6.5 C’est une renaissance. Celle d’une femme que l’on n’a pas appris à écouter, à comprendre. Une souffrance si terrible que lorsqu’elle s’extériorise il ne vaut mieux pas être à côté. Une souffrance qui se traduit par des accès de rage ou simplement un repli sur soi. Le film de Bonnell est scindé en deux parties. La scission est légitime pourtant c’est aussi à mes yeux la limite du film. Le traitement est si différent entre les deux parties que dans la seconde je regrette qu’on en ait eu une première. L’illustration c’est l’absence du père. Afin de renaître, la jeune femme se doit de retrouver le cimetière où il a été enterré, alors qu’il est décédé quand elle avait onze ans et qu’elle n’avait pas assisté à la cérémonie – chose qui la tracasse autant que ça l’attriste – car elle était trop jeune selon son frère. Mais elle sait très bien que c’était à cause de sa maladie, que sa mère avait sans doute cachée à son mari. En fait, cette explication n’a pas grande importance selon moi, c’est le souci de cette première partie de film : nous mettre sur la voie, nous préparer au radicalisme de la seconde. J’aurai préféré ne rien savoir, ne pas être au courant du motif de sa recherche, du déclencheur de sa renaissance. Car cette très belle séquence (la recherche de la tombe) me touche assez peu, je l’attendais. Je n’aime d’ailleurs pas vraiment la scène des chaises non plus, trop évidente, même si j’apprécie que cette rencontre n’aboutisse sur rien, qu’il y en aura une autre plus tard, bien plus puissante. Pour revenir à l’idée de scission, et en ce sens ça devient la grande force du film, la mise en scène de Bonnell change complètement avant et après la séquence en voiture, dont on ne verra rien sinon une route sillonnée très rapidement, de nuit avant que les phares d’une voiture en sens inverse ne vienne plonger l’écran dans le noir puis qu’au jour la jeune femme soit sur le bord d’une route de campagne. Le cinéaste laisse bien entendu planer l’idée d’une mort comme image d’un recommencement. Nous sommes à la moitié du film et nous ne verrons plus rien d’avant. Plus de frère. Peut-être même plus de Fanny, tant dans un premier temps on a ce sentiment qu’elle est guérie. Les yeux clairs était un film d’intérieur, il devient un film de forêt. C’était un film français. Tout se passera dorénavant en Allemagne, mais il deviendra presque un film muet. A la faveur d’une rencontre assez magnifique, Fanny est invitée chez un homme qui après lui avoir changé sa roue de voiture et conduite au cimetière qu’elle recherchait finit par lui offrir un verre chez lui et le plaisir de prendre une douche. Petit détail mais pas des moindres, l’homme ne parle pas un mot de français et cette rencontre devra se faire sans les mots sans doute pour le plus grand plaisir de l’un comme de l’autre. C’est d’ailleurs avec émotion que je retrouve, en la personne de cet homme Lars Rudolph, qui jouait Jànos Valuska dans Les Harmonies Werckmeister. Bonnell saisit des choses incroyables dans cette seconde partie, une scène de baiser magique ou encore de petites merveilles éparses lumineuses – la scène du piano par exemple. Lorsque le volcan entre à nouveau en éruption, avec cette violence que l’on apprit à apprivoiser, on s’inquiète pour le jeune homme. On doute de la ténacité de cette relation uniquement basée sur la confiance et l’interaction des regards, le flottement des corps, le mystère de la pensée. Mais cela se fait naturellement, non sans inquiétude et incompréhension, mais il a la merveilleuse idée de lui laisser se sortir de cet état, sans la regarder avec méfiance, sans la juger. Il est difficile de parler du deuxième film (après le chignon d’Olga) de Jérôme Bonnell, il faut entrer dans sa respiration, se mettre en synergie avec le film et les personnages. C’est en tout cas un beau voyage.
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