La vie est un miracle.
6.5 Avant d’évoquer quelconque miracle, le film raconte un quotidien, se veut très respectueux des rituels de Lourdes, la ville. Des pèlerins, malades ou non, se recueillent pour implorer le saint esprit. C’est avec beaucoup de patience et d’admiration curieuse que la cinéaste s’attarde sur les différents lieux/étapes de ce voyage initiatique collectif et pourtant complètement individuel concernant l’espérance d’un miracle (j’y reviens). Les grottes de Lourdes, les fortifications, les jardins, la montagne dans le but d’y rencontrer tous ces regards d’espoir. Il manque de la passion à ce film, le charme d’un éclat, d’une envolée lyrique, car tout apparaît comme décharné, vidé de sa substance spirituelle. Jessica Hausner n’est pas chrétienne (elle ne le cache pas, elle cherchait à faire un film qui parle de miracle et l’endroit lui semblait tout indiqué, c’est tout) c’est ce qui lui manque pour filmer Lourdes.
Néanmoins, à l’image de cette première séquence clinique (le plan unique, légèrement surélevé, d’une salle de réfectoire filmée dans sa globalité où l’on y suit la préparation d’un repas puis l’entrée des malades et de leur accompagnatrices) et représentative de la suite du film, il y a quelque chose de fort dans ce que souhaite nous offrir la réalisatrice. Filmer l’espoir. L’espoir de tout un groupe de personnes. Puis, comme attendu, Jessica Hausner parle du miracle, avant de filmer ce miracle. D’abord les dires de femmes habituées, la projection d’un film dans le film d’un homme paralysé qui remarche, ou encore la feinte d’un miracle avec cette jeune demoiselle tétraplégique.
C’est Christine (Sylvie Testud) qui va avoir l’honneur de ce miracle, elle et sa sclérose en plaques qui ne lui laisse que la possibilité de contrôler le haut de son corps. Jessica Hausner ne s’intéresse pas uniquement à ce personnage pendant le film, mais aussi à ces deux accompagnants de l’Ordre de la croix de Malte, Maria représentant la jeune demoiselle sans doute forcée par le catholicisme familial à participer aux balades lourdaises alors qu’elle est davantage intéressée par les garçons qu’elle y croise. Et puis Cécile, femme accompagnatrice intransigeante, respectueuse des moindres gestes et coutumes dont le cœur à l’ouvrage est exacerbé par ce que l’on découvre d’elle plus tard, à savoir une maladie cancéreuse qu’elle dissimulait soigneusement. Ce film brasse des choses très belles. A l’image de la question de cet homme un moment donné qui se demande si Dieu est bon ou Tout-puissant, que s’il était doté des deux pouvoirs il guérirait tout le monde. Pour revenir à la séquence pivot du film, il y a une désincarnation du miracle chez Hausner qui révèle une double non-croyance. En dieu et en le cinéma. Puisqu’il suffit de rappeler comment les apparitions étaient traitées dans le dernier film de Manoel de Oliveira. Y a de quoi être frustré si ce n’est davantage. L’idée clinique entamée dès la première scène est poussée à son paroxysme, je veux bien, pourquoi pas (j’adore le cinéma d’Haneke par exemple qui comme chacun sait ne fait pas le cinéma le plus vivant et fantasmatique de tous) le problème c’est qu’ici ça n’offre aucun relief, il manque un souffle, une passion qui nous ferait hérisser les poils.
C’est tout le contraire que le film propose à la fin. Un truc incroyable. Le miracle est admiré (on ne parle que de Christine), acclamé (remise du prix du meilleur pèlerin) mais le doute subsiste quant à savoir si ce miracle est ou non définitif. Un bal est organisé pour fêter la fin du pèlerinage, on se met à chanter puis à danser. Christine danse avec cet homme qui était jusqu’ici le symbole de l’espoir d’un amour impossible. Elle danse dans les bras d’un homme, c’est une renaissance. Puis un moment donné ses jambes flanchent. Elle se relève doucement, prudemment mais c’est trop tard, pour presque tous c’en est terminé du miracle, les gens la regardent d’un air désespéré, pourtant Christine dit qu’elle va bien, autant pour rassurer que pour se rassurer. Sa partenaire de chambre, une vieille dame, lui apporte son fauteuil roulant. Christine lui fait comprendre qu’elle n’en a pas besoin et reste debout, le regard plein d’inquiétude, à contempler le groupe et la suite de la fête qui a repris son cours. On chante et danse Félicita. Puis elle finit par s’asseoir sur ce fauteuil et disparaît du cadre. Il faut voir avec quelle puissance ces cinq minutes incroyables sont transfigurées. Ça m’a bouleversé. L’espace d’un instant – et ce dernier plan n’est pas long, guère plus de quarante-cinq secondes – je retrouvais cette suspension du temps, ce détachement miraculeux, cette prise de conscience muette assez unique que je n’avais plus rencontré depuis Trys Dienos de Sharunas Bartas (la scène d’étreinte pendant la fête mondaine) et Us go home de Claire Denis (la fin du film). C’est dans le(s) regard(s) et la durée qu’on offre à ce(s) regard(s) qu’il se passe un truc de nouveau qui dit que quelque chose s’est passée, se passe puis ne se reproduira plus. Ici c’est un regard d’inquiétude et de reconnaissance envers ce miracle, ce brin de chance, ce dérèglement corporel, appelez cela comme vous voulez, qui permet cette fin sublime. Jessica Hausner ne donne pas de réponse définitive à la cessation ou non de ce miracle, ce n’est pas très important de toute façon (ou alors nous deviendrions comme ces deux mégères, qui apportent au film cette touche cynique et absurde, toutes deux suspendues à l’idée du miracle qui se produit, uniquement pour être là pour le voir puis le raconter), l’important c’est que l’on a entrouvert, durable ou non, cette porte d’accès à l’espoir d’une vie, qu’il a été possible, miraculeusement, de transformer la réalité.
0 commentaire à “Lourdes – Jessica Hausner – 2011”