Les combattants.
7.5 A première vue ce n’est pas un beau sujet de cinéma, la maladie d’un enfant. Ça peut l’être, disons que ça n’inspire pas confiance. Alors, comment parler de cela, qui plus est de manière autobiographique, sans tomber dans le piège béant du misérabilisme ? Il faut l’énergie, l’inventivité, les couleurs pour contrebalancer avec le poids du récit, et mieux que cela, Valérie Donzelli décide de ne pas faire un film sur la maladie, mais un film sur un couple et leur combat. Et ce n’est pas le combat contre la maladie, puisque à priori ils n’y peuvent pas grand chose, mais le combat pour tenir. A combien d’instants les personnages, bien que guidés par cette dynamique guerrière, renforcée par le fait qu’ils soient deux, paraissent sur le point de flancher, pas de rendre les armes (à aucun moment) plutôt de craquer, naturellement, parce que ce marathon les épuise ? C’est une très belle manière de parler de ce combat, de les montrer sur la corde raide, sans jamais qu’ils ne lâchent réellement prise, ou seulement au détour d’une soirée où Roméo, un moment donné, plus suspendu que les autres sans doute, fond en larmes, nerveusement.
Le film fonctionne parce qu’il ne laisse pas le temps, ni à eux, ni à nous, de pleurer, d’être attendri, assailli par le mélodrame. Et c’est en cela que La guerre est déclarée est un film magnifique : dans cette espèce d’alchimie entre la force de ce récit autobiographique (aurait-il été aussi fort s’ils ne l’avaient tous deux pas vécus, je veux dire est-ce qu’en pure fiction, le rendu aurait été le même, moins axé sur le récit que sur l’énergie formelle pour le raconter ?) et l’inventivité formidable de chaque plan. Le film est bourré d’idées lumineuses, de brèches entrouvertes complètement inattendues, d’une volonté coûte que coûte d’amplifier cette tension permanente via le parti pris d’une énergie folle, qui continue de servir le récit, lui offrir sa singularité plus que de le faire basculer dans un burlesque et un ridicule de situation agaçants. Par exemple, lorsque Juliette annonce la nouvelle terrible à toutes ses connaissances, le spectateur vit cet effet tsunami de façon démultipliée, la cinéaste choisissant de montrer chacune des réactions. Si elle cherche à s’éloigner d’une émotion easy elle n’oublie pas la proximité avec son spectateur, pour ne pas tomber dans un film cynique et antipathique. Alors, tous les procédés sont utilisés : son des voix masqué par l’utilisation musicale de Vivaldi, énergie du montage accentuant l’effet domino et théâtralisation de la réaction. La charge émotionnelle est à son apogée mais Valérie Donzelli ne se satisfait jamais de rien, c’est la grande réussite du film, et plutôt que de poursuivre dans une veine démonstrative et lacrymale prend l’option définitive d’emporter le spectateur dans un tourbillon, en fait, le film choisit d’emporter le spectateur aux côtés de ses personnages, qui essuient ce coup de massue avant de rebondir, « de garder le bon tout en laissant le mauvais » pour reprendre les mots de la réalisatrice, d’apporter la synergie de leur entente conjugale (comme le suscite cette belle entrée en matière) à ce combat, d’avancer « sans chercher à en savoir plus que les médecins » pour citer les mots de Roméo.
De ce parti pris, Valérie Donzelli tire de très belles idées. Celle du rapport à la médecine par exemple, le film n’est à aucun moment un grief contre cette institution, vers lequel Roméo et Juliette, naïvement et positivement, font intégralement confiance. Ou alors cela apparaît de manière comique, où leurs inquiétudes engrangent un mélange de peur de la solitude et d’hypocondrie, comme ce moment où ils se mettent tous deux, allongés dans un lit minuscule en chien de fusil, à imaginer ce qu’il pourrait arriver de pire à leur enfant ou plus tôt ce discours de morale qu’assène Roméo à Juliette sur l’énergie laissée à des choses aussi futiles que la question d’une chambre pour les parents « Plus de question au petit personnel ! Et puis cette histoire de chambre, tu t’es cru à l’hôtel ? » lui dit-il. C’est formidable ! Et le film se muni de pépites de dialogues comme ceci, qui désamorcent encore une fois la puissance du sujet pour ne garder que l’idée de l’aventure humaine.
Un autre truc m’a frappé dans le film c’est sa façon de parler d’un dérèglement générationnel singulier lié à la situation. L’enfant vit quelque chose de plus que ses parents (attesté par les mots de Roméo qui écrit sur un petit carnet à Adam qu’il va vivre quelque chose qu’eux-mêmes n’ont pas vécu, qu’il l’admire beaucoup en fin de compte) qui vivent eux-mêmes (par le fait que leur fils est malade) quelque chose de plus que leurs parents (voir la scène très drôle où ils leur donnent tous deux respectivement des directives à la manière de petits soldats). C’est une idée comme une autre mais c’est une idée de plus. Comme ce moment où Juliette fait la tête à Roméo parce qu’il ne s’est pas réveillé le matin, mais qu’elle maquille en un autre reproche, tandis qu’ils s’apprêtent à en discuter et la séquence se termine comme une énième déclaration d’amour doublée d’une interrogation existentielle. Ceci rejoint évidemment tous ces moments magnifiques qui s’intéressent à la complicité du couple, de la scène de la cacahuète au moment de leur rencontre à ce jeu de regard à l’hôpital qu’elle lui lance pour que ce soit lui qui demande de baisser le son de la télé, et il y en a tant d’autres.
Une autre idée miraculeuse concerne le choix réalité/fiction que Valérie Donzelli offre à son couple, son issue. Le couple était heureux avant l’enfant puis avant la maladie de l’enfant. Le film devait initialement s’appeler Désordres, accentuant l’idée de ce double chamboulement sur la vie du couple. Et le couple devient alors une sorte de couple élu destiné à accompagner cet enfant malade, destiné à combattre ensemble pour tenir auprès de cet enfant malade. « Pourquoi c’est tombé sur nous » demande Roméo, un moment donné. « Parce qu’on est capable de surmonter ça » lui répond Juliette. Et si le couple surmonte cette montagne, il ne surmonte pas son simple fondement. Et Valérie Donzelli traite de cette rupture fragile, sans doute aussi très douloureuse (cette façon qu’elle a d’en parler en conférence ne fait aucun doute) de manière tellement pudique, simplement en nous l’annonçant par voix-off, au moment où on apprend que l’enfant est en phase de guérison. J’ai trouvé ça bouleversant. Qu’on me l’annonce de cette manière là m’a anéanti ! Et j’ai eu l’impression de trouver cette justesse tout au long de la projection. C’est un film touché par la grâce. Un film qui ne recule devant rien, qui tente des milliers de choses. Qui à l’inventivité d’un film de François Truffaut ou de Jacques Demy, l’énergie d’un Léos Carax et convoque l’excentricité d’un Xavier Dolan. Avec ses idées dans chaque plan, ce parti pris de tout essayer, entre les fondus à l’iris, les moments chantés, les déstructurations sonores, la diversification musicale (on y danse sur Offenbach lors d’une soirée ‘open kiss’), les ralentis, l’abus de couleurs vives, Valérie Donzelli a réalisé un film fou, un mélodrame pop, une hymne à la vie, au cinéma.