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Archives pour septembre 2011

Deep end – Jerzy Skolimowski – 1971

deepend14Boy meets girl.

    8.5   C’est un très beau film. Un objet précieux. Je le découvrais hier au soir et j’ai déjà envie d’y retourner. Le cinéaste polonais tourne ici en Angleterre (exceptées les séquences intérieures tournées dans un studio à Munich) et propose déjà (ses deux derniers films adoptent ce style de trame) un récit initiatique en accompagnant essentiellement un personnage, inadapté au monde qui l’entoure, en l’occurrence il s’agit d’un garçon de quinze ans au prise avec une sensation nouvelle. A l’instar du dernier film de Jerzy Skolimowski, Essential killing, Deep end est un film d’action, à sa manière, un film en perpétuel mouvement témoignant d’une envie du personnage principal de survivre à tout prix, pour le premier film cité, d’être accepté et aimé, pour le second, avec qui plus est ici l’importance de l’adieu à l’adolescence car Deep end évoque un développement accéléré, entre l’arrivée dans la vie adulte par ce petit boulot et le contact féminin – une fille en particulier, les autres ne comptent pas – qui exacerbe les émotions liées à ce bouleversement.

     Mike a donc décroché un job dans les bains publics de Londres. Il travaille avec Susan, une jeune demoiselle sensiblement plus âgée que lui, et incroyablement belle, ce qui ne lui échappera pas. Dans les bains municipaux, chacun sa section, elle s’occupe des femmes, lui des hommes. Puis elle lui fera comprendre que, s’il veut obtenir des pourboires conséquents, il faut qu’ils échangent de temps à autres leur section afin qu’il se mette aux soins de femmes lesquelles demandent parfois davantage qu’une simple présence ou un shampoing. Rencontres de femmes d’ages murs d’un côté et rapprochement sensuel avec la jeune rousse au visage angélique de l’autre. Tout ici va presque trop vite pour Mike, tout est décuplé. Et la barrière de l’âge se heurte systématiquement à lui, tentant de le rattraper (cette jeune camarade de collège amoureuse, la limitation au films x, un bref retour des parents) avant de l’abandonner pour de bon (les parents sont désormais hors-champ, d’une interdiction de cinéma pour adulte il peut devenir membre d’un club privé, l’idylle avec Susan apparaît bientôt comme envisageable). A mesure que le film avance, les corps se dénudent aussi plus facilement. A ces scènes initiales du viol filmé serré, comme pour masquer toute nudité, cette image volée du garçon qui enfile son slip répondent des séquences plus explicites comme la toute fin du film évidemment, totale mise à nu, ou la rencontre avec la prostituée plâtrée mais aussi d’une irrigation sexuelle abstraite dans les bains publics. Deep end fonctionne comme le doux rêve d’un adolescent, un rêve d’amour d’une intensité phénoménale (Mike ne veut bientôt plus qu’un homme approche Susan, il croit même voir sa silhouette sur une statuette cartonnée) autant qu’il deviendrait magnifiquement érotique (Les plongées oniriques et/ou surréalistes dans la piscine).

     Il y a une scène très forte vers le début du film, où Mike est heureux de recevoir ses parents sur son lieu de travail, de montrer à son père ce qu’il sait faire, tout en espérant que Susan s’occupe comme il se doit de sa mère. C’est un moment violent dans le développement de l’enfant – à cet instant il l’est encore, « mum’s son ! » se moquera la jeune femme – puisqu’il confronte le confort et l’amour conquis d’avance de sa propre jeunesse avec cette chasse complexe du désir amoureux, renforcée par la méchanceté apparente de Susan, sans doute jalouse de ce climat familial qu’elle n’a pas eu qui traite sa mère de conne (il lui renvoie la pareille pour se venger, elle lui répond que c’est impossible puisque sa mère est morte). Le garçon vit cela comme une violence rare et le détachement – on peut dire que c’est elle qui lui coupe le cordon – démarre à cet instant là. Ce lieu clos – piscine comme charge symbolique – devient le témoin de la fin d’une adolescence, d’une innocence, empruntant divers sentiers qu’il faudra franchir afin de sortir la tête de l’eau, d’accéder à un nouvel âge.

     Skolimowski fait surgir des mouvements singuliers, désarticulés, la manière qu’a Mike de se mouvoir ressemble presque par moments à une chorégraphie, une danse syncopée du désir et de la jalousie, illustré magnifiquement par la séquence des abat-jour qu’il vient taper un a un en grimpant sur des bancs. Et cela n’intervient pas uniquement dans la gestuelle du personnage mais aussi dans le placement de la caméra : un sens de l’espace hors du commun, les allés et venues de l’objectif et une stylisation intéressante par l’utilisation d’une ambiance pop, faites de musiques entraînantes et de couleurs extravagantes.

     Les rencontres multiples qui traversent le chemin c’est aussi au centre de Essential killing. Le désir éperdu qui mène à la folie se trouve aussi dans Quatre nuits avec Anna. Deep end oscille entre plusieurs sensations, plusieurs genres. A l’ambiance glauque de cette piscine (les premières images laissent penser à un lieu abandonné, qu’il faut nettoyer, le maître-nageur est répugnant, les personnes y travaillant ne se parlant pas) répond le choix des couleurs et l’énergie de la mise en scène. Travail intense sur les couleurs primaires rappelant le Godard de Deux ou trois choses que je sais d’elle. Dynamique en faux rythme et situation géographique évoquant le Blow up d’Antonioni. Le film ne serait pas grand chose sans l’irruption d’idées qui nourrit chaque plan, d’une symbolique primaire (Ce vert qui vire au rouge) à une succession de situations inattendues (le cinéma porno). Le film ne suit pas un récit balisé, il fait quelque peu pensé, dans sa construction et sa focalisation unique, à Kes de Ken Loach. A la différence que chez Skolimowski, c’est aussi très drôle. Lorsque Mike débute avec sa première cliente pas farouche, elle n’est pas loin de le violer tout en lui parlant de football. Quand il suit sa ravissante collègue au cinéma, alors qu’elle est accompagnée de son petit ami, il se met derrière elle puis lui fait des attouchements, elle se prend au jeu avant de se plaindre à son homme et de demander l’aide de la police. C’est à la fois très marrant mais il y a comme un décalage éternel entre ces deux là qui laisse un sentiment amer, puisque lorsque lui croit en cet amour, elle ne le prend seulement comme un jeu. Cette espèce de jeu du chat et de la souris que Mike supportera de moins en moins (dès l’instant, essentiellement, où il la surprendra offrir de ses charmes à un client dans les bains publics) culminera dans deux séquences incroyables, entre désir suprême et jalousie dangereuse.

