Intimité.
7.5 C’est un acte de résistance ! Ou comment faire du cinéma quand on est interdit d’en faire. Assigné à domicile en l’attente de son jugement en cours d’appel concernant une peine de six années de prison, ainsi que l’interdiction et d’exercer le métier pendant vingt ans et de quitter le territoire iranien (autant dire : mort symbolique de l’artiste) Jafar Panahi se demande de quelle manière il pourrait faire parler sa créativité. Ceci n’est pas un film devient le film de cet acte clandestin.
Si à ce jour je ne connais que Hors-jeu du cinéaste iranien, je peux dors et déjà déceler cette fascination pour l’éclatement du récit, ce goût pour la fuite et le glissement, ces départs simples qui s’alambiquent, permettant à ces films de s’extraire d’un état conceptuel qui l’enfermerait dans un récit uniquement politique. Panahi va beaucoup plus loin que l’un de ses compères, Asghar Farhadi, dont on a beaucoup parlé cette année puisqu’il est l’auteur du carton iranien inattendu, Une séparation. Plus le temps passe plus je me demande ce qu’il reste de ce film, en dehors de la puissance de son récit, de son énergie ; que reste t-il pour le cinéma ? Ceci n’est pas un film est une réponse intéressante puisque au-delà de son aspect « film courage », comme Une séparation pourrait reprendre comme étiquette « film de gauche », le film va bien plus loin et devient le manifeste fou et passionnant d’un homme qui continue de tenter des choses alors qu’il n’en a plus le droit. Ce sont ces tentatives et ces fuites dans le film, qu’elles soient ou non improvisées, qui méritent à elles seules que l’on fasse le déplacement.
Le film s’ouvre lentement sur une approche du quotidien de Jafar Panahi. Il prend son petit déjeuner, la caméra est posée en face de lui, pour déjà rappeler qu’il va jouer de son statut « interdit de » qui lui colle à la peau. On ne le ressent pas vraiment encore mais le cinéaste se lasse déjà. Il veut davantage. C’est un coup de téléphone qu’il va donner qui va opérer un premier virage dans le film. Dans un premier temps on ne comprend pas tout à fait où il veut en venir, mais on apprendra ensuite qu’il s’agissait à l’autre bout du fil de Motjaba Mirtahmasb que Panahi invite pour que celui-ci le filme. On le lui a interdit de filmer mais pas de faire l’acteur ni de lire un scénario, dit-il. Jamais de satisfaction. Ce sont les premiers signes.
Panahi a beau commencer devant la caméra, il terminera derrière. Il y a deux séquences intéressantes au début du film qui participent à rendre prudent le cinéaste et installent le film dans une certaine douceur angoissante. Le premier plan où l’on voit une chaise vide dans un appartement, avec la ville derrière, la caméra est posée sur une table, puis Panahi apparaît, on comprend qu’il a mis en marche l’enregistrement mais il préfère, par méfiance, s’en éloigner. La deuxième se situe un poil plus tard lorsque cette même caméra est posée sur une chaise dans sa chambre et on le découvre en train de s’habiller, avant qu’il ne vienne chercher la caméra pour l’emmener dans une autre pièce. Le déplacement est brutalement coupé. Ce n’est pas encore le moment. C’est d’abord une quête, un jeu d’observation, une recherche. Panahi fait quelque chose qu’il n’a pas l’habitude de faire, donc il tâtonne. Une heure plus tard, il y a un plan similaire à celui que j’évoquais précédemment. Panahi abandonne son téléphone portable, prend sa caméra, nous sommes dans la dernière partie du film et s’en va filmer, reprendre du service. C’est exactement ce que procure cette séquence. Le plan cette fois n’est pas coupé, il traverse l’appartement, en sort, effectue un curieux voyage dans l’ascenseur puis se termine logiquement dehors.
Le film est poursuivi de ces deux obsessions. Faire du cinéma, mais surtout faire du cinéma dans la rue. Panahi ne cessera d’évoquer cet extérieur qui lui manque. Afin de contrer cette impossibilité, plusieurs ingéniosités s’imposent. Le cinéaste a l’idée lumineuse de mettre en scène dans son film, à l’aide d’un tapis de salon, d’une chaise, d’un coussin, d’un téléphone, d’un ruban adhésif, un scénario qu’on lui a interdit de tourner. Un autre qu’on lui a interdit de faire. Ceci n’est pas un film devient momentanément le récit de cet autre film interdit. Problème est que Panahi se lasse vite. Le masque du résistant tend à se rompre et c’est alors qu’il se réfugie dans une errance muette. Et puis dans le même temps il se demande alors l’intérêt de mettre en scène un film que l’on peut raconter.
Cette tentative de mise en scène miniature avortée – bien qu’il la reprenne un temps plus tard – Motjaba Mirtahmasb continue de filmer Jafar Panahi, dans son errance, sa réflexion pour contrer l’interdiction. Un bref passage sur Internet suffit à évoquer la situation avec tous ces sites bloqués. Puis ce seront les morceaux de deux de ses propres films, que Panahi nous montre via dvd sur son écran télé pour interroger le présent et effectuer un comparatif entre les deux demoiselles des films et lui-même. Cette jeune fille qui se rebelle sur le tournage du film Le miroir, l’actrice pas le personnage, décidant de se séparer de son plâtre qu’on lui a affublé pour les besoins du film alors qu’elle n’en a pas besoin. Il faut enlever le plâtre. Ce sont les mots de Panahi au début de son film un peu avant qu’il nous raconte cette drôle d’histoire. Enlever le plâtre. Comme se libérer, refuser un statut, en choisir un autre. En l’occurrence ne plus faire de film mais un film qui n’en est pas un.
Qui alimentent ce « non film » il y a ce magnifique iguane, incarnation du mythe, de l’invulnérabilité, qui vadrouille à son rythme dans cet appartement, entre canapé et bibliothèque avant de venir s’installer sur le torse du cinéaste qui se plaint de ses longues griffes. L’espace d’un instant on croirait débarquer dans un film d’Herzog. Et il y a cet extérieur, au climat sonore chargé. On y entend, perpétuellement hors-champ, des bruits d’explosion, Téhéran paraît plongée dans le chaos. Puis l’on apprendra via l’actualité télévisuelle qu’il s’agit d’une festivité locale illégale, la fête du feu. Une fête interdite. Tout le film semble converger vers ce statut là. D’ailleurs, à la fin du film, par un curieux (hasard ou non, qu’importe) voyage en ascenseur aux côtés d’un homme chargé de descendre les poubelles de l’immeuble, Panahi le suit, cherche en un sens à s’évader. Il doit voyager parmi la merde (les sacs poubelles) pour se sortir des griffes, non pas de l’iguane mais du régime iranien. Panahi devient alors une caméra. Elle se faufile à l’extérieur de l’immeuble et vient capter un morceau de cette fête du feu avant qu’un écran noir ne vienne interrompre brutalement cette utopie magnifique. Avant cela, Motjaba Mirtahmash avait posé la caméra sur la table du salon, la laissant tourner. Il devait partir. Mais la caméra devait tourner. Encore et encore. Filmer avant tout. Nous n’avions pas fait attention mais Panahi tournait depuis déjà un moment avec un téléphone portable, c’était plus fort que lui. Contraint de filmer en qualité médiocre il reprenait alors dans une dernière partie l’objet interdit. Pour aller au plus loin de sa démarche. Panahi ne gagnera sans doute pas son procès, mais il aura filmé la rue.
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