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Archives pour décembre 2011

Eyes Wide Shut – Stanley Kubrick – 1999

ews-maskStrangers in the night.  

   10.0   Au-delà du questionnement sur le couple, je crois que Eyes wide shut évoque ce que l’on croit maîtriser et qui nous échappe. C’est une remise en cause des certitudes et œillères conjugales, ce qui est ancré, indéfectible, ce qui supprime le désir, anéantit la conscience. Bill est de ces hommes qui portent ce masque – on le porte tous à une échelle différente – et croient à ce privilège de la possession. Il sait flirter, jouer de ses charmes car il sait revenir aux fondements inaltérables de son couple. Alice est en proie aux doutes et lui fait partager. Elle lui installe ce doute. Elle sait flirter aussi bien que lui – rapprochements avec le danseur hongrois – mais elle masque une autre vérité, plus intense, inavouable. La réussite tient aussi dans ce choix là, ce n’est pas le flirt mutuel qui permet cette discussion cartes sur table, il n’est que le fer de lance de l’aveu.

     Cette séquence démarre d’ailleurs dans une atmosphère post soirée alcoolisée, sur le lit conjugal, tout ce qu’il y a de plus banal, excepté le fait qu’ils soient tous deux bien éméchés. Et la puissance grimpant crescendo vient de cette apparente trivialité. Jusqu’ici le couple paraissait survivre à ces pulsions, ces désirs extérieurs qu’ils devaient sans doute matérialiser plus tard, entre eux. L’aveu devient alors le pivot du film puisqu’il sert de remise en question. En quoi leur couple peut-il surmonter au point d’occulter ce désir ? C’est ce que semble demander Alice à son mari. Mais c’est une déclaration de confiance un peu prétentieuse qui sonnera le glas d’une hypocrisie pas véritablement forcée mais bien présente. Ce n’est pas seulement en moi que j’ai confiance mais en toi, semble t-il lui dire. L’aveu de la pulsion d’adultère refoulée d’Alice intervient à cet instant là, en réponse à cette confiance suffisante qu’elle ne supporte plus.

     Cette séquence est étonnante. Elle démarre sur un rien et serait restée rien si tous deux avaient été sur la même longueur d’ondes, si tous deux tenaient une réflexion identique sur leur couple. Aux doutes d’Alice répond la nonchalance de Bill. Elle parle des deux minettes qu’elle l’a vu en train de draguer mais c’est pour éclaircir autre chose de plus grand. Il ne la prend d’ailleurs pas au sérieux et prétexte l’ivresse pour ne pas tomber dans son jeu. Or, ce qui prenait l’apparence d’un jeu cesse de l’être. Et Bill doit alors faire face à ce qu’il croit d’abord être de la jalousie, il croit donc se positionner du bon côté, celui enviable du profiteur qui met mal à l’aise sa partenaire. Ils abordent tous deux cette discussion voire cette scène de ménage, sur deux niveaux différents. Il croit être assené de remontrances, elle veut simplement lui faire une révélation qui va l’ébranler. C’est un coup de massue terrible qu’il doit encaisser en faisant face d’une part à cette hystérie et ce fou rire désagréable avant d’entendre cette histoire qui apparaît comme l’événement le plus intensément érotique que sa femme ait eu à vivre.

     Bill n’avait pas de soupçon puisqu’il ne pensait qu’aux actes, il savait qu’Alice tout aussi bien que lui, pouvait flirter sans suite. Il n’imaginait pas encore que l’on pouvait tromper par la pensée. Et cet officier de marine, l’année passée, qu’un simple jeu de regard a suffit à Alice pour être subjuguée (je ne pouvais plus bouger, lui dira t-elle) devient alors le spectre de toutes les inquiétudes auxquelles devra dorénavant faire face Bill. Mais ce n’est pas un simple aveu, c’est ce qui est si terrible. C’est un lynchage pur et simple puisque Alice sait que son mari ne s’en relèvera pas. Elle ira jusqu’à lui dire que le lendemain de ce regard qui a tout changé, elle ne savait plus si elle voulait revoir cet officier ou surtout ne jamais le revoir. La seule nuance qu’elle apporte quant à leur couple est tout aussi terrible car elle a le mérite de poser la question de sa pérennité. Est-ce que le couple vaut de ne pas se laisser transporter par ce simple regard ? Elle a pensé tout quitter pour le rejoindre, c’est ce qu’elle dit à Bill. Et dans le même temps, voici la nuance, elle continuait d’être très amoureuse de son mari. Sans cette nuance, l’aveu n’aurait pas tenu debout et c’est ce qui le rend si fort : ce n’est pas un aveu vengeur, c’est une révélation. Le couple poursuit son chemin, rien n’est véritablement cassé, simplement d’autres paramètres sont entrés en compte.

     Et Kubrick avait parfaitement introduit cet état vers le début du film en montrant quelques séquences en musique illustrant le quotidien du couple tout en le triturant de l’intérieur, par de simples gestes, postures qui faisaient déjà écho à cette scène de ménage. Un montage alterné voit Bill dans son cabinet de médecin recevant des patients puis Alice dans ses préparatifs, généralement nue. Un contraste opère entre ces deux observations ouvertement charnelles, avec d’un côté une nudité désamorcée par le fait qu’elle n’ait selon les mots de Bill lors de la scène pivot aucune attirance sexuelle et de l’autre un corps magnifiquement mis en lumière, doublé par un miroir, extrêmement sensuel d’une femme qui se prépare. On peut se dire que Bill a raison : les deux corps nus en question ne répondent pas aux même critères d’observation. On peut se dire que l’argument d’Alice tombe à l’eau. Mais plus tard, justement après cette scène pivot, interrompue par la sonnerie du téléphone, Bill s’en va rendre visite à un patient qui vient de décéder et la fille de ce patient, qui semble aussi être une de ses patientes, profite de sa tristesse pour tomber dans ses bras, l’embrasser et lui dire qu’elle l’aime. C’est l’argument de Bill qui ne tient plus. Lui qui pensait que le regard sur la relation médicale était réciproque, à savoir sans aucune connotation autre que celle du rapport médical, il se rend compte qu’il peut y avoir création d’un désir.

     Eyes wide shut devient alors un autre film. Un film d’errance. Bill marche dans les rues New-Yorkaises, à la fois pour réfléchir à repenser aux paroles d’Alice, mais aussi pour s’abandonner littéralement, ne plus refouler ces désirs qui parfois le hantent. Il ira même jusqu’à rentrer chez une prostituée avec laquelle il ne fera rien, comme s’il n’était pas encore prêt pour ça. C’est en rencontrant à nouveau ce pianiste de la fameuse fête du début du film, qu’il connaissait de leurs années d’école de médecine, qu’il va s’engouffrer davantage dans une nuit aussi excitante que dangereuse. Une soirée dans un château des plus étranges où on ne peut rentrer sans mot de passe ni déguisement masqué. La double séquence dans le magasin de déguisements l’arc-en-ciel est très déroutante. La première fois, elle désamorce la noirceur dans laquelle le film semble tomber. Quand le gérant, que Bill réveille, ouvre les nombreux cadenas de sa boutique parce que dit-il, on n’est jamais trop prudent ces temps-ci, il découvre sa fille avec deux hommes, qui pourraient être ses employés, dans une situation peu confortable. La scène pourrait être grave, elle est burlesque. Le lendemain, quand Bill ramène le déguisement, l’ambiance est inversée. Le gérant, sa fille et les deux hommes sont tout sourire et au gérant d’avouer à Bill que sa boutique ne propose pas uniquement des fringues de déguisement, qu’il peut tout aussi bien prendre du bon temps avec sa fille, à peine une quinzaine d’années. Ce pourrait être drôle, c’est grave. Evidemment, pris ainsi cela paraît presque ridicule – c’est aussi le propre du cinéma Kubrickien, être sur la corde, jamais loin du ridicule – mais pris dans sa linéarité, à savoir quelques instants après cette soirée surréaliste, cela devient inquiétant et renforce l’idée que l’on ne sait plus séparer le vrai du faux, la réalité du fantasme, la coïncidence du complot. A ce titre, la scène avec le concierge de l’hôtel, carrément efféminé, est la scène de trop, celle dont on aurait facilement pu se passer, ou alors il faudrait qu’elle soit autrement. Kubrick tombe dans le burlesque un peu bateau, un peu lisse c’est dommage.