     Une séquence nocturne dans un premier temps, complètement dingue, avec une histoire de club réservé, une prostituée plâtrée qui ouvre la porte à ses clients à l’aide d’une poulie, une pancarte à l’effigie – selon le garçon – de Susan (j’adore le passage dans le métro) ou encore un savant running gag avec un vendeur de hot-dog. Le film décolle carrément, ce faux rythme installé disparaît littéralement, enrobé désormais par le son du groupe Can. Puis dans une deuxième séquence miraculeuse où le diamant d’une bague est perdu dans la neige, avant que Mike n’ait l’idée de découper un cercle de neige afin d’aller à sa recherche par l’intermédiaire d’un collant, d’une bouilloire et le fond d’une piscine vide. Les dix dernières minutes, concentrant cette recherche folle, la mise à nu des corps et le remplissage du bassin sont parmi les plus beaux moments de cinéma qu’il m’ait été donné de voir.

     J’aime énormément le contraste qu’offre ce parti pris des couleurs, qui apportent un univers solaire à l’ensemble, alors que l’essentiel se déroule en intérieur, venant faire contrepoint avec la grisaille londonienne des swinging sixties à leur déclin. J’aime cette idée que l’atmosphère traduirait aussi l’état du personnage principal, en pleine rêverie (aboutissement dans les séquences sous-marines) et idéalisation féminine qui prend corps à travers cette sublime fille rousse, au visage parfait, mélange d’inaccessibilité et de provocation. C’est un film qui apparaît aussi comme hyper mélancolique dans l’incapacité du personnage à accéder à ce désir et la gêne (que son âge agrémente) qui s’empare de lui systématiquement. J’aime énormément ce garçon, la timidité qui l’étreint mélangée à une pulsion sauvage/enfantine, une possessivité hors norme. La démarche du cinéaste dans cette image paradisiaque de l’adolescent nageant avec sa sirène est magnifique : on le voit sauter du plongeoir (sa première fois, on le voit un peu plus tôt annoncer à Susan qu’il ne l’a jamais fait de même qu’il lui avoue sa virginité) sur cette pancarte en noir et blanc supposée représenter son grand amour, nager avec elle, l’envelopper, avant que dans le plan suivant le carton prenne soudain l’apparence humaine et à la manière d’un film de Jean Vigo, Susan prend vie – scène bercée par Cat Stevens. Deep end est plein d’idées comme celle-ci, c’est un enchantement en permanence. C’est un grand film poétique, sexy, beau et désespéré.

La guerre est déclarée – Valérie Donzelli – 2011

1565292_3_e12a_image-du-film-de-valerie-donzelli-la-guerreLes combattants.

   7.5   A première vue ce n’est pas un beau sujet de cinéma, la maladie d’un enfant. Ça peut l’être, disons que ça n’inspire pas confiance. Alors, comment parler de cela, qui plus est de manière autobiographique, sans tomber dans le piège béant du misérabilisme ? Il faut l’énergie, l’inventivité, les couleurs pour contrebalancer avec le poids du récit, et mieux que cela, Valérie Donzelli décide de ne pas faire un film sur la maladie, mais un film sur un couple et leur combat. Et ce n’est pas le combat contre la maladie, puisque à priori ils n’y peuvent pas grand chose, mais le combat pour tenir. A combien d’instants les personnages, bien que guidés par cette dynamique guerrière, renforcée par le fait qu’ils soient deux, paraissent sur le point de flancher, pas de rendre les armes (à aucun moment) plutôt de craquer, naturellement, parce que ce marathon les épuise ? C’est une très belle manière de parler de ce combat, de les montrer sur la corde raide, sans jamais qu’ils ne lâchent réellement prise, ou seulement au détour d’une soirée où Roméo, un moment donné, plus suspendu que les autres sans doute, fond en larmes, nerveusement.

     Le film fonctionne parce qu’il ne laisse pas le temps, ni à eux, ni à nous, de pleurer, d’être attendri, assailli par le mélodrame. Et c’est en cela que La guerre est déclarée est un film magnifique : dans cette espèce d’alchimie entre la force de ce récit autobiographique (aurait-il été aussi fort s’ils ne l’avaient tous deux pas vécus, je veux dire est-ce qu’en pure fiction, le rendu aurait été le même, moins axé sur le récit que sur l’énergie formelle pour le raconter ?) et l’inventivité formidable de chaque plan. Le film est bourré d’idées lumineuses, de brèches entrouvertes complètement inattendues, d’une volonté coûte que coûte d’amplifier cette tension permanente via le parti pris d’une énergie folle, qui continue de servir le récit, lui offrir sa singularité plus que de le faire basculer dans un burlesque et un ridicule de situation agaçants. Par exemple, lorsque Juliette annonce la nouvelle terrible à toutes ses connaissances, le spectateur vit cet effet tsunami de façon démultipliée, la cinéaste choisissant de montrer chacune des réactions. Si elle cherche à s’éloigner d’une émotion easy elle n’oublie pas la proximité avec son spectateur, pour ne pas tomber dans un film cynique et antipathique. Alors, tous les procédés sont utilisés : son des voix masqué par l’utilisation musicale de Vivaldi, énergie du montage accentuant l’effet domino et théâtralisation de la réaction. La charge émotionnelle est à son apogée mais Valérie Donzelli ne se satisfait jamais de rien, c’est la grande réussite du film, et plutôt que de poursuivre dans une veine démonstrative et lacrymale prend l’option définitive d’emporter le spectateur dans un tourbillon, en fait, le film choisit d’emporter le spectateur aux côtés de ses personnages, qui essuient ce coup de massue avant de rebondir, « de garder le bon tout en laissant le mauvais » pour reprendre les mots de la réalisatrice, d’apporter la synergie de leur entente conjugale (comme le suscite cette belle entrée en matière) à ce combat, d’avancer « sans chercher à en savoir plus que les médecins » pour citer les mots de Roméo.

