront même « Kid » plus tard. L’autre est surnommé le canardeur, et on l’apprendra dès l’instant que les deux hommes se parleront un peu d’eux, lorsque Lightfoot découvre qu’il voyage aux côtés d’un magicien des coffres. C’est un homme un peu désabusé, mais pas désagréable, vêtu d’une chemise bleue hyper sexy, sans doute quelque peu attiré, même si plus prudent que son compagnon, par les soubresauts d’une nouvelle jeunesse qui lui tend les bras en la présence de ce garçon, insouciant, en perpétuelle recherche d’une captation totale de liberté, symbolisée ne serait-ce que par ce surnom à consonance indienne qu’il traîne avec lui. C’est la fraternisation de deux voleurs, deux générations aux attentes différentes, sorte de road-movie à l’arrache, incarnation de l’anarchisme cool. Elles sont partiellement évoquées mais on parlera aussi des deux guerres, essentiellement par Thunderbolt, vétéran de Corée. Il y a dans cette collision de générations une forme d’envie prononcé par la jeunesse à son insu. Espoir, nostalgie et frustrations sont suscitées chez les anciens. C’est d’ailleurs de Lightfoot que vient l’idée de refaire exactement le même casse que les anciens avaient tenté dans le temps. Idée folle mais idée bonne. Ils se moquent tous de lui avant de suivre son idée sans hésiter.

     Tout ça (naissance d’une amitié, chasse à l’homme) serait beaucoup trop simpliste et pas assez référencé au genre western, Cimino y ajoutant une petite troupe de tueurs aux trousses de ce faux pasteur depuis la première séquence du film. C’est dans l’évolution de cette course que le film surprend. Cette manière qu’il a d’aisément passer d’une situation à une autre, de la naissance d’une amitié méfiante puis dévouée, qui échappe aux tueurs (dont on ne sait d’où ils sortent au départ) avant d’embrayer vers une combinaison improbable, où chacun y trouverait sa part dans un nouveau braquage minutieusement organisé. Cimino, avec toute sa puissance habituelle, ce cynisme maîtrisé, parle de l’Amérique, de ces héros solitaires, nés beaucoup trop tard. On voit très peu de la civilisation dans ce film, ou alors par petites touches absurdes et humoristiques, des personnages cinglés sortis de nulle part : Un fou du volant qui se shoote au gaz d’échappement, une motarde quasi nue qui n’hésite pas à dégainer un marteau si un chauffeur l’emmerde, une femme riche nue à sa fenêtre qui fait baver les ouvriers, un petit garçon qui connaît le trajet des marchands de glaces par cœur, un gardien pervers et névrosé, une secrétaire aguicheuse, un couple en Cadillac avec toute une garde-robe. Mais c’est aussi la folie de ces deux hommes qui est géniale, qui n’ont plus rien à se raccrocher sinon le simple plaisir du voyage. Cimino a surtout réussi un film extrêmement drôle, essentiellement dans les rapports entre chacun des types, cette espèce d’humour nonchalant, grotesque, en partie dû à notre duo de malfrats secondaire ridicule, Leary et Goody. Et Cimino continue de filmer les grands espaces, et la fuite ou l’enracinement de ses personnages à l’intérieur de ces grands espaces. Ces voyages inutiles. L’homme sans identité. L’homme qui traverse le temps puis disparaît. L’individu qui n’est plus dans l’histoire. La toute fin du film est à ce titre magnifique. Un butin est constamment évoqué durant le film (la raison de cette chasse à l’homme d’ailleurs), il serait caché depuis des années derrière un tableau dans une petite école du Montana. Entre temps, les recherches à son propos n’ont cessé mais l’école n’est plus où elle devait être. A l’instant où les deux hommes s’arrêtent, après que leur nouveau coup aura foiré, ils tombent sur cette école. Déplacée ici, pour l’histoire. Le butin n’aura pas bougé. Des touristes, alors en visite du lieu désormais patrimoine, s’excuseront auprès de nos deux compères, d’avoir pris des photos et déguerpiront aussi sec. Pendant ce temps et la redécouverte du trésor tant convoité, Lightfoot aura soudainement de grosses absences, une fatigue terrassante, une douleur dans le bras, des engourdissements, douleurs probablement dues à ce violent coup encaissé précédemment par Leary, qui depuis a été dévoré par les chiens. Les deux hommes chargent la voiture de lingots et s’en vont, nulle part, mais partent, sillonnent à nouveau la route. Lightfoot mourra un peu plus tard, heureux, comblé, la suite de l’histoire s’écrira sans lui. Il y a un mot qui revient sans cesse dans la bouche des protagonistes c’est le mot Progress, sur le mode de l’humour généralement, mais cela montre bien qu’ils sont rattrapés par ce progrès, qu’ils ne maîtrisent pas cette époque. Qu’ils soient (The deer hunter) ou non (Thunderbolt & Lightfoot) dans une idée logique de suivi d’un schéma de loi, d’engagement pour la patrie, les personnages des films de Cimino ne sont rien, au final, que les simples vecteurs d’une machine cassée. Et quand tout se termine bien, la mort se charge elle-même et naturellement, de couper court au rêve. Le passé tant recherché, la figure du western comme fantôme emblématique planant sur tout le film, n’est pas rattrapable. Figure de l’enfance aussi. L’individu ne peut pas traverser les époques et comme un symbole c’est le plus jeune des deux qui s’en va le premier.

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