     Mais revenons à cette soirée incroyable. Sorte d’aboutissement formel dans l’œuvre Kubrickienne, miroir du trip spatial dans 2001, l’Odyssée de l’espace. C’est le même jusqu’au-boutisme, la même issue qui propulse chaque fois le personnage dans une strate nouvelle : ici c’est l’enquête pour retrouver cette mystérieuse femme dont je vais parler avant que ça ne devienne un simple retour à la normale, un retour au couple. Il faut toute la démesure du cinéma du cinéaste pour provoquer un tel malaise. La durée séquentielle a toujours été travaillée chez lui – on se souvient de ces longs étirements dans Barry Lyndon, de cette lourde répétition quotidienne dans la première partie de Full Metal Jacket – mais c’est la première fois qu’elle atteint un tel culot. Les scènes conjugales suffisent à illustrer ce ressenti, il faut voir comment on parle dans Eyes wide shut, la vitesse du débit, cette singularité pour recréer une conversation, avec ces silences ou ces reformulations d’affirmations en questions. Lorsque Bill entre dans ce château, qu’il se vêtit d’une cape noire à capuchon puis d’un masque blanc/doré, il débarque rapidement dans une immense pièce où s’effectue une sorte de cérémonie où l’on met en scène des femmes masquées d’abord vêtues puis bientôt nues avant de les laisser choisir l’homme déguisé de leur goût, pendant qu’une ambiance très pesante à base d’orgue accentue cette ivresse. La séquence est vécue dans son intégralité, au sens où le spectateur entre aux côtés de Bill, voire même se substitue à lui durant quelques plans quasi subjectifs, avant d’accompagner sa sortie avec une de ces femmes masquées. L’ivresse convoque aussi bien le sexe que la peur. Très vite, Bill apprendra qu’il est en danger. Puis il continuera de s’engouffrer dans ce dédale orgiaque avant d’être démasqué et relâché en échange de la jeune femme qui avait tenté de le prévenir, qui se sacrifie pour lui.

     Eyes wide shut a le mérite de n’effectuer aucun contre-champ de celui de Bill donc nous ne verrons et saurons rien de plus que ce que Bill sait ou vit. Lorsqu’il apprend via le journal qu’une jeune femme est décédée dans la nuit des suites d’une overdose, il s’en va prendre connaissance du corps prétextant qu’elle était une de ses patientes. C’est bien elle. Cette femme de la veille qui s’est donnée en sacrifice. Il apprend par la même occasion que son ami pianiste a été renvoyé à Seattle. On le menace d’un second avertissement inquiétant que dans son intérêt il ne vaut mieux pas qu’il remette les pieds au château, qu’il ne cherche à en savoir davantage. Il faudra une longue discussion avec Ziegler, l’hôte de la fête initiale, pour qu’il comprenne que tous ces évènements ne sont peut-être que l’œuvre d’un complot visant à faire en sorte qu’il ne révèle rien de ce qu’il a vu ce soir là. Pourtant, d’autres plus détachés, accentuent ses doutes. Il apprend que la prostituée entrevue la veille a appris sa séropositivité au matin. Lorsqu’il aborde dorénavant les trottoirs New-yorkais il remarque la présence d’un homme qui le suit comme son ombre. Et plus tard quand il rentre chez lui, il découvre le masque qu’il croyait avoir perdu, sur son oreiller aux côtés d’Alice, qui dort à poings fermés. Kubrick a eu la bonne idée de ne pas expliciter la présence du masque. Depuis la scène de l’aveu, donc depuis le début des errances de Bill, la mise en scène aura systématiquement été de son point de vue. Mais, à son retour, elle change, revient à ce qu’elle était initialement. Peu importe donc que le masque ait été déposé volontairement par Alice en guise d’explication ou qu’il soit le fruit d’un nouvel avertissement pour le moins flippant. Peu importe car Bill se détache de tout ça, il s’écroule en larmes – de tristesse et de peur – dans les bras d’Alice en lui proposant de tout lui raconter.

     Le film se terminera peu après cet échange dont contrairement à l’aveu d’Alice nous n’aurons eu vent puisque nous l’aurons vécu. Un simple gros plan sur le visage de la jeune femme, les yeux embués de larmes, le teint blanchi par la clarté du soleil, la cigarette se consumant entre ses doigts suffit à exprimer toute la détresse de cette longue nuit dont on ne sait à cet instant là ce qu’elle fera advenir de l’avenir du couple. A première vue, de façon très pessimiste, tous deux choisissent d’occulter ce qu’il vient de se passer en emmenant leur fille de sept ans faire les magasins de jouet puisque Noël approche. Mais Kubrick aura la décence et la grâce de proposer une discussion finale, au milieu des décorations et cadeaux de Noël, qui ira bien plus loin que ces simples œillères. Le couple tombe d’accord pour tirer parti de cette aventure, qu’elle se soit déroulée ou qu’elle soit restée entièrement fantasmée. Tirer parti en refusant de dire qu’ils s’aimeront pour toujours. Tirer parti en acceptant que leur couple ait sans doute besoin de cela pour rebondir. C’est la même fin que le Crash de Cronenberg, à la différence que dans ce dernier, l’espoir d’une plénitude conjugale retrouvée s’amenuisait encore davantage. Ici Alice prononce une dernière phrase avec comme ultime mot « Fuck » afin de savoir si le corps de l’un agit toujours sur celui de l’autre et réciproquement, afin de savoir si cette infidélité, réelle ou fantasmée, aura servie à cimenter une relation conjugale qui sans cet aveu, qui se devait d’avoir lieu aussi douloureux soit-il, se serait probablement éteinte à petit feu. C’est un film d’une richesse sans fin, inépuisable, que je redécouvre à chaque fois. Il s’agit de l’ultime film de Stanley Kubrick et c’est un chef d’œuvre. Peut-être même son chef d’œuvre tant il me subjugue chaque fois davantage à m’y perdre indéfiniment.