     De ce parti pris, Valérie Donzelli tire de très belles idées. Celle du rapport à la médecine par exemple, le film n’est à aucun moment un grief contre cette institution, vers lequel Roméo et Juliette, naïvement et positivement, font intégralement confiance. Ou alors cela apparaît de manière comique, où leurs inquiétudes engrangent un mélange de peur de la solitude et d’hypocondrie, comme ce moment où ils se mettent tous deux, allongés dans un lit minuscule en chien de fusil, à imaginer ce qu’il pourrait arriver de pire à leur enfant ou plus tôt ce discours de morale qu’assène Roméo à Juliette sur l’énergie laissée à des choses aussi futiles que la question d’une chambre pour les parents « Plus de question au petit personnel ! Et puis cette histoire de chambre, tu t’es cru à l’hôtel ? » lui dit-il. C’est formidable ! Et le film se muni de pépites de dialogues comme ceci, qui désamorcent encore une fois la puissance du sujet pour ne garder que l’idée de l’aventure humaine.

     Un autre truc m’a frappé dans le film c’est sa façon de parler d’un dérèglement générationnel singulier lié à la situation. L’enfant vit quelque chose de plus que ses parents (attesté par les mots de Roméo qui écrit sur un petit carnet à Adam qu’il va vivre quelque chose qu’eux-mêmes n’ont pas vécu, qu’il l’admire beaucoup en fin de compte) qui vivent eux-mêmes (par le fait que leur fils est malade) quelque chose de plus que leurs parents (voir la scène très drôle où ils leur donnent tous deux respectivement des directives à la manière de petits soldats). C’est une idée comme une autre mais c’est une idée de plus. Comme ce moment où Juliette fait la tête à Roméo parce qu’il ne s’est pas réveillé le matin, mais qu’elle maquille en un autre reproche, tandis qu’ils s’apprêtent à en discuter et la séquence se termine comme une énième déclaration d’amour doublée d’une interrogation existentielle. Ceci rejoint évidemment tous ces moments magnifiques qui s’intéressent à la complicité du couple, de la scène de la cacahuète au moment de leur rencontre à ce jeu de regard à l’hôpital qu’elle lui lance pour que ce soit lui qui demande de baisser le son de la télé, et il y en a tant d’autres.

     Une autre idée miraculeuse concerne le choix réalité/fiction que Valérie Donzelli offre à son couple, son issue. Le couple était heureux avant l’enfant puis avant la maladie de l’enfant. Le film devait initialement s’appeler Désordres, accentuant l’idée de ce double chamboulement sur la vie du couple. Et le couple devient alors une sorte de couple élu destiné à accompagner cet enfant malade, destiné à combattre ensemble pour tenir auprès de cet enfant malade. « Pourquoi c’est tombé sur nous » demande Roméo, un moment donné. « Parce qu’on est capable de surmonter ça » lui répond Juliette. Et si le couple surmonte cette montagne, il ne surmonte pas son simple fondement. Et Valérie Donzelli traite de cette rupture fragile, sans doute aussi très douloureuse (cette façon qu’elle a d’en parler en conférence ne fait aucun doute) de manière tellement pudique, simplement en nous l’annonçant par voix-off, au moment où on apprend que l’enfant est en phase de guérison. J’ai trouvé ça bouleversant. Qu’on me l’annonce de cette manière là m’a anéanti ! Et j’ai eu l’impression de trouver cette justesse tout au long de la projection. C’est un film touché par la grâce. Un film qui ne recule devant rien, qui tente des milliers de choses. Qui à l’inventivité d’un film de François Truffaut ou de Jacques Demy, l’énergie d’un Léos Carax et convoque l’excentricité d’un Xavier Dolan. Avec ses idées dans chaque plan, ce parti pris de tout essayer, entre les fondus à l’iris, les moments chantés, les déstructurations sonores, la diversification musicale (on y danse sur Offenbach lors d’une soirée ‘open kiss’), les ralentis, l’abus de couleurs vives, Valérie Donzelli a réalisé un film fou, un mélodrame pop, une hymne à la vie, au cinéma.

Le retour de l’inspecteur Harry (Sudden impact) – Clint Eastwood – 1984

sudden-impact---le-retour-de-l-inspecteur-harry_9099_33011Come-back éternel.    

   3.0   Il est intéressant d’observer combien la présence d’un metteur en scène respectable à la tête d’une série B ou d’une machine à suite comme c’est le cas ici, peut changer l’atmosphère générale qui poursuit cette chaîne de films. Sur ce point là, un réalisateur comme Tarantino me semble le meilleur moyen d’illustration, reprenant les codes de sous-films ou de films sans importance, de la série B aux drives movie d’antan pour les détourner, en faire un nouveau genre, ce qu’à mon sens un type comme Rodriguez ne sait pas faire, lui qui préfère tirer du sous-film un autre sous-film.

     La saga des Inspecteurs Harry, démarrée sous le joug de Don Siegel se poursuit maintes fois et même plus tard avec The dead pool, sans réel intérêt. L’intérêt de Sudden impact c’est Clint Eastwood. Pas devant la caméra, c’est comme James Bond il s’en sortira toujours, mais derrière, celui qui réalise. Première fois que dans cette saga il y a une attention portée aux grands espaces, aux villes qui englobent les personnages, à l’écoute d’un personnage qui a un drame à raconter. Sudden impact prend donc davantage son temps que les autres.

     C’est la seule chose dans ce film qui m’intéresse un peu : déceler un semblant de mise en scène. Le reste est cousu de fil blanc. Enième histoire de vengeance. Enième apologie de la justice par soi-même. Enième accablement des grands méchants, tous plus répugnants les uns que les autres. Enième procès de l’inefficacité de la police. C’est aussi la première fois que tout assimile Harry à la raison et la clairvoyance, comme s’il était quoi qu’il arrive la victime d’une machination à l’échelle mondiale – Des hommes sont d’ailleurs envoyés pour le tuer par ordre d’un gros truand en prison qu’il a auparavant fait coffrer. En plus de cela Harry est désormais affublé d’un bon gros chien baveux et pétomane qui amène une touche de drôlerie dans cette ambiance glauque et vénéneuse.

