Jeux d’enfants.
5.0 Je suis partagé entre un sentiment mitigé et une impression de satisfaction. Je craignais beaucoup ce film, voir Cavalier basculer dans la satire mais surtout le découvrir à une échelle plus large, politique alors que j’avais adoré Irène justement pour son intimité et cette force émotionnelle qui s’invitait de manière imprévisible dans quelques plans. Heureusement, on ressent toujours cette intimité dans Pater. Dans l’évocation du père, quand Cavalier, devant le miroir, regrette de l’avoir jugé parce qu’il remarque qu’il lui ressemble aujourd’hui. Mais aussi dans le jeu de rôles qu’il s’offre avec Vincent Lindon. Si Pater me plait c’est essentiellement parce qu’il est une farce entre amis, un jeu, rien qu’un jeu. Du discours politique, s’il en est (bien que ce soit à mon sens plutôt maigre) je ne retiens pas grand chose, et je ne pense pas que ce soit le propos réel de Cavalier (il suffit de constater à combien de reprises il reprend le sujet des salaires) qui préfère le cinéma comme manière d’expérimenter – moins l’image que les différents niveaux qu’offre son récit – à celui satirique et dénonciateur. Le film devient un jeu troublant du doute de ce que l’on voit en permanence. Est-ce joué, est-ce improvisé, est-ce volé ? Sans pour autant qu’il ne devienne manipulateur ni démagogique, étant donné qu’à de nombreuses reprises la difficulté de garder son sérieux empiète sur le dialogue (je me demande si ce ne sont pas les scènes sans Cavalier qui sont les plus difficiles à tourner, je parle de celles qui sont jouées, pas les autres) et permet de se rappeler que ce n’est qu’une blague. Que le film entier est une blague – Et je ne trouve pas que ce soit une blague moins intéressante que le dernier Godard. C’est une blague qui dit beaucoup de choses sur le cinéma, sur le pouvoir, sur les différents niveaux des rapports entre les hommes. Un président et son Premier ministre. Un metteur en scène et son acteur. Un père et son fils. Mais on en revient toujours à ce dernier rapport chez Cavalier c’est ce qui me plait le plus. J’aime ces questions, cette observation de soi, de son histoire et de façon plus anodine du quotidien (dressing et cravates), une posture (le dos de cette femme (celle de Lindon ?) en train de dormir), un geste (aussi bien celui d’observer cette peau qui n’est plus, passée sous chirurgie autant que l’étirement d’un chat en pleine extase – On pense à Varda). Et puis à côté de ça, quelques séquences déroutantes comme vers le début du film, l’entrée de Lindon dans une pièce, suivi d’un « Comment allez-vous monsieur le Premier ministre ? » de Cavalier en off, avant que l’acteur ne raconte une sombre histoire d’ascenseur, entièrement personnelle, avec une fougue, une impulsivité incroyables. Le monologue en lui-même est déjà génial mais c’est la façon dont il est raconté qui surprend et qui entre en parfaite adéquation avec le sujet du film : on glisse, comme à de nombreuses reprises, du jeu vers le réel. On glisse de « Premier ministre » vers « Lindon ». Cette scène m’attriste un peu en un sens car c’est la première fois que je vois un Lindon aussi puissant, aussi vrai (évidemment puisqu’il ne joue pas, enfin je crois) et je me rends compte à quel point l’acteur est sous utilisé dans le cinéma, généralement dans des rôles bien pensés, dans des rôles de bon gars – Emmanuel Carrère avait fait quelque chose de formidable de lui dans La moustache cependant. Et Cavalier qui détenait ce pouvoir illustré par cette première phrase (Président) devient simplement quelqu’un qui écoute, au même titre que son spectateur (Pas eu le temps d’être metteur en scène, il est directement passé au Pater). Et puis il y a cette scène formidable où Cavalier président propose à Lindon bientôt son successeur des photos prises du candidat adverse dans une posture peu confortable. On ne verra rien de ces clichés mais c’est aux regards et aux mots qu’on détectera ce qu’elles contiennent, avec cette phrase de Cavalier « L’homme peut-il tomber si bas ? » on est juste choqué par la coïncidence assez géniale qui s’offre en écho à l’actualité, alors que le film sortait exactement au même instant que l’affaire DSK au festival de Cannes. Pater est un film sur lequel on peut dire énormément de choses, mais je n’arrive pas bien à en parler. Mais surtout, je trouve que c’est un film très drôle, inattendu, imprévisible. Après, ça ne dépassera pour moi jamais le stade de jeu, de farce, certes passionnante, mais que je vais probablement assez vite oublier.
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