Il était une fois en Anatolie (Bir Zamanlar Anadolu’da) – Nuri Bilge Ceylan – 2011

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   7.5   Le plan large au cinéma cette année, nous y avons eu le droit grâce à Bruno Dumont et le somptueux Hors Satan. La durée d’une gestuelle entrait dans le programme de Kelly Reichardt avec l’aride et mouvant La dernière piste. Et c’est Bonello qui a utilisé magnifiquement l’espace, dans le chef d’œuvre de l’année, L’Apollonide. Le dernier film de Nuri Bilge Ceylan est une combinaison de ces réussites mais aussi le seul film cette année qui travaille autant la durée, pas du geste, ni forcément du plan, mais la durée réelle, celle du film, du récit dans le film. En ce sens il se démarque – bien que l’on y pense à de nombreuses reprises – du cinéma roumain d’aujourd’hui – Policier, adjectif ou Mardi après Noël – puisqu’il n’appuie pas exactement sur la durée de plusieurs séquences en particulier, dont on ne connaît le temps se déroulant au travers. Pas de grandes ellipses, de sauts dans le récit. Il était une fois en Anatolie commence le soir, au soleil couchant. Il se terminera au petit matin.

     Le premier plan post générique annonce la couleur. Très large, à peine incliné, il apprivoise le relief de la steppe Anatolienne, une route qui sillonne le cadre, un arbre rond, une fontaine et à l’horizon un ciel rosé tout juste abandonné par le soleil. Ce sont des phares qui entreront dans le plan au loin. Un convoi de trois voitures qui s’apprête à s’arrêter dans le cadre, à côté de cette eau et de cet arbre. Ces deux éléments ont l’air important. Un homme semble menotté. Les hommes qui l’accompagnent sont apparemment des policiers. Finalement, le lieu n’est pas le bon, il faut repartir. A mesure que les voitures quittent le cadre puis une fois que hors champ le bruit disparaît, héritage Antonionien oblige, le cinéaste conserve son plan et lui fait retrouver sa plénitude du début. Il faudra s’habituer à ce rythme là, cette respiration singulière et accepter que le film nous prenne la main et nous guide dans les méandres de sa recherche de cadavre en se glissant dans son mouvement et ses discussions.

     Auparavant, il y aura eu un générique précédé d’une courte séquence. Trois hommes dans un café autour d’une table qui parlent, rient, puis l’un se lève pour semble t-il aller donner manger au chien qui aboie au dehors sous les rafales d’une tempête imminente. On ne saura rien de plus de cette séquence, on va même l’oublier. L’oublier car on ne percevra pas immédiatement le lien avec ce qui va suivre, on ne se rendra pas compte que l’homme menotté était l’un des trois hommes du premier plan. Qu’importe, le tout est de reconstruire par bribes ce que l’on a vu, entendu, à mesure que le film avance. Ceylan ne veut pas qu’on en sache plus que les protagonistes. Le but n’est pas de savoir ce qu’il s’est passé, il faut admettre sa place de spectateur, admettre que l’on en saura jamais autant que les policiers ni même que le possible meurtrier.

     Le film se divise en deux parties. La nuit puis le jour. Aux tâtonnements répétitifs nocturnes répond l’enquête logique diurne. La recherche d’un corps jusqu’à épuisement commun. La trouvaille de ce corps, reconnaissance et autopsie comprises. Le film observe plusieurs idées intéressantes de la composition du cadre et du travail sur le hors-champ. Chaque personnage a un mouvement à lui, un comportement et une gestuelle reconnaissable, chacun ses manies, chacun une singularité que Nuri Bilge Ceylan ne met jamais véritablement en avant comparé à une autre. Tout le récit gravite autour de ce cadavre et de nombreuses branches plus banales et personnelles viennent étoffer cette histoire en la plongeant dans une atmosphère étrange, lyrique et métaphysique. Les exemples précis sont bien entendu ceux concernant le procureur, curieux personnage, monolithe silencieux qui demande régulièrement à stopper le convoi afin de soulager sa vessie. Le cinéaste a deux options, il choisit les deux, à un intervalle de temps différent puisqu’il a complètement le temps de le faire. Il en a la nuit. D’une part il reste en compagnie du commissaire qui se moque gentiment de lui, expliquant au médecin qu’il serait sans doute bon pour lui de le consulter tant les pauses se multiplient. D’autre part et donc plus tard, il accompagne ce procureur faire ses besoins alors qu’un éclair révèle une statue de pierre au regard tétanisant qui lui fait vite rebrousser chemin. Le convoi se divise régulièrement, la caméra tente de se hisser partout. A l’image de cette séquence où pour la énième fois le présumé meurtrier les a conduit sur un mauvais lieu ce qui a le don d’agacer furieusement le commissaire qui perd son sang-froid et le frappe à plusieurs reprises. En amorce de cette scène, il faut un déroulement bien complexe. Le commissaire accompagnant l’homme menotté disparaissant dans les vallées obscures, avant qu’on ne les éclaire par les phares des voitures. Une discussion commence alors entre le médecin et le procureur sur la prétendue histoire d’une femme qui avait prédit le moment exact, quelques mois auparavant, de sa propre mort. Puis plus tard c’est un militaire quelque peu désintéressé de l’enquête qui tente de cueillir des pommes dans un arbre. Avant que l’une d’entre elles ne tombe au sol et dévale rapidement la pente terreuse pour finir sa course dans un petit ruisseau. C’est une séquence qui résume tout le film de Ceylan. S’intéresser à l’infime. Grimper sur les branches plutôt que sur le tronc. Et surtout ne rien expliquer, toujours laisser le suspens de la scène, garder l’inachevé pour que l’imagination ne cesse de travailler.

     La cinégénie de l’Anatolie n’est pas celle d’une carte postale dans le film de Ceylan, ce n’est pas le cinéma touristique. Et c’est magnifique. Parce qu’on ne sait parfois plus où on est. A force de s’éterniser dans la pénombre notre appréciation géographique, au départ déjà limitée, se perd davantage. Et on n’est pas plus aidé par ce que l’on entend puisque les personnages répètent sans cesse qu’ils sont entre tel et tel village, qu’ils sont à tant de kilomètres de tel chef-lieu. On est au travers d’un monde. A la recherche éperdue d’un cadavre dont on commence à douter de son existence. Mais il faut que tout cela tienne. Et pour qu’il tienne il faut désamorcer son climat solennel. Et le film prendra par moments des détours burlesques étonnants. La scène de la pomme est fait partie. Comme plus tard cette reconnaissance du corps avec un procureur qui glisse dans le rapport oral une ressemblance entre le visage de l’homme mort et Clark Gable. Ou plus tôt cette discussion en rapport avec le yaourt de buffle. Ou encore ce militaire qui partage ses appréciations des distances. Et constamment on va naviguer entre tout cela. Ce naturalisme en temps réel qui cohabite avec ce burlesque inattendu et la puissance émotionnelle de ces riens qui font tout. La séquence de la pause nocturne chez le maire du village, avec cette dégustation d’agneau, ces tisanes servies par une demoiselle à la présence angélique, ce vent qui s’intensifie, cette coupure de courant, cet homme qui rêve qu’il voit son ami vivant qu’il a sans doute tué, est une merveille dans sa coupure, son glissement vers un ailleurs. C’est ce qui me plait le plus ici, cette manière non pas de marquer un temps d’arrêt dans le récit, rapide pour faire genre, mais en l’étirant au maximum si bien qu’on ne peut repartir sur la dynamique qui opérait précédemment alors qu’en arrivant dans cette ferme on imaginait pas un seul instant que le récit ne se détournerait tant. Du coup, après cette nuit, le film effectue une nouvelle cassure, première fois qu’il fait aussi grand bond temporel. Nous sommes maintenant dans une voiture, il fait jour, il pleut. C’est le lendemain et le film adopte alors un nouveau rythme.