     Et cette fois le film se concentre sur cette jeune femme qui se venge des ravisseurs qui les ont violés dix ans auparavant, elle et sa sœur, la dernière, devenue légume muet, ne s’étant jamais remise de l’horreur. Comment ne pas définitivement nous mettre du côté de la jeune femme et donc de Harry avec tout ça ? Et le film se terminera sur le camouflage d’une vérité qui en dit long sur le cinéaste lui-même, réac au possible, qui à l’époque, encore poursuivi par les codes binaires du western, ne se posait pas les bonnes questions.

Destination finale 5 (Final destination 5) – Steven Quale – 2011

Destination finale 5 (Final destination 5) - Steven Quale - 2011 dans Steven Quale

     5.5   La franchise ne s’était jamais aussi bien portée. Pourtant, l’interrogation quant au plaisir relatif éprouvé devant la découverte de chacun des volets subsiste. L’idée première c’est le recyclage. A aucun moment le dispositif enclenché par le premier opus n’a connu de réel bouleversement :

-      Une séquence d’accident en entrée (l’explosion d’un avion, un carambolage général sur une autoroute, la chute d’un wagon dans une montagne russe, une collision de stock-cars terminant leur course dans les gradins et maintenant la chute d’un pont suspendu) vécue à chaque fois comme une prémonition. Donc, ce que l’on voit durant un quart du film ou presque à tous les coups c’est ce qu’il aurait dû se passer sans la prémonition de quelqu’un de concerné dans l’accident qui évite à lui/elle et ses amis de périr dans la catastrophe. Un petit groupe s’en tire indemne systématiquement, les autres y passent comme prévu.

-        Puis, ce petit groupe de rescapés, que l’on va suivre pendant le reste du film, va se retrouver confronter à la mort, qui cherche à finir le travail. Et chaque fois dans l’ordre dans lequel il mourrait durant la prémonition. C’est le maigre indice que celle-ci leur laisse.

-        Puis, le film se termine à chaque fois sur une séquence où une partie du groupe croit s’en être sorti (en évitant ou déjouant la mort) avant qu’ils ne soient rattrapés dans un final généralement expéditif qui contraste avec le temps accordé à la première scène du film.

     Sur cette trame peu inventive et redondante on est en droit de se demander quelles sont les raisons pour lesquelles nous retournons voir l’épisode suivant. C’est certainement parce que l’inventivité est ailleurs. Et que contrairement à Saw et d’autres conneries du genre, l’atmosphère reste drôle, volontairement. Plus drôle que sadique et moraliste en tout cas. Je rapprocherais cela du dernier film d’Alexandre Aja par exemple. Cette inventivité est la même que dans Piranhas 3D, à savoir que l’enjeu se situe dans le déroulement orchestré par ces différentes façons de mourir. On se souvient de certaines séquences des opus précédents qui valaient leur pesant d’or, comme la machine à biceps de la salle de gym, les barbelés, la salle d’UV, un enchaînement improbable dans une baignoire, au drive d’un fast food, une histoire de clous, l’airbag d’une bagnole.

     Nous n’allons pas voir un Destination finale pour une quelconque dramaturgie, ni même pour une atmosphère pesante à nous empêcher de dormir, ni même pour voir des personnages qui existent à l’écran. Aucune expérience éprouvante simplement du divertissement pop corn. Reste que l’intérêt premier de la série, ce qui fait qu’il est attrayant, supportable, c’est le minimalisme de ses effets et la non-incarnation de la mort, qui agit selon des mouvements irréguliers, suivant divers dysfonctionnements, des enchaînements improbables mais pas impossibles, en tout cas jamais de manière ostentatoire (il n’y a que dans le tout premier Destination finale qu’il y avait cette eau qui se retirait de la baignoire de manière surréaliste, c’était une mauvaise idée). La saga reste depuis toujours vide de sens, elle se construit sur du vide, il est donc légitime que ses personnages soient vides eux aussi. Ce cinquième volet tente bien quelque chose un moment donné, pour dépareiller des précédents mais ça ne marche pas bien. Il avance une théorie (par l’intermédiaire d’un croque-mort) selon laquelle il serait possible de déjouer le programme de la mort en se faisant remplacer donc en tuant quelqu’un, dans le but de prendre le restant de ses jours à lui. Le film débouche alors vers un truc un peu vain de règlement de compte entre amis pour ne pas y passer qui n’a aucun intérêt et fait perdre le charme de l’impossibilité de s’en sortir quoiqu’il arrive qui régnait depuis le premier volet.

     Néanmoins, il y a trois bonnes nouvelles dans ce Destination finale, cinquième du nom. Avant tout, l’orchestration des morts. La saga connaît désormais son top one à mon sens avec un enchaînement complètement fou (et dieu que ça dure c’est un régal) dans un gymnase. Les autres sont très biens aussi, je retiens essentiellement celle de l’opération des yeux au laser, sans doute une de celles qui sont les plus difficiles à regarder, c’est absolument immonde. La seconde bonne nouvelle se situe aux extrémités, ce sont les génériques. Magnifique entrée fort bien utilisée par la 3D. Et très beau clip final de quasiment toutes les morts de la saga. Ça lui confère un côté ultime volet, cerise sur le gâteau, d’autant plus agréable que c’est le plus réussi des cinq. Et la troisième concerne la fin du film, sa dernière scène, fort sympathique, assez inattendue et l’on se dit qu’il vaut mieux avoir vu les précédents pour que ça fonctionne mais je n’en dis pas plus. Bon cru.