     Il était une fois en Anatolie est un grand voyage. Un voyage fascinant d’une demi-journée. Dont on sort autrement. Parce que le cinéaste turc a rompu ce schéma narratif connu, du film enquête ou du film choral, c’est un film qui oscille entre ces deux styles mais fonctionne en véritable électron libre. J’en sors en ayant l’impression de connaître beaucoup de ces personnages, de cette enquête, de comprendre un peu plus le cinéaste et en même temps avec l’impression d’être passé à côté d’une masse considérable de choses, à commencer par l’histoire du meurtre de laquelle j’ai complètement décroché lors de sa finalisation. Le film me fascine pour tellement d’autres points que ce n’était pas très grave, c’est comme s’il y avait des niveaux différents, que l’on pouvait choisir de piocher où ça nous chante. C’est un film dans lequel on prend le temps de vivre, un film que l’on habite, dont, j’en ai la certitude, on découvrira toujours quelque chose de nouveau.

Scarface – Brian de Palma – 1984

Scarface - Brian de Palma - 1984 dans * 730

Grandeur et décadence.  

   9.5   Le cinéaste ne privilégie jamais le récit à la mise en scène. Scarface est un film effervescent, c’est ce qui fait son charme. Aux vestiaires le bavardage de la trilogie du Parrain ou les grandes fusillades des films de Johnnie To, c’est la progression du personnage qui compte ici et sa dimension tragique. D’abord l’effervescence de l’action dans l’ascension. Puis l’effervescence tragique au-dessus du monde. Deux séquences assez marquées formellement pour illustrer toute la grandeur mise en scénique du génial De Palma : Le premier coup de Tony Montana, son gallot d’essai où il doit récupérer quelques kilos de cocaïne qu’il doit échanger contre une liasse de fric. Le cinéaste abuse du plan-séquence en mouvement offrant un espace cinématographique monumental. Le plan le plus dingue est bien entendu celui où la caméra quitte la chambre d’hôtel laissant Tony en mauvaise posture dans une baignoire menacé par une tronçonneuse, pour rejoindre la voiture d’où il est descendu et où se trouve Manny en pleine drague, qui n’a pas l’air décidé à monter, avant de faire le chemin inverse et de revenir dans la pièce bruyante, que l’on avait quittée au moment où ça dérapait. Du coup, De Palma se permet d’offrir une durée à cet échange, alors que jusqu’ici tout allait très vite, ce qui accentue la puissance de la scène, d’autant qu’à cet instant là Montana est encore discret, petit arriviste pas insupportable, il est donc logique que l’on place nos sensations de son côté. Ensuite, il y a donc vers la fin du film cette scène où Tony découvre en se pointant chez Manny, que son ami s’est amouraché de sa petite sœur. Le caïd dont les idées et la sérénité se détraquent ne réfléchit pas, il l’abat sur-le-champ, sous les yeux de sa sœur, qui lui avoue en larmes qu’ils allaient lui annoncer qu’ils venaient de se marier, qu’ils voulaient lui faire la surprise. Formellement tout a changé, le cinéaste use pour cette séquence d’effets stylisés comme des ralentis, la musique de Giorgio Moroder, thème tragique de la musique répétitive entêtante entendue durant tout le film, par instants symbolisant la progression du caïd. Ce n’est plus le même cinéma, le temps n’est plus réel, on le ralentit, il n’est plus vrai, on l’orne musicalement, tout devient démesuré, amplifié, comme en accord avec la personnalité de Montana lui-même.

     Contrairement à l’aura qu’il a su dégager chez ses admirateurs, le personnage Tony Montana n’est pas très intelligent, c’est un fou, un malin, jusqu’au-boutiste et cela causera sa perte, à la différence d’un personnage au parcours similaire découvert dans le cinéma de Jacques Audiard, à savoir Un prophète, où le jeune homme est rusé autant qu’intelligent. La fin n’est pas la même. De Palma filme Montana avec neutralité de manière à mettre en avant ses accès de rage (sa jalousie envers Manny, sa misogynie envers Elvira) ou d’accentuer son retour à l’humain (son refus d’honorer un contrat où la situation exige que l’homme à liquider doit l’être avec ses enfants). L’un a trop conscience qu’il réussira quand l’autre saisit sans l’avoir cherché ce qui fera sa réussite.

     Tony Montana est un personnage fascinant, dans le sens où il est le tout et le rien. Il est déjà condamné. Il veut tellement réussir, être à la tête du monde, qu’il est déjà perdu. Il devient tout dans son ascension, intouchable, sans scrupules, rusé. Il devient rien dès l’instant qu’il doit profiter de sa gloire. Le Tony Montana de la seconde partie est passionnant puisqu’il ouvre d’autres facettes. Au mécanisme huilé du premier répond le type dépassé du second. Il était imprévisible, il l’est toujours. Mais la portée n’est plus la même. Il ne va plus dans le bon sens. Il était une bête féroce dans la scène de l’hôtel où il est menacé par une tronçonneuse, mais plus malin que pathétique. Alors que dans cette scène finale il devient ridicule. L’apogée de cet état se situe évidemment au moment où il tue Manny, son meilleur ami, par jalousie. Il y a aussi cette séparation d’avec Elvira, que De Palma laisse judicieusement suggérer, simplement qu’après l’altercation au restaurant nous ne la verrons plus.

     Le rêve américain prend deux tournures opposées. Un gouffre entre celui d’une mère et son fils. L’intégration dans la masse face à l’ambition mégalomaniaque. En ce sens, Scarface est presque une tragédie Shakespearienne, d’autant plus dès l’instant que la petite sœur de dix-neuf ans s’immisce dans la vie de son frère. Tony ira la chercher au chevet de sa mère. Sans pour autant l’attirer volontairement, il la condamne, elle tombe dans le piège, l’attraction de la gloire, du rêve (il lui ouvrira son propre salon) avant de se faire tuer par ce que son frère a crée : un monde ennemi.

     Dans Scarface il y a une absence hiérarchique que j’aime énormément. Tout le monde semble être sur la sellette, la même sellette. Il en ressort un Tony Montana plus libre qu’il ne parait. Un Tony Montana qui ne craint personne. Et paradoxalement il est aussi prit pour un nul ou un débile modèle. Lorsque Lopez demande à Omar ce qu’il pense de lui, ce dernier lui répond que c’est un plouc de merde et Lopez réplique alors que l’avantage de ce genre de type c’est qu’ils se défoncent. De son côté Tony dira à Manny que Lopez est un mou, qu’il lui cire d’abord les pompes pour pouvoir un jour lui prendre sa place. Plus qu’un monde de coup-bas, c’est la totale méconnaissance de l’autre qui prime ici, ce qui peut donc les rendre intelligents, avant que le récit les fasse systématiquement sombrer dans le pathétique.