La piel que habito – Pedro Almodovar – 2011

La piel que habito - Pedro Almodovar - 2011 dans Pedro Almodovar la-piel-que-habito-19-10486373enflf_1798

     5.0   Almodovar est sans nul doute le cinéaste qui illustre parfaitement l’évolution de ma sensibilité cinématographique. Aujourd’hui je n’attends aucun de ses films, j’y vais, par simple curiosité et probablement un mélange de désir de croiser à nouveau la marque de mes premières amours avec l’envie non-négligeable de se plonger encore dans un de ces récits vertigineux. Il y a quelques années, Todo sobre mi madre, puis Hable con ella avaient été des chocs telluriques tels que le cinéaste espagnol est certainement pour quelque chose dans mon amour ineffaçable pour le cinéma. Ce sont deux films que je n’ai jamais revus. J’ai peur de les revoir. Car entre-temps, mes nombreuses découvertes du reste de la filmographie du réalisateur m’ont conduit à me rendre compte, qu’il s’agisse de ses films récents (Volver, Etreintes brisées…) ou moins (Femmes au bord de la crise de nerfs, La loi du désir…) que je ne suis plus du tout sensible à ce cinéma là. Et dans le même temps je ne le déteste pas, c’est aussi pour cela que je vais systématiquement voir un film d’Almodovar, même si cela est devenu insupportable d’entendre les gens parler de la sortie d’un de ses films comme d’une importance inébranlable, de le voir chaque année en compétition au festival de Cannes avec tous ces branquignols qui s’égosillent de ne pas le voir repartir avec la plus haute distinction, comme s’il était le chef de file du cinéma européen. Ce cinéma là n’a pas bougé depuis le premier film. C’est d’ailleurs étrange cette espèce d’anachronisme permanent qui surgit des récents films d’Almodovar, comme s’il les avait tous tourner en 88. Je ne pense pas que ce soit un cinéaste qui évolue, au mieux il propose de très beaux récits qu’il agrémente avec son éternelle science du montage, on ne peut pas lui enlever ça, mais en terme de mise en scène tout est devenu morne. Car j’ai tout de même le souvenir que lorsqu’il réalise Todo sobre mi madre il y a un poil plus de dix ans, le grain est différent, le film est sombre, terrible à en pleurer et l’univers proposé (images et sons) accentue cet état funeste. Ce n’est qu’un souvenir, si ça se trouve je trouverais cela tout aussi moche que ses récents aujourd’hui je n’en sais rien, mais c’est tout de même le souvenir d’une mise en scène, d’une ambiance alliées au propos du récit. La piel que habito me semble habité d’un déséquilibre flagrant à ce niveau là : Le récit est terrible une nouvelle fois, douloureux, c’est un mélodrame extrêmement chargé comme Pedro n’en avait encore jamais fait, et pourtant j’ai sans cesse l’impression d’assister à une bouffonnerie, de m’être égaré dans une représentation du cirque Pinder ou un spectacle de Parc Astérix. Il y a quelque chose d’indigeste dans la représentation de ce mélodrame et contrairement à ce que l’on aurait vu dans une majorité d’autres films d’autres réalisateurs, l’indigestion n’intervient pas via le récit mais par l’image et le son, ces balances de couleurs assez moches, ces post synchro scandaleuses, des plans aussi travaillés que dans une sitcom. Pourtant, le récit à plusieurs niveaux ô combien casse-gueule, avec sa flopée de flash-back, se révèle rapidement (excepté la première partie du film) passionnante. J’aime l’idée qu’il y ait comme quatre films en un, que la découpe intervienne quand on ne l’attend plus, même si le procédé du double rêve m’apparaît tout de même un peu maladroit dans sa redondance et son principe d’un rêve face à un autre rêve. C’est en tout cas à partir de cet instant que l’intérêt naît de cette histoire de séquestration d’une femme cobaye à laquelle nous avions le droit depuis le début, sans trop savoir l’origine de tout ça, si ce n’est qu’on a un éminent chirurgien esthétique, spécialiste des greffes de visage, qui garde une femme dans une pièce de sa villa, qui semble être le jouet de toutes ses expériences illégales (création d’une nouvelle peau artificielle) qu’il dit réaliser sur des souris. Hormis la réalisation une fois encore, j’avais l’impression de me plonger dans un Cronenberg (Faux-semblants, Crash) le gore en moins, m’attendant à un film de chair (le film s’ouvre presque sur la scarification du corps de la jeune femme) et fascination de la souffrance, du miracle scientifique avant que justement Almodovar opère à un virage brutal, via le double rêve, précédé tout de même par l’annonce coup de poing concernant la mort de la femme du docteur Robert Ledgard (dont on apprend qu’il a offert les traits du visage à la patiente enfermée) dans un accident de voiture, quelques années plus tôt, suivi de celui de sa fille. On l’aura compris, Almodovar veut raconter davantage qu’une simple folie cronenbergienne ou qu’un mélo terrifiant à la Franju (Les yeux sans visage) ou qu’une volonté de faire revivre une morte par l’image (Vertigo). Et en cela La piel que habito devient un film très intéressant, Il n’est pas une redite, il cherche à conjuguer les genres, naviguant temporellement tout en éclaircissant petit à petit chaque zone d’ombres. Il y a comme souvent peu de subtilités même si ci et là de bonnes idées tout de même, dans le rapport à l’isolement, à l’amour, à la folie et surtout à la perte d’identité. Vicente, enlevé pour avoir selon Ledgard violé sa fille, devient Vera. Et reprend les traits de la femme de Ledgard morte six ans plus tôt. Il faudra une ruse de Vicente/Vera pour se séparer de Ledgard et s’en aller rejoindre sa mère dans le vieux magasin de fringues d’occasion. C’est très beau ce que dit le film sur l’identité, sur le fait qu’une apparence ne peut changer une identité. Vicente est méconnaissable physiquement évidemment mais ce désir de retrouver les siens est resté intact. La fin est très belle. Après c’est un film complètement improbable mais j’aime cette dimension fantastique qui nourrit le récit et souvent les films du cinéaste espagnol. Le film pourrait donc être bouleversant mais je trouve cela d’une telle platitude mise en scénique que ça occulte tout ce que j’aurais pu ressentir. Je vois ce que je n’aime pas partout donc je ne suis pas totalement emporté. Néanmoins c’est depuis Hable con ella le film de Pedro qui me surprend le plus, simplement par l’utilisation du montage qui me semble ici osé et réussi.

Tu seras mon fils – Gilles Legrand – 2011

tu-seras-mon-fils     5.0   Je pense que le titre est mal choisi. En tout cas par rapport à ce que tente de faire passer le film. Le « mon » engage Paul de Marseul, personnage campé par Niels Arestrup. Le « tu » ne concerne pas son fils, mais plutôt le fils de son complice dans la vendange. Personnage qui fait tardivement son apparition dans le film mais surtout qui reste relégué au second plan, relégué au statut de fils parfait, que Paul aurait aimé avoir, efficace et brillant dans le métier, qui sait reconnaître au goût, à l’odeur un vin d’un moins bon, y débusquer chaque saveur qu’il propose. Ce garçon est alors présent en remplacement provisoire de son père (régisseur du domaine et donc élément irremplaçable pour seconder Paul) qu’une tumeur mortelle ronge péniblement. Le titre collerait à une histoire qui se bâtirait autour de cette relation, mais le film semble beaucoup plus proche du vrai fils, Martin, joué par Lorant Deutsch, enfin nul doute qu’il affirme avec beaucoup (trop) d’empathie son penchant vers ce pauvre garçon un peu maladroit, un peu benêt, éternel ados surtout moins dictatorial que son père. Ce n’est pas grave cette affaire de titre, en soi, mais ça m’a beaucoup gêné, je ne sais pas comment s’appelle le livre que le film adapte, ni s’il raconte cette histoire de cette manière là mais je trouve frustrant que le film respecte son appellation à peine dix minutes sur toute sa durée.

     Tu seras mon fils est une énième histoire de famille, un affrontement entre un père et son fils et le film se chargera d’entrouvrir peu à peu les zones d’ombre qui le nourrissent quant au passé vécu des personnages. Rien de très original donc à découvrir des fêlures familiales ayant pour cause la mort de la mère puisqu’on ne la voit pas dans le film, on n’en parle pas, comme s’il fallait à tout prix gardé l’aspect twist pour la fin, asséné par une révélation bien emmitouflée musicalement. Cette histoire de père qui ne reconnaît pas son fils, lui qui est tout son opposé (Legrand n’y va pas subtilement quant aux différenciations entre les deux personnages, tout les oppose donc il faut le montrer) et ce garçon qui cherche désespérément la reconnaissance de son père, travaillant systématiquement dans son ombre et donc peu promis à un avenir viticole si ce n’est la reprise du domaine de son père. Sauf que Paul ne l’entend pas comme ça ! Ce n’est pas son fils qui doit reprendre les rennes, mais quelqu’un de sa trempe à lui, un battant, quelqu’un qui gère et montre qu’il gère, un jeune qui a des couilles. Tombé du ciel (Legrand choisi de forcer cette venue accentuant ainsi le pouvoir maléfique de Paul) c’est ce jeune homme, sensiblement le même âge que le fiston, installé aux Etats-Unis (l’image est encore une fois délicate) qui débarque avant tout pour rendre visite à son père malade puis pour donner un coup de main au domaine puisque l’on est en pleine vendange.

     Le film est donc attiré vers deux options : Un climat de mort permanent et l’humiliation redondante. Il ne choisit pas la bonne voie. Car pour moi c’est avant tout un film traversé par la mort, il s’ouvre sur une mort, enfin sur une incinération, le récit se situe à l’instant où le domaine est menacé parce que l’homme le plus important se meurt et puis forcément cet état qui doit tarauder Paul qui peut tout aussi bien sentir que la fin est proche et penser à celui qui le remplacera, l’épisode explicatif de la mère etc. Pour moi ça ne parle que de ça, c’est terrifiant. Mais Legrand préfère la facilité, la redondance inutile et pénible. Le film devient alors le théâtre d’une humiliation continuelle alors que jusqu’ici Paul était au mieux indifférent aux états d’âme de son fils. Niels Arestrup en fait des tonnes (plisse continuellement les yeux, fronce les sourcils, secoue la tête, pince le bec) mais il le fait bien, il est impressionnant et si j’avais ce père là il y a bien longtemps que j’aurais cessé de le côtoyer quotidiennement – cette cohabitation me semble par ailleurs improbable, dans la volonté du fils j’entends. Lorant Deutsch en fait des tonnes lui aussi (baisse les yeux, s’égosille tout seul, marmonne, grimace) mais il le fait moins bien. Tout cela rejoint ce que j’ai déjà dit, à savoir que le problème majeur du film c’est l’emphase avec laquelle il fait subvenir ces différences, cette guerre père/fils, sans aucune subtilité.

     Reste que le film se suit très bien, que la mise en scène, bien qu’un peu télévisuelle, en tout cas peu inspirée, est tout de même très sobre et sait varier les angles de vues, n’hésitant pas à utiliser (même s’il y avait cent fois mieux à faire) l’espace proposé par le domaine viticole de cette terre de Saint-émilion, dans lequel le film fut entièrement tourné. Et puis quoiqu’on en dise Tu seras mon fils est un film qui parle de vin, qui montre un peu de la fabrication des vendanges à la vinifs, qui montre aussi de belles caves où l’on débouche des vins presque centenaires, donc il donne envie de se faire un banquet et de boire du grand vin rouge et c’est déjà pas si mal.

Comment voler un million de dollars (How to steal a million) – William Wyler – 1966

Comment voler un million de dollars (How to steal a million) - William Wyler - 1966 dans William Wyler comment_voler_un_million_de_dollars_how_to_steal_a_million_1966_reference

     6.1   Pourquoi ne fait-on plus de films comme ça aujourd’hui ? La question est mal posée, puisque certains s’en rapprochent ou du moins essaient de s’en approcher. C’est simplement qu’on le fait mal. Le cinéma de ce genre est devenu un cinéma qui croit en sa réussite comique jamais vraiment en son récit ni sa mise en scène. Le film de Wyler est avant tout une comédie c’est évident, mais il est aussi un film de faussaires, pas loin du film d’espionnage, qui le fait se hisser même dans sa deuxième partie vers le film de casse imaginé avec minutie. Et sa réalisation est très belle. Peu importe qu’il soit attendu dans ses enchaînements, de nombreuses séquences sont prévisibles (le casse lui-même avec le faux cambrioleur, l’utilisation du boomerang, les deux sonneries…) mais ça n’enlève jamais au charme du film qui grâce à ses deux interprètes et une flopée de saynètes assez géniales fait que l’on ne s’ennuie jamais. La réussite ici est une réussite héritière du cinéma Hitchcockien (Audrey Hepburn ne lit-elle pas un scénario du Hitch au moment de l’intrusion chez elle de Peter O’Toole ?). Une réussite de la comédie policière au premier degré. Chez Hitchcock il y a bien entendu davantage d’idées de cinéma, un étirement de la scène et un cloisonnement supérieur, néanmoins le film de Wyler est doté d’une dynamique très forte, singulière avec son découpage en deux parties (Hitchcock encore) et les dialogues (et le vol de la vénus de Cellini) sont ciselés à merveille. 