     La bonne idée de ce remake du film de Hawks est de l’ancrer historiquement dans l’ère Castro, qui se sépare des prisonniers Cubains en leur ouvrant les frontières, immigrés qui fuient le communisme et investissent les plages de Floride. De palma se permet une mise en scène quasi documentaire dans les premières minutes du film. Il serait d’ailleurs intéressant d’évoquer la progression de cette mise en scène, qui suit celle de son personnage. Discrète et donc documentaire avec ces quelques images d’archives dans le générique d’entrée et complètement démesurée, stylisée dans la remarquable séquence finale. Même la ville, Miami, semble changer à mesure que le film avance. Mais pas selon un principe dichotomique, genre plus inquiétant, plus sombre. Au contraire. Et c’est en cela que la mise en scène devient fascinante, un peu à l’inverse de la trilogie du Parrain dont la mise en scène ne change pas dans l’opus. Elle est différente dans chacun, mais elle n’évolue pas à l’intérieur. Le cinéaste a un don pour ça. Le film s’ouvre sur une vidéo d’archive de Castro. Il se termine dans une villa immense où de multiples images sont celles des caméras de surveillance. De la même manière il y a tout un travail assez immense sur l’évolution du personnage. De la petite frappe intrépide du début au gros caïd de la pègre à la fin, il s’est passé deux heures et demi de film et on ne sait combien dans la réalité, quelques mois ? Quelques années peut-être. Et un désir qui ne cesse de grandir, une mégalomanie maladive grandissante comme si celle-ci était sa drogue, sa cocaïne.

     La représentation de ce désir à son apogée est symbolisée par ce dirigeable, la nuit où Tony tue celui qui l’employait, où il est inscrit « The world is yours » qui attire son œil dans un ciel nocturne aux couleurs noires et rosées, slogan qu’il reprendra pour lui, symbole de richesse absolue donc ce qu’il s’était promis : de domination ultime sur le monde – la grande statuette du hall d’entrée de sa villa, sur laquelle le slogan apparaît prend curieusement la forme du trophée de la coupe du monde de football. Cette scène du ballon dirigeable c’est déjà une fin. La fin d’un cycle dans le film. Tout ce qui suivra ira sur une pente descendante. Paranoïa sécuritaire. Soucis avec les banquiers qui refusent de blanchir l’argent sans augmenter leurs taux d’intérêts. Jalousie démesurée. Couple à l’abandon (dont le paroxysme est atteint avec cette impossibilité de faire un enfant). Solitude. Deux plans sont en miroir, l’un étant le plan prémonitoire de l’autre. On se souvient de cette dernière défense de fer avant l’exécution de Lopez, le traître. Tony est dans le bar habituel, laissé seul, noyé dans l’alcool. C’est la première fois qu’on le voit ainsi. A cet instant cet état prouve un manque. Montana est au maximum de sa progression sous le joug de son boss, s’il veut davantage il lui faut sa place. Pour le moment, cette dépression vient de là, uniquement de là. Ce manque ne cessera de l’habiter. A tel point que lorsqu’il n’y aura plus de manque possible, la dépression refera surface via un manque invisible. Montana n’aura jamais été meilleur que dans son ascension à devenir la pire des crapules de la pègre. Au-delà il n’est plus rien. A ce plan désespéré qui le voit échappé de peu à une rafale de balles commanditées par Lopez répond celui de Montana dans son immense baignoire. Il a tout autant qu’il n’a plus rien. La mise en scène est cadrée relativement serrée au début de cette séquence en présence de Elvira et Manny. Lorsqu’ils quittent tous deux la pièce, un savant zoom arrière dévoile à nouveau cette solitude extrême, montrant Montana parler seul, insulter sa femme et son ami. Et ce regard auparavant malin et subtil n’est plus que méchanceté et vulgarité. La solitude le nez dans la mousse puis plus tard le nez dans la dope. Montana est devenu comme les autres gros benêts, un être pathétique. Rebenga liquidé comme un moins que rien au milieu d’une foule de réfugiés cubains. Lopez évincé dans son propre bureau alors qu’il implore pitié à genou. Et Tony devenu véritable loque se fera cueillir par le cartel colombien. La boucle du mégalo condamné.

Permanent vacation – Jim Jarmusch – 1984

Permanent vacation - Jim Jarmusch - 1984 dans * 730 6654749_origNew York, New York.

   9.0   Ceci est le premier film de Jim Jarmusch. Il le réalise avec l’argent qui devait payer ses études. C’est le récit d’une déambulation urbaine. Aloysius Parker, désenchanté, vit ses dernières heures sur le sol américain. Ensuite il partira sur le vieux continent. Il passe un peu de temps avec ce qui semble être sa petite amie, junkie complètement passive puis il rend visite à sa mère en asile. Avant de partir, quelques rencontres imprévues jalonnent encore son chemin dont un John Lurie tellurique qui effectue un solo de saxo ou encore un garçon qui lui raconte une drôle d’histoire. Le dernier plan est le même que le dernier de News From Home de Chantal Akerman, mais ils ne signifient pas la même chose. Chez Akerman il ravive le souvenir, chez Jarmusch c’est l’oubli, la page qui se tourne.

Le dialogue final sur le port est magnifique : le garçon en partance pour Paris croise un garçon sensiblement de son âge qui arrive de Paris, espérant que New York sera sa Babylone. Le premier lui demande s’il pense que Paris peut lui plaire. Le second lui répond que Paris sera sa Babylone. L’itinérant ne se pose pas la question de l’espoir dans le cinéma de Jarmusch, il sait qu’il doit changer de cap, que lorsqu’il n’est plus en symbiose avec un lieu il en change. Permanent vacation suit une multitude de rencontres. Le cinéma de Jarmusch n’aura de cesse de reproduire à l’infini ce procédé, à son paroxysme dans son dernier, The limits of control (son meilleur film à mes yeux avec Permanent vacation justement) puisqu’il s’agissait à un tueur à gages de rencontrer plusieurs personnes afin de le guider jusqu’à sa cible. Jarmusch c’est donc la rencontre. Sans elle, tout s’écroule. La rencontre avec une petite fille dans Ghost dog condamne le personnage autant qu’elle lui permet de s’en aller en toute sérénité. Dead man c’est un voyage dans les bois, semé de rencontres avant la mort. La rencontre ne permet pas au personnage de rester en vie, elle lui permet d’avoir conscience de sa mort. Réelle ou symbolique. Dans Permanent vacation c’est la mort du personnage à New York. Il laisse une partie de son âme dans les vagues, pas étonnant qu’après son départ Jarmusch ne le filme plus, le plan restera fixe sur les tours de Manhattan. La suite c’est un autre film. Idem pour The limits of control. Le contrat est réglé, mais y a t-il un après, un éternel recommencement, nous n’en savons rien. C’est un autre film.

Jarmusch filme l’Amérique moderne, celle que l’on ne voit pas dans les films d’Hollywood, l’Amérique délabrée, abandonnée, traumatisée par la guerre du Vietnam, une Amérique qui n’a pas suivi l’essor de l’autre, celle qu’on a l’habitude de voir. Une séquence dans des ruines est fabuleuse. Le garçon est en contact avec sa mémoire, sans doute veut-il s’imprégner d’images avant de laisser tout cela derrière lui. Il y rencontre un homme qui croit être sous les bombes, qui n’hésite pas à lui sauter dessus pour lui éviter la mort. Permanent vacation atteint une dimension à mon sens chef d’oeuvresque dans son utilisation sonore, une partition absolument démente, ce genre d’ambiance grinçante que l’on retrouvera quelques années plus tard dans un film comme Clean Shaven, qui proposait cette déstructuration sonore comme illustration de ce que le personnage avait à l’intérieur de sa tête. C’est la même chose ici. Pour ce personnage, la musique est devenue insupportable. Et cette musique elle doit changer. Tout Jarmusch était déjà dans ce premier film : l’histoire d’un état que l’on quitte pour en rejoindre un autre, ce déplacement qui sépare le passé du présent, cet au travers. C’est cet au travers là que filme Jarmusch. Qu’il a toujours filmé.