Man on the moon – Milos Forman – 2000

Man on the moon - Milos Forman - 2000 dans Milos Forman man-on-the-moon-1999-17-g    4.0   La réussite du film de Forman tient dans son non-respect des conventions du biopic. Et c’est un spécialiste du genre (Amadeus, Larry Flint) là-dessus. Personnage quelque peu antipathique, parfois incompréhensible. Oubli volontaire d’éclaircissement du récit. Refus de l’élégance, au sens complaisant. C’est vrai que de ces points de vue là Man on the moon s’avère fascinant. Jusqu’à sa façon de brasser la vie de cet homme, sans jamais situer temporellement, sans jamais rendre important un événement de sa vie qui le fut. Tout est asséné à cent à l’heure si bien que l’on débarque dans le film sans repères, avec qui plus est une proéminence de la parole. A ce titre, la première scène est sans nul doute ce qu’il y a de mieux, avec ce personnage complètement ahuri (Jim Carrey jouant Andy Kaufman) qui nous regarde en nous débitant quelques mots avant de dire que le film est terminé (générique à l’appui enchaîné d’un écran noir d’une bonne quinzaine de secondes) puis de revenir en nous chuchotant presque à l’oreille que ce procédé l’empêche de faire partager son film à ceux qui ne le comprendraient pas. C’est vrai que l’on cerne d’emblée le personnage. Quelqu’un de fou, sur une autre planète, une sorte de farce ambulante qui semble croire que tout n’est qu’illusion, que la bêtise c’est le sérieux.

     Moi, le problème que j’ai avec ce film c’est que je le trouve justement pas assez fou, pas à la hauteur du personnage charismatique qu’il convoque. Ou alors pas suffisamment passionnant dans ses enchaînements. Forman veut tellement faire et montrer de ce personnage si imposant qu’il oublie tout le reste. Les personnages secondaires comme sa mise en scène. Je vois très peu de cinéma là-dedans dans ce qu’il a de suggestif. Très peu d’idées. L’exemple parfait ce sont les multiples contre-champ du show de Andy que Forman nous offre afin que nous suivions systématiquement les réactions du public. Tout est saccadé. Et du coup, je n’ai plus l’impression de voir le show du personnage Andy mais celui de l’acteur Jim. Je ne vois pas grand chose d’intéressant dans ce film au-delà du simple récit lequel retrace uniquement quelques moments de la vie du trublion Kaufman.

     Après, j’aime beaucoup l’idée de la farce et comment le film en parle. J’aime le fait que Forman se soit focalisé sur les parties de catchs (contre des femmes) d’Andy qui révèlent assez justement l’absurdité de ce sport/spectacle. J’aime aussi beaucoup l’instant où Andy annonce qu’il a un cancer et les pluies de rires et moqueries de ses amis qui s’abattent sur lui, certains contestant cette idée la trouvant de mauvais goût, d’autres approuvant le style jusqu’au-boutiste en continuant de le soutenir.

     Le cercle dans lequel s’est engagé Andy (Tu n’as que ce que tu as crée, lui dira son agent Shapiro) est aussi celui du film. A force de vouloir tenter de comprendre le faux on en oublie presque le vrai. Moi je vois un film qui a du rythme, une dynamique énorme, quelques moments délicieux mais à aucun moment je ne suis séduis autrement que par la farce. Jamais le film ne m’agrippe vraiment. Il reste une farce alors qu’il tente d’être autre chose, il suffit d’évoquer la fin du film. Et comme toute farce c’est marrant sur le moment puis on ne s’en souvient plus.

Pater – Alain Cavalier – 2011

19Jeux d’enfants.

     5.0   Je suis partagé entre un sentiment mitigé et une impression de satisfaction. Je craignais beaucoup ce film, voir Cavalier basculer dans la satire mais surtout le découvrir à une échelle plus large, politique alors que j’avais adoré Irène justement pour son intimité et cette force émotionnelle qui s’invitait de manière imprévisible dans quelques plans. Heureusement, on ressent toujours cette intimité dans Pater. Dans l’évocation du père, quand Cavalier, devant le miroir, regrette de l’avoir jugé parce qu’il remarque qu’il lui ressemble aujourd’hui. Mais aussi dans le jeu de rôles qu’il s’offre avec Vincent Lindon. Si Pater me plait c’est essentiellement parce qu’il est une farce entre amis, un jeu, rien qu’un jeu. Du discours politique, s’il en est (bien que ce soit à mon sens plutôt maigre) je ne retiens pas grand chose, et je ne pense pas que ce soit le propos réel de Cavalier (il suffit de constater à combien de reprises il reprend le sujet des salaires) qui préfère le cinéma comme manière d’expérimenter – moins l’image que les différents niveaux qu’offre son récit – à celui satirique et dénonciateur. Le film devient un jeu troublant du doute de ce que l’on voit en permanence. Est-ce joué, est-ce improvisé, est-ce volé ? Sans pour autant qu’il ne devienne manipulateur ni démagogique, étant donné qu’à de nombreuses reprises la difficulté de garder son sérieux empiète sur le dialogue (je me demande si ce ne sont pas les scènes sans Cavalier qui sont les plus difficiles à tourner, je parle de celles qui sont jouées, pas les autres) et permet de se rappeler que ce n’est qu’une blague. Que le film entier est une blague – Et je ne trouve pas que ce soit une blague moins intéressante que le dernier Godard. C’est une blague qui dit beaucoup de choses sur le cinéma, sur le pouvoir, sur les différents niveaux des rapports entre les hommes. Un président et son Premier ministre. Un metteur en scène et son acteur. Un père et son fils. Mais on en revient toujours à ce dernier rapport chez Cavalier c’est ce qui me plait le plus. J’aime ces questions, cette observation de soi, de son histoire et de façon plus anodine du quotidien (dressing et cravates), une posture (le dos de cette femme (celle de Lindon ?) en train de dormir), un geste (aussi bien celui d’observer cette peau qui n’est plus, passée sous chirurgie autant que l’étirement d’un chat en pleine extase – On pense à Varda). Et puis à côté de ça, quelques séquences déroutantes comme vers le début du film, l’entrée de Lindon dans une pièce, suivi d’un « Comment allez-vous monsieur le Premier ministre ? » de Cavalier en off, avant que l’acteur ne raconte une sombre histoire d’ascenseur, entièrement personnelle, avec une fougue, une impulsivité incroyables. Le monologue en lui-même est déjà génial mais c’est la façon dont il est raconté qui surprend et qui entre en parfaite adéquation avec le sujet du film : on glisse, comme à de nombreuses reprises, du jeu vers le réel. On glisse de « Premier ministre » vers « Lindon ». Cette scène m’attriste un peu en un sens car c’est la première fois que je vois un Lindon aussi puissant, aussi vrai (évidemment puisqu’il ne joue pas, enfin je crois) et je me rends compte à quel point l’acteur est sous utilisé dans le cinéma, généralement dans des rôles bien pensés, dans des rôles de bon gars – Emmanuel Carrère avait fait quelque chose de formidable de lui dans La moustache cependant. Et Cavalier qui détenait ce pouvoir illustré par cette première phrase (Président) devient simplement quelqu’un qui écoute, au même titre que son spectateur (Pas eu le temps d’être metteur en scène, il est directement passé au Pater). Et puis il y a cette scène formidable où Cavalier président propose à Lindon bientôt son successeur des photos prises du candidat adverse dans une posture peu confortable. On ne verra rien de ces clichés mais c’est aux regards et aux mots qu’on détectera ce qu’elles contiennent, avec cette phrase de Cavalier « L’homme peut-il tomber si bas ? » on est juste choqué par la coïncidence assez géniale qui s’offre en écho à l’actualité, alors que le film sortait exactement au même instant que l’affaire DSK au festival de Cannes. Pater est un film sur lequel on peut dire énormément de choses, mais je n’arrive pas bien à en parler. Mais surtout, je trouve que c’est un film très drôle, inattendu, imprévisible. Après, ça ne dépassera pour moi jamais le stade de jeu, de farce, certes passionnante, mais que je vais probablement assez vite oublier.

Tout ce que le ciel permet (All that heaven allows) – Douglas Sirk – 1956

Tout ce que le ciel permet (All that heaven allows) - Douglas Sirk - 1956 dans * 730 AllThatHeavenAllowsstillRencontre d’automne.   

   9.0   Selon Sirk, le déclencheur des maux dans la haute société c’est l’obsession du paraître. Se fondre dans la masse, faire illusion et accepter pitié et compassion. Le respect des conventions, plutôt des coutumes comme s’il y avait un cahier des charges à suivre, que l’entraver était punissable. L’idée première de All that Heaven Allows est-celle-ci. Dans un quartier résidentiel bourgeois de la Nouvelle-Angleterre, Alice, récemment veuve et mère de deux enfants à l’université, rencontre Ron, fils du jardinier (du quartier) Kirby, décédé il y a peu, reprenant provisoirement les affaires (les jardins puisque le récit se situe en pleine saison automnale) laissées par son père. L’idée du double deuil n’accentue pas uniquement le mélodrame, elle permet de légitimer cette rencontre, de la rendre lumineuse en l’utilisant comme rempart à une morosité mutuelle. Enfants et amis d’Alice tentent de lui redonner le sourire en la poussant dans de nombreuses soirées (durant lesquelles elle doit essuyer paroles compassionnelles à n’en plus finir et sympathies plutôt maladroites) puis dans les bras du vieux Harvey. On pousse vers l’acceptation du deuil mais sous certaines conditions préalables, qui ne vont bien entendu pas avec la relation qu’elle entretient bientôt avec Ron, bien plus jeune qu’elle qui plus est. Le film de Sirk est une tendre bataille, entre un homme et une femme que tout oppose dans un premier temps, deux éducations bien différentes, deux point de vue et manières de vivre discordantes. Il voudrait l’amener chez lui dans un vieux moulin en pleine campagne, la demander en mariage, vivre parmi la chasse, la neige, les biches et une vieille cheminée. Elle ressent comme l’obligation de rester en ville, de poursuivre le deuil de son mari, de s’occuper de ses enfants. Elle croule sous le poids des traditions que son fils ne s’empêche pas de lui rappeler constamment, lui qui ne comprend absolument pas qu’elle puisse tomber amoureuse d’un jeune tas de muscle, dit-il, et que forcément ça lui passera. Mais il n’y a ni besoin de vendre la maison de famille, ni besoin de remiser la vieille coupe de papa. Chez Sirk la bataille reste tendre. Mais elle est là, elle existe, c’est le même style de bataille contre l’apparence, la convention, le préjugé que l’on verra plus tard dans Mirage de la vie. La dynamique du film et cette musique quasi permanente crée une sorte de tension qui ne décroît pas une seule seconde et ce jusqu’à la dernière scène. C’est presque s’il ne faut pas par instant retenir son souffle tellement l’enchaînement est puissant. Je pense évidemment à la scène de la télévision, cet instant si important qui précède le retour d’Alice. Ce moment où elle se rend compte du gâchis. Avec cette télé qu’elle a toujours refusée (elle disait que cela servait aux gens esseulés) offerte par ses enfants peu avant qu’il ne s’éloigne pour toujours, lui à l’étranger, elle dans son mariage. C’est magnifique, une fois de plus.

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