La dernière piste (Meek’s cutoff) – Kelly Reichardt – 2011

35.3Somewhere.

   9.0   L’espace prend d’emblée une place importante. On est comme happé dès les premières secondes par ce petit groupe d’hommes et de femmes, dans l’Oregon de 1850, qui traversent une rivière. Il n’y aura pas un seul dialogue pendant un long moment, ou alors ce sont des mots perdus dans l’espace, que l’on ne distingue pas, mots capturés par les vents. Une femme effectue, accompagnée de son colibri en cage qu’elle protège au-dessus de sa tête pour ne pas le noyer, la traversée dans les eaux, pas tout à fait des rapides, mais une rivière qui s’amoncelle et disparaît tranquillement dans le désert au loin, plaines et collines ocres à perte de vue. L’eau ne menace pas encore mais c’est déjà un obstacle. Le film ne sera pas toujours silencieux, quelques dialogues disséminés ici et là, une prière, une attention, quelques discussions triviales et d’autres plus importantes, au sens où elles concernant ce voyage, enfin plutôt ce déplacement. On sait que l’on est dans l’Oregon mais l’on ne sait pas trop où l’on va. L’Ouest évidemment, c’est la conquête, mais rien de précis et très vite la piste disparaît, les hommes sont perdus – Un Lost sur la branche morte d’un arbre suffira. L’être humain qui se perd dans un espace est quelque chose de très beau et fascinant au cinéma. Gerry ou Zabriskie Point pour rester dans l’environnement désertique, le dernier étant par ailleurs davantage le reflet du film de Kelly Reichardt dans cette impression que l’on se déplace par ce que l’on n’a plus de place, qu’on n’est pas dans le monde mais au travers. Dans l’environnement clos il y avait Jeanne Dielman évidemment et cette sensation de perdition dès que la machine quotidienne rompait. Mais c’est bien la première fois que je vois ça transposé dans le genre Western, si l’on peut dire. Je ne suis pas grand connaisseur mais je sais qu’une chose m’a toujours perturbé dans ce cinéma là c’est le peu de regard que l’on porte sur la durée, la souffrance et l’espace dans ce qu’il a d’immense, de richesse plastique et sonore. C’est une traversée à l’infini. Vers un quelque part que l’on ne verra jamais. Les migrants viennent à manquer d’eau, les jours se répètent, les nuits sont fraîches et toujours rien à l’horizon qui donnerait signe d’une terre promise. Pas de lignes dessinées. La perdition est totale. On se déleste de quelques affaires comme cette chaise jetée par-dessus bord, témoin d’un déplacement, d’une histoire en marche ou d’absolument rien. C’est un cinéma extrêmement sec, peu bavard mais surtout doté de plans chargés de rien, donc de tout. Une femme qui lit un livre. Un homme qui observe au loin. Un enfant qui se repose. Et quelques fulgurances fondamentales dont un plan extraordinaire où les deux carrioles avancent en notre direction, avec toute la durée que cela suggère, avant de disparaître peu à peu dans un fondu enchaîné qui permet de les retrouver à l’horizon, tandis que l’effet nous donne l’impression de les voir traverser les nuages. C’est précis mais aussi plein d’idées lumineuses. C’est un voyage dans le désert d’une beauté incomparable.

L’art d’aimer – Emmanuel Mouret – 2011

l-art-d-aimer-l-art-d-aimer-the-art-of-love-23-11-2011-8-gLa traversée de Paris.

   7.0   Six petites histoires (en rapport avec la séduction) pas vraiment liées, c’est la première fois que Emmanuel Mouret, qui se contente habituellement d’un marivaudage central tout en l’extrapolant ensuite, se concentre sur plusieurs récits, plusieurs personnages. A éviter, il y a aussi bien le piège du film choral que l’affiche Klapischienne et le rassemblement de stars laissaient craindre, ou bien celui plus mécanique du film à sketches. Ce n’était pas gagné. Pourtant, L’art d’aimer parvient miraculeusement à trouver non pas un juste milieu mais quelque chose de singulier, qui se rapprocherait davantage, s’il fallait lui effectuer un comparatif (l’unique moment où je le ferais puisque le film s’en détache amplement) des réussites de la série des Comédies et Proverbes de Eric Rohmer.

     Ainsi, avant chaque morceau d’histoire qu’il raconte, Mouret insère une petite phrase ou expression qui représente ce qu’il va raconter. Le procédé pourrait paraître désuet et rébarbatif mais il fonctionne sur deux points : sa façon de les partager (ces histoires peuvent être brèves ou plus longues, se dérouler dans le récit sur quelques minutes ou sur une semaine voire davantage) et d’y revenir, puisqu’il évite l’assemblage d’histoires contées l’une après l’autre. En cela il se rapproche du film choral mais sa seule manie sera d’y faire croiser ses personnages sans pour autant qu’ils interagissent ensemble, simplement dans le but de montrer Paris comme un village. Un peu à l’image de la traversée de cet homme, à qui sa femme vient d’avouer des pulsions nouvelles envers d’autres hommes, longue marche nocturne, racontée en voix off, à travers des lieux de la capitale. Les personnages se touchent sans se toucher. Certains profitent d’une rencontre, d’autres pas. C’est aussi la limite du film qui contrairement à Un baiser s’il vous plait, ne se concentre sans doute pas suffisamment sur un récit pour en faire éclater un miracle.

     Néanmoins l’utopie Mouretienne fonctionne. Car le cinéma de Mouret est utopique. Tout est filmé avec énormément de tendresse, de compassion et c’est la parole qui prime. Le parfait exemple de son cinéma se retrouve dans la rencontre entre les personnages joués par Frédérique Bel et François Cluzet, tous deux merveilleux. Lorsque ce dernier l’embrasse et qu’elle le repousse, elle ne fuit pas, cherche à comprendre le geste, réfléchir sur l’événement. Il y a quelque chose d’à la fois loufoque sans tomber dans le trop, ce qui à pour effet de créer une situation réelle, faire que l’on y croit. Le cinéma de Mouret me donne cette impression là : qu’il est impossible de connaître ces personnages en vrai pourtant miraculeusement je crois à tout ce que je vois. J’aimerais vivre dans les films de Emmanuel Mouret. Cinéma fait de questionnements sur l’amour, la séduction, la pulsion, le rapport à la sexualité, toujours en marge d’un discours moral. C’est revigorant et pourtant ça pose des questions essentiels.

     Autre chose m’a frappé ici c’est la maturité dans la mise en scène, qui n’avait encore jamais chez Mouret été aussi inventive, dans la découpe du plan, les motifs. Et surtout dans le mouvement des personnages (véritable chorégraphie) et cette faculté à mettre en scène le dialogue. Offrir par ce dialogue une telle sensualité et par ces corps une grande légèreté. Il y a deux égéries dans le film qui représentent assez bien le cinéma de Mouret. Une que l’on croisait déjà auparavant, cette fille un peu folle, dans une contradiction permanente, qui se réfugie dans les mots pour comprendre ses états, muse sublime, ange de la parole campée par Frédérique Bel. Et une petite nouvelle, qui transporte sa grâce dans son mouvement, son regard, ses silences, dont l’expérience doit se vivre avant tout physiquement, voluptueuse créature incarnée par Elodie Navarre.

     L’art d’aimer c’est le genre de film qui me fait sortir avec un grand sourire, il me donne envie de chantonner, oui le cinéma de Mouret est une douce musique. Et loin d’être anecdotique en fin de compte puisqu’il s’interroge énormément sur l’enjeu de la séduction, de ces sentiments inénarrables, il ne donne pas forcément de réponse mais offre des pistes. Et puis la beauté c’est sa singularité, ces personnages nous ne les croiseront jamais ailleurs. Ils sont factices, comme je le disais plus tôt, mais ils font vrai. C’est un cinéma d’une grâce folle, drôle et ludique, qui m’enchante.

La vie ne me fait pas peur – Noémie Lvovsky – 1999

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Energie outrancière.

   6.0   Ce film me rappelle un peu La vie au ranch. Mais Contrairement à lui qui recherche la saturation par l’image et le son, l’étirement de la séquence, le plan plein, le film de Noémie Lvovsky se concentre sur des instants, saynètes foutraques qui donnent une dimension explosive.

     Cinéma de l’instant qui saisit la violence du moment. La cinéaste ne s’intéresse pas vraiment aux causes ni aux conséquences. Une bagarre éclate dans les couloirs d’un lycée après la classe, on ne saura pas pourquoi, Lvovsky ne montre pas les signes. Lorsque l’une d’entre elles tombe malade (probablement une tumeur) la cinéaste ne dira pas grand chose de son issue, simplement illustrée par un dessin d’animation comme ceux que l’on montre aux enfants dans les spots de prévention. Elle ne joue jamais la carte facile du pathos, ça ne l’intéresse pas. C’est l’énergie brute qu’elle cherche. Les deux films (avec celui de Letourneur) ont au moins ça en commun. Et aussi de rechercher la saturation par la parole. Très peu de blanc, toujours du mouvement. Mouvement par le montage chez Lvovsky, par les personnages dans le plan chez Letourneur. Parti pris honorable mais qui moi me touche assez peu, patchwork énergique de scènes montées en saccade, je trouve ça rapidement lourd. Reste que contrairement à son précédent film Oublie-moi qui jouait énormément sur cet état de trouble, d’incertitude en permanence, ce mouvement d’avant en arrière (le cinéma de Noémie Lvovsky me fait l’effet d’un surplace en sinusoïde) mais qui ne m’emportait nulle part, car cette impression d’un personnage qui stagne m’ennuyait beaucoup, La vie ne me fait pas peur est en perpétuelle évolution. Pourtant ça stagne ici aussi, mais l’univers se modifie, Lvovsky s’intéresse un peu à ce temps qui se déroule autour de ces adolescentes, en filigrane le passage du bac, ou une ellipse de trois ans, ou plus tard un raccord ado/adulte tout comme la mode vestimentaire qui apparaît essentiellement sur deux d’entre elles, l’émergence du punk etc.

     La vie ne me fait pas peur joue beaucoup sur ces enchaînements de vie et découvertes, tentations sexuelles ou expériences morbides. Ainsi l’une voudrait faire l’amour avec ce garçon dont elle est tombée amoureuse, sans doute pour être la première, pour ne pas se faire doubler par son amie. Ainsi on se perce le doigt avec une aiguille pour s’unir dans un mélange de sang, comme on se réunit autour d’une table de spiritisme. Le film n’évacue pas non plus les traumatismes (la corde) ni même les divergences au sein du groupe (le bac) aux différences parentales (au papa sympa Rego répond ce papa tyran Bideau) ou encore ces nombreux instants de délire entre filles tellement dingue que d’une part c’est impossible que ce ne soit pas un minimum vécu et d’autre part ça peut devenir insupportable. C’est aussi la limite du film. L’expérience est telle que poussée à ce point de folie le film ne devient pas facilement aimable.

Source code – Duncan Jones – 2011

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Breaking now.

   7.0   La magie de Source Code ne se borne pas à l’énergie qu’il déploie dans la construction de ces allers et venus temporels, comme cela peut être le cas dans un film de Tony Scott (Déjà vu), c’est dans son refus de se placer du côté du pouvoir donc d’appréhender le point de vue de la victime que le film grimpe crescendo vers des cimes émotionnelles qu’il n’est pas coutume de se voir offrir de cette manière là dans un film du genre, n’acceptant quasiment aucune facilité.

     Et choisir le camp de la victime c’est en quelque sorte refuser un suspense qui est à priori celui que l’on va rechercher en premier, à savoir le drame à l’échelle planétaire (la résolution de l’attentat pour en éviter un second) et non le drame individuel (exploitation du cerveau d’un homme condamné). Source Code est proche de Moon, sur de nombreux points. Et le thème central chez Duncan Jones c’est l’exploitation humaine par la technologie, la matérialisation par les souvenirs, le clonage par la morphologie et l’impact qu’il a sur l’individu en question qui s’en rend compte.

     Chez Jones, cette découverte se propage par la complicité. C’était l’ordinateur et le deuxième clone dans Moon, c’est l’employée du réseau secret dans Source Code. L’Homme ne pourra jamais se sortir des griffes du système tout seul c’est ce qui semble ressortir de ce cinéma qui choisit la rébellion de la victime plutôt que le héros sauveur du monde.

     Le Colonel Stevens est mort en Afghanistan, disons plutôt qu’il fut déclaré mort. Plus rien ne fonctionne hormis son cerveau, qui alimenté par un procédé scientifique lui permet à la fois de matérialiser ses pensées (donc de s’imaginer coincé dans cette capsule qui l’a probablement tuée) mais aussi de le projeter dans le passé et le corps d’une personne morphologiquement similaire à lui. Et c’est ainsi que cette organisation secrète le garde et s’en sert de cobaye pour la résolution de cette enquête visant à arrêter le terroriste qui tua les passagers de tout un train aux abords de Chicago le matin même, avant qu’il ne récidive, comme cela est prévu, dans la métropole même. L’enjeu c’est donc ce code source, à savoir huit minutes de projection dans la peau d’un passager du train afin de débusquer les indices qui mènent à la bombe et au terroriste. Mais si la projection semble illimitée en quantité, problème est qu’elle se limite donc à ces huit minutes et surtout le temps continue de tourner dans le réel.

     Source code joue habilement ce côté Code Quantum/Un jour sans fin où les projections répétées aboutissent à quelque chose (découverte de la bombe dans les toilettes) ou à rien (poursuite d’un homme suspect finalement simplement pris par le mal du train). Et en parallèle, puisque c’est le sujet, le personnage dans la peau d’un autre tombe progressivement amoureux de la jeune femme qu’il a en face de lui qui semble être une collègue de l’homme dont il a investit le corps. L’univers parallèle devient le leitmotiv principal. Un nouveau monde. Une strate temporelle qui ne serait plus dépendante de l’autre à laquelle il faut mettre fin, en débranchant le Colonel Stevens pendant qu’il est projeté et déjoue la mort du personnage qu’il habite. La fin à Chicago est magnifique. J’aime un peu moins les dernières secondes du film qui laissent supposer que dans ce nouveau monde, l’expérience du code source est simplement repoussée, donc que la projection du Colonel Stevens, suivant l’univers dans lequel il se trouve, est inévitable. J’aurais préféré que le film s’achève là, devant ce monument de verre aux multiples reflets qui nous disait déjà tout.

Le vent de la nuit – Philippe Garrel – 1999

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Dialogue avec la mort.

   10.0   Il y a une image qui revient régulièrement dans Le vent de la nuit c’est le passage de cette Porsche rouge sur une voie rapide, comme le fantôme d’un homme bien vivant qui laisserait tout filer, un homme qui déjà ne serait plus de ce monde.

     Paul (Xavier Beauvois) dira quelque chose comme ça pendant le film en s’adressant à Serge (Daniel Duval), alors qu’il ne semble pas se rendre compte à qui il s’adresse. Ce qu’il y a d’étrange avec les gens suicidaires c’est qu’ils sont là mais c’est comme s’ils n’étaient plus là, ils sont là sans être là, quelque part ils sont déjà ailleurs, c’est à peu près ce que lui dit Paul.

     Et c’est aussi ce que dit Philippe Garrel dans Le vent de la nuit. Il s’intéresse à trois personnages en particulier, n’ayant pas de vécu similaire mais dont les destins se rapprochent. Hélène (Catherine Deneuve) trompe son mari avec Paul, elle n’est heureuse ni chez elle ni avec cet amant véritablement, car tout est rapide, tout paraît éphémère. Et Paul est jeune, il découvre, il ne sait pas où se placer dans ce monde, il ne sait pas s’il pourrait aimer Hélène comme il se doit. Durant un voyage en Italie, lors d’une exposition, cet amant va rencontrer un homme qui lui permettra de regagner Paris. Ils feront le voyage du retour ensemble. Et dans cette fascination, cette admiration que Paul vouera à cet homme, ex soixante-huitard, quelque part héros malgré lui, Serge, l’homme en question, ne semble plus en mesure d’écouter. On apprendra un peu de ce passé révolutionnaire mais aussi de la perte de sa femme, qui s’est suicidée. Le suicide chez Garrel semble être l’unique porte de sortie valable, au sens choisie. Entre ce suicide évoqué, ce suicide manqué de Hélène et celui réussi de Serge à la fin du film, il y a comme un grand vent de fin, de mort mais aussi de maturité qui s’installe ici et là. Paul est jeune, il idolâtre, cette sensation suicidaire le dépasse, il n’a pas ce rapport intime avec la mort encore. Hélène le découvre mais s’y prend mal, comme un adolescent qui aurait découvert l’amour pour la première fois, maladroitement. Serge, au contraire, dégage cette sagesse, cette certitude dépressive qui lui donne cette apparence que Paul lui donnait plus tôt, d’un type qui serait là mais en fin de compte déjà plus là.

     Le film se suit comme un road-movie. D’une part grâce à ce long retour vers la capitale mais aussi avec ce nouveau voyage vers Berlin. Catherine Deneuve, pourtant seule sur l’affiche du film, ne l’occupe pas vraiment ce film, en tout cas pas physiquement. En fait, son personnage est partout. Dans les pensées de Paul, toujours incertain. Et peut-être aussi est-elle une aide dans la décision prise par Serge.

     Le vent de la nuit est un grand film suicidaire, peut-être même le plus grand. Il y a une telle sérénité dans cette approche de la mort c’est miraculeux. Philippe Garrel prend vie dans chacun de ses films. Qu’il raconte son histoire d’amour avec Nico et l’emprise de la drogue (J’entends plus la guitare) ou la naissance d’un enfant et son impact sur le couple (Les baisers de secours) ou la révolution qu’il a mené corps et âme (Les amants réguliers) mais un sentiment étrange plane constamment sur Le vent de la nuit. Le sentiment d’un film fait pour ne pas flancher. A la fin de Elle a passé tant d’heures sous les sunlights Garrel se tient devant une fenêtre, son suicide n’est pas loin, mais la vie s’accroche à lui, l’importance d’être mari, l’amour du père. Il ne reste plus rien dans Le vent de la nuit. Tout a disparu. Il n’y a même plus d’espoir. Et pourtant, Garrel est toujours là pour raconter cette détresse. Le cinéma permet ça. De ne pas se tuer. C’est bouleversant.

Le Skylab – Julie Delpy – 2011

Le Skylab - Julie Delpy - 2011 dans Julie Delpy

 Ni trop tôt ni trop tard.

   6.0   C’est un film qui me touche autant qu’il m’agace. En un sens, j’aime sa dynamique et sa manière de passer d’un truc à un autre, de passer du temps sur l’un, d’expédier l’autre, de ne pas forcément négliger ce qui est petit, d’oublier parfois ce qui est important, de filmer les enfants, de filmer les parents, de constater que les deux mondes sont différents. Et puis dans le même temps, le choix d’un best-of de vacances familiales plutôt que la chronique me gonfle prodigieusement. Comme il faut aller vite pour tout mettre dans le sac, Delpy ne s’intéresse pas à la suspension, à la durée d’une séquence, au temps d’une situation, si, à une seule : le slow de Albertine et Mathieu. La plus belle scène du film. Du coup la chronique devient fiction et montage, donc moins bien. C’est écrit, trop écrit. Pas forcément très bien joué – je garde un gros problème avec Bernadette Lafont, quoique ici ça passe encore, quant à l’oncle combattant de la guerre d’Algérie, mon dieu. Et en même temps il y a de nombreuses idées disséminées, dialogues ou situations, plutôt réussis. Et quelques présences ne sont pas négligeables : Celle d’Elmosnino en joyeux coco – assez génial il faut le dire – ou encore la mine patibulaire de Vincent Lacoste – même genre de Beau gosse que chez Satouf, en un poil plus branlos, mais toujours pas beau gosse donc – ou l’excellente Valérie Bonneton – qui se paie même le luxe de camper un personnage bègue – et le rayon de soleil Sophie Quinton (encore plus jolie lorsqu’elle est enceinte jusqu’aux dents) sont les atouts du film parmi d’autres, à un instant avant que ça ne dégénère. Heureusement, par moment ça revient, c’est en dents de scie. Tout ça fait très préparé, parfois un peu lourd et filmé sans grande conviction cinématographique, c’est dommage. J’attends davantage de ce genre de film sans demander pour autant de ressusciter Truffaut (L’argent de poche) ni Pialat (La maison des bois) mais avec un minimum d’élégance et d’inventivité. Le tout fait bien plus saynètes mises bout à bout qu’autre chose. Néanmoins, il y a deux choses que j’aime tout particulièrement dans Le Skylab, c’est d’une part justement la métaphore de ce satellite qui pourrait tomber sur la Bretagne – l’action du film se déroulant en 1979 – alors que la famille en question tient le coup mais est parfois au bord de l’implosion (traumatisés de guerre, virage politique imminent exacerbant les divergences idéologiques de chacun, hypocrisies conjugales…) et d’autre part c’est aussi le choix de la chronique – même si encore une fois ça ne fonctionne pas toujours très bien – ne cherchant pas à systématiquement faire rire. Lorsque l’on raconte des blagues ici – la dorade, la sirène et le requin – ce n’est pas visé pour faire rire le spectateur comme cela peut être le cas avec le « Pas de bras, pas de chocolat » dans Intouchables – si je compare les deux c’est uniquement parce que je les ai vu quasiment l’un après l’autre. J’aime le ton du film de Delpy : cette légèreté qui vire sans crier gare à une cruauté assez surprenante. Sur ce principe là je trouve que les enchaînements sont très réussis et Julie Delpy montre qu’elle peut être à l’aise partout car même si j’avais trouvé 2 days in Paris révulsant, La comtesse m’avait conquis. Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis conquis ici, mais je suis loin de trouver ça désagréable